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Les sens ne sont-ils pas suffisants pour nous fournir toutes nos connaissances ?

Publié le 19/03/2011

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,[Introduction] Les sens semblent être la fonction de notre rapport au monde et à nous-même la plus simple, la plus précoce, la plus universelle : outre que nous semblons la partager avec tous les animaux, elle est présente au moins dès la naissance ; avant même que le nouveau-né ne puisse se déplacer et entreprendre la moindre exploration, il est en relation avec le monde et avec lui-même par la sensation ; du fait de la sensation, il n'est jamais sans rien savoir de la réalité. On peut dire, de façon simplifiée, que grâce à elle le monde paraît se donner de lui-même à nous, se présenter lui-même à nous, voire se rendre présent luimême en nous, sans que nous n'ayons rien à faire, à la différence des situations où nous nous efforçons de prendre connaissance de lui scientifiquement, d'agir de façon maîtrisée et technique sur lui, ou même seulement de nous déplacer et d'aller au-devant de lui pour l'explorer ou enquêter : c'est ce qui permet de caractériser la sensibilité comme réceptivité et passivité pures. Les sens semblent ainsi nous fournir des connaissances de la façon la plus simple, la plus naturelle, la plus ancienne, la plus constante ; mais toutes nos connaissances nous sont-elles fournies par les sens ou bien certaines ne semblent-elles pas venir d'autres sources (la tradition et l'instruction, la réflexion, le raisonnement, le calcul, etc.) ? Et, même dans les connaissances qui nous viennent par les sens, tout nous vient-il des sens et par les sens, ou bien faut-il reconnaître que ce qui vient proprement des sens et par les sens doit être élaboré ou rendu possible ou accessible par une autre fonction de l'esprit (comme ce que l'on appelle la raison, l'entendement, l'intelligence, ce qui semble être le cas de façon évidente quand il s'agit des élaborations scientifiques), voire une autre fonction vitale comme la capacité du déplacement volontaire et réglé (comme c'est visible dans les conduites d'exploration, d'enquête, de découverte : même si l'on accepte, par hypothèse et provisoirement, que la connaissance qu'on y acquiert soit le fruit de l'expérience sensible, il a fallu, dans ce cas, aller chercher cette expérience sensible, elle n'est acquise, par nature ici, qu'au terme d'une exploration et d'une recherche, qui ont dû avoir leurs propres principes d'organisation et où la sensibilité perceptive et réceptive n'est pas tout). Pour se demander si les sens ne sont pas suffisants pour nous fournir toutes nos connaissances, il faut d'abord apercevoir dans quelle mesure et de quelle manière ils nous fournissent des connaissances et quelle est la nature des connaissances qu'ils nous fournissent ; ensuite, il faut examiner si d'autres sortes de connaissances n'échappent pas par principe à toute possibilité d’expérience par les sens, relevant ainsi d'autres fonctions de l'esprit (une « raison pure », un « entendement pur ») ; si c'était le cas, les sens ne nous fourniraient pas toutes nos connaissances. Mais, même si ce n'était pas le cas (dans le cas où aucune connaissance véritable ne paraîtrait pouvoir être fournie par la raison ou l'entendement seuls), il faudrait encore examiner si les sens seuls en sont capables, ou bien si toute connaissance, lors même qu'elle exige un rapport à une réalité que seuls les sens rendent possible, n'exige pas aussi de mettre en oeuvre des fonctions rationnelles (relevant de la raison) ou intellectuelles (relevant de l'entendement).

[I] [Les sens ne nous fournissent pas toutes nos connaissances, mais ils semblent être la condition nécessaire de la connaissance objective ; nous fournissent-ils alors toutes nos connaissances objectives ?] On est conduit à se demander si les sens ne seraient pas susceptibles de suffire pour nous fournir toutes nos connaissances dans la mesure où ils semblent être la seule voie d'accès à la connaissance objective. Ce que j'ai dans l'esprit peut être rêverie, imagination, le cas échéant esthétique, ou bien élucubration, construction intellectuelle et théorique pure, ou encore souhait, désir, projet technique ou intention morale ; mais, tant que je n'ai pas confronté ce que j'ai dans l'esprit avec la réalité ellemême, ce n'est pas une « connaissance », du moins pas une connaissance objective. Or quel autre moyen avons-nous que les sens pour prendre acte de la réalité sans rien lui ajouter ni lui retirer (objectivement) ? Aucune idée, aucune pensée que l'on a dans l'esprit, même si elle est (comme on dit) « logique », c'est-à-dire rationnelle et cohérente avec elle-même (on a vérifié qu'elle ne se contredit jamais), ne peut être tenue pour une connaissance objective si on ne vérifie pas qu'elle se règle aussi sur ce que l'expérience peut rapporter à un objet réel. C'est la réceptivité et la passivité pures de la sensibilité, de l'expérience perceptive qui reçoit la réalité telle qu'elle se donne, qui semblent en faire la condition indispensable d'une connaissance objective. [II] [Les sens ne peuvent suffire à nous fournir toutes nos connaissances objectives] [Transition] On comprend alors pourquoi l'on peut être tenté de voir dans les sens ce qui suffit à nous procurer toutes nos connaissances : ils en sont une condition nécessaire. Notre problème est alors de savoir si cette condition est suffisante. Mais avant même d’examiner cela, il faut s'assurer que c'est bien une condition nécessaire pour toutes nos connaissances sans exception. [II-1] [Les vérités mathématiques ne sont pas tirées des sens mais de la seule raison] Or, comme Leibniz le rappelle, les mathématiques sont une science qui ne tire pas ses connaissances de l'expérience, dans la mesure même où elle vise à établir des vérités nécessaires. Car ce qui est véritablement nécessaire est universel, c'est-à-dire vaut dans tous les cas ; alors que l'expérience est précisément (c'est cela même son procédé pour s'efforcer d'atteindre l'objectivité de l'objet) ce qui procède cas par cas (c'est comme cela qu'elle évite la généralisation hâtive) : elle ne généralise que progressivement, en répétant l'expérience. Mais on a beau répéter l'expérience autant de fois que l'on veut, on n'obtiendra que du général et pas de l'universel. La prudence méthodologique de l'expérimentaliste le revendique : la généralisation du résultat de l'expérience ne vaut que pour ce qui a été précisément expérimenté, puisque, selon son principe, seule l'expérience démontre. Or en mathématiques, ce n'est pas le général mais l'universel qui est obtenu ; c'est qu'il est obtenu par une démonstration qui ne se fonde pas sur des cas et des exemples mais sur des principes qui sont plus hauts que tout, valent universellement, et dont la nécessité s'impose à l'esprit par elle-même indépendamment de tous les exemples et les cas particuliers (par exemple le principe de non-contradiction : on ne peut affirmer que la même chose soit et ne soit pas ; ou bien encore : la partie ne peut être plus grande que le tout ; etc.). La démonstration mathématique est « hypothético-déductive », c'est-à-dire qu'elle montre que, si tel principe nécessaire est posé, telle proposition s'en suit nécessairement : elle transfère la nécessité absolue des principes aux propositions ainsi démontrées sans passer par des exemples. Les objets sur lesquels porte la connaissance mathématique n'existent pas (malgré certaines apparences) dans la réalité à laquelle on a accès par les sens, mais ils sont entièrement définis et élaborés par les principes à partir desquels la connaissance de leurs propriétés est démontrée ; ils n'existent pas autrement, même si c'est l'observation de la réalité sensible qui a pu susciter cette élaboration proprement créatrice, et même si cette observation en confirme les résultats, en y correspondant constamment (mais confirmer n'est pas démontrer). [Transition] L'existence même des mathématiques semble être la preuve la plus évidente que toutes nos connaissances, même scientifiques, ne sont donc pas fournies par les sens. Il est vrai que, dans la mesure où les mathématiques portent sur des objets qui ne sont pas donnés dans la réalité extérieure mais que le mathématicien se donne lui-même par un acte de l'esprit de façon purement rationnelle (bien que non arbitraire), on peut dire aussi qu'elles ne sont pas une science, du moins pas au même sens que les autres (qui étudient la réalité donnée) ; elles semblent plus proches de la pensée pure rationnelle que d'une connaissance objective. Mais, si l'on met de côté maintenant les mathématiques, dans le domaine des savoirs scientifiques objectifs, l'expérience sensible est-elle la condition nécessaire et suffisante de toute connaissance ? [II-2] [Même dans les autres sciences, comme les sciences fondées sur l'expérience, toutes les connaissances ne viennent pas de l'expérience sensible] [Transition] Or, même dans les domaines de réalité que l'on explore dans les sciences qui se fondent sur l'expérience sensible (sciences de la nature, telles que la physique ou la biologie), il y a toujours de l'inaccessible à l'expérience à un moment donné, et l'on ne peut soutenir que les sens suffisent à nous procurer toutes nos connaissances. [II-2.1] En effet, d'abord, même s'il n'y a pas de connaissance objective qui ne corresponde pas à une expérience sensible, tout ce qui nous est donné par une expérience sensible n'est pas objectif : il y a aussi du subjectif et même de l'illusion, et pour en séparer ce qui est objectif, il faut des moyens extérieurs aux sens (réflexion et méthode). [II-2.2] Si l'on considère le domaine des choses sensibles dont nous acquérons la connaissance par l'expérience, il y a du toujours plus grand et plus éloigné, et nous formons, à partir de ce que nous connaissons par expérience, l'idée de l'infiniment grand : l'idée de monde, d'univers, comme ce qui comprend tout et qui est, en ce sens, plus grand que tout, infiniment grand. Or, ce qui est infini échappe à l'expérience sensible, qui est toujours déterminée et délimitée. Le monde lui-même, bien qu'il soit l'ensemble de tous les objets qui peuvent être vus et dont on peut faire l'expérience, ne peut être vu lui-même ; il ne peut, comme tel, faire l'objet d'une expérience fondée sur les sens, d'une expérience d'ensemble, mais seulement d'un ensemble d'expériences (dont la liaison ne peut se faire au moyen d'une seule expérience, mais d'une construction théorique raisonnée). Son statut est celui d'une idée et non d'une réalité dont on pourrait avoir l'expérience, et c'est donc une idée qui sert d'horizon ultime de coordination des connaissances et des recherches sur l'univers, lors même qu'elles sont fondées sur l'expérience. [II-2.3] Mais ce n'est pas seulement l'idée du tout de l'expérience possible, qui est inconnaissable au moyen de l'expérience sensible (ce qui concerne la limite de la science et de la métaphysique), c'est au coeur même de l'expérience, y compris scientifique, que les limites de l'expérience apparaissent constamment. En effet, ce qui se montre dans l'expérience sensible d'un objet quelconque cache en même temps tout ce qui, en lui, ne se montre pas (qui est derrière, dessous, à l'intérieur, etc. ; il y a toujours du plus petit, du plus grand, du plus lointain), qui ne se voit pas et qui, au mieux, donne l'idée d'y aller voir - c'est cela même le ressort et la condition de possibilité de la recherche scientifique. Les sens ne suffisent pas à nous procurer toutes nos connaissances, parce que le réel ne se livre pas tout entier aux sens, il faut aller le chercher et avec d'autres instruments que les sens. Pour pouvoir le voir, il faudra inventer le moyen d'y aller voir, concevoir une nouvelle méthode, construire un matériel expérimental nouveau. L'expérience scientifique est bien une expérience sensible, d'une certaine manière, mais pas seulement : c'est grâce à l'ensemble des concepts, des théories, des instruments méthodiquement élaborés, que les sens sont mis en relation avec le réel qui, sans cela, ne serait pas « sensible », pas perceptible, pas accessible, et, donc, pas connu objectivement. [II-2.4] Les sens ne peuvent nous fournir toutes nos connaissances parce que l'on ne peut ramener la connaissance objective à la seule sensation comprise comme simple réceptivité passive. En effet, connaître est une opération active où toutes les fonctions de l'esprit (intellectuelles et sensibles) doivent collaborer de façon unie. Connaître, ce n'est pas (ou pas seulement) constater ponctuellement la présence de quelque chose, c'est l'identifier et la distinguer, la situer dans un réseau de relations avec d'autres et notamment de relations causales : ce sont là des opérations qui nécessitent la capacité de généraliser et de comparer, et au moins l'exercice de la mémoire, de l'imagination, du raisonnement, du jugement. La connaissance véritable nécessite la coopération des fonctions intellectuelles et rationnelles de l'esprit avec la sensibilité qui, dans ces conditions, ne semble pas y suffire à elle seule. [III] [Le problème de l'origine des principes rationnels de toute connaissance : ils ne peuvent venir de l'expérience] [Transition] Il paraît nécessaire de reconnaître (avec les « rationalistes ») qu'il y a dans l'esprit des principes (intellectuels, rationnels) qui organisent et règlent le fonctionnement de l'expérience sensible, de telle sorte que l'on puisse en tirer de véritables connaissances (sinon on n'obtiendrait que de simples enregistrements d'impressions ponctuelles et sans liaison, mais jamais la perception d'un objet identifié, déterminable, reconnaissable, connaissable objectivement), si bien qu'il faut dire qu'il y a dans l'esprit deux sources de toute connaissance « actuelle » (c'est-à-dire en tant qu'elle est effective, au moment où elle est effectuée) : la sensibilité et la raison. Cependant (soutiennent les « empiristes »), on peut montrer que les principes rationnels eux-mêmes viennent de l'expérience sensible seule et se constituent progressivement sans que l'on ait à supposer leur existence originaire dans notre esprit depuis notre naissance. Le problème est donc, maintenant, de savoir d'où peuvent venir les idées générales et causales, les principes sans lesquels la connaissance objective constituée n'est pas possible. Les sens sont-ils capables de les produire par eux-mêmes ? Ou bien les fonctions intellectuelles ou rationnelles de l'esprit sont-elles originairement distinctes de la sensibilité et s'y ajoutent-elles dans la connaissance ? [III-1] Les empiristes soutiennent la possibilité d'une genèse psychologique de la raison, de l'intelligence, des principes rationnels de l'esprit, à partir du seul usage des sens, et d'un enrichissement progressif en « rationalité ». En effet, la généralisation, que l'on suppose faire défaut à l'enregistrement ponctuel que réaliserait la sensation instantanée, et sans laquelle il n'y aurait pas de connaissance véritable, s'opère en fait d'elle-même dans la sensation et l'expérience sensible du simple fait de sa répétition. C'est la répétition de la même perception qui fait à la longue naître le sentiment du même, de l'identique. La répétition des expériences sensibles engendre par elle-même les idées d'identité, de différence, de ressemblance et toutes les généralisations nécessaires à la connaissance. Il en va de même pour l'idée de relation et de cause : la multiplication et la répétition des expériences suffisent à rendre possible que la constance de la concomitance, de la disjonction (l'incompatibilité) et la succession (la causalité) de deux ou plusieurs phénomènes soient l'objet d'expérience et de constatation sensibles. [III-2] Mais, comme nous l'avons vu avec l'analyse des mathématiques, la généralité n'est pas l'universalité, et la connaissance véritable, objective et scientifique ne suppose pas seulement la généralité et la causalité, mais l'universalité et la nécessité. Les idées d'universalité et de nécessité (de même que d'autres dont celle de possibilité) ne peuvent être fournies par l'expérience elle-même, puisqu'elles sont l'idée de ce qui excède toute expérience possible : l'expérience sensible s'attache aux cas particuliers, qu'elle revendique de pouvoir observer un à un, c'est cela même le fondement de sa force comme méthode visant l'objectivité. L'expérience peut être étendue autant que l'on veut, la généralisation s'amplifiera d'autant ; mais, par principe, tant qu'elle prétendra rester fondée sur l'expérience c'est-à-dire un recueil de cas, cette généralisation ne pourra jamais prétendre porter sur tous les cas puisque, pour cela, il faudrait être sûr de les avoir tous examinés et que cela ne peut être un savoir que livre une expérience. Car une expérience porte sur un cas, mais le fait qu'il n'y ait pas d'autre cas ne peut faire l'objet d'une expérience : pour celui qui s'en tient à l'enseignement de l'expérience, un cas nouveau peut toujours se présenter. « Qu'il n'y ait pas d'autres cas », cela ne peut jamais être une constatation, ce ne peut être qu'une idée qui suppose celle de totalité absolue, sans laquelle universalité et nécessité n'ont pas de sens. Or, il n'y a pas qu'en mathématiques que la nécessité et l'universalité ont leur place : l'universalité et la nécessité sont les qualités que recherche toute connaissance véritable, même s'il n'y a qu'en mathématiques que sa réalisation soit aussi achevée (on parle d'ailleurs, dans certaines disciplines, de « mathématisation » de la science, comme en physique théorique, qu'on appelle parfois « physique mathématique »). Une science véritable ne peut se suffire de l'expérience empirique autrement qu'en ses débuts. Une observation répétée, même un très grand nombre de fois, peut donner un sentiment de confiance, d'assurance qu'il en sera toujours ainsi ; et, lors même que je peux observer qu'il est vrai que cette répétition est constante, je ne sais pas pourquoi : le vrai « pourquoi », le pourquoi nécessaire, la cause véritable, c'est la cause nécessaire et suffisante, celle qui cause à tout coup et ne peut pas ne pas causer. Or, même si je constate de la manière la plus constante une succession entre des phénomènes et même s'il se trouve que cette succession correspond effectivement à une cause, ce qui fait que cette cause est effectivement la cause nécessaire et suffisante, la nécessité de la cause, cela ne peut se constater. La simple succession n'est pas toujours causale ; seule peut être constatée la succession, mais non pas la causalité elle-même. La nécessité n'est pas objet d'une expérience sensible. C'est l'objet d'une démonstration purement rationnelle. [Conclusion] Les sens ne peuvent suffire à nous procurer toutes nos connaissances. En même temps qu'ils montrent ce à quoi ils donnent accès, ils font apercevoir eux-mêmes que plein de choses se cachent derrière ce qui apparaît. Il ne s'agit pas de dire qu'il suffira de prendre son temps pour aller voir : on ne peut tout voir à la fois ; on ne verra jamais tout à la fois. Le monde lui-même, qui est pourtant l'ensemble de tous les objets qui peuvent être vus et dont on peut faire l'expérience, ne peut être vu lui-même ; il ne peut faire, comme tel, l'objet d'une expérience fondée sur les sens. Mais ce n'est pas seulement du côté des objets, que la puissance de connaître des sens rencontre des limites, c'est aussi du côté des principes de la connaissance : les mathématiques sont la preuve exemplaire que certains objets de connaissance scientifique ne peuvent, par principe, faire l'objet d'une connaissance fondée sur l'expérience sensible ; et cependant, les mathématiques peuvent être appliquées à la connaissance du monde sensible. C'est que les mathématiques reposent avant tout sur la nécessité rationnelle pure, qu'aucune expérience sensible ne peut prendre pour objet, mais que, d'autre part, toute connaissance scientifique, même expérimentale, repose sur ces principes qui, comme la nécessité et l'universalité, ne peuvent être tirés expérimentalement de l'expérience ; cette expérience qui, sans eux, cependant, ne serait pas comprise scientifiquement (c'est-à-dire selon sa nécessité et son universalité). Que répondre aux empiristes qui demandent d'où viennent alors ces principes rationnels de toute connaissance même expérimentale, dans la mesure où ils ne peuvent venir de l'expérience ? De rien d'autre que de l'esprit lui-même. Ils ne sont qu'une manière de décrire son fonctionnement même, son activité spontanée : l'esprit humain connaît selon l'universel et la nécessité toutes choses y compris les choses sensibles ; ce sont les principes du fonctionnement de son esprit, les conditions de sa connaissance ; il ne peut les trouver dans les choses sensibles dont il fait l'expérience, comme un objet d'expérience, mais il les découvre à propos de l'expérience qu'il fait de toute chose en faisant réflexion sur la manière dont il connaît. Dans ces conditions, il peut bien y avoir un développement génétique de l'esprit et une survenue progressive de ces principes rationnels de toute connaissance, comme principes spontanés du fonctionnement de l'esprit qui a atteint sa « maturité », cela n'implique pas que ce soit comme objets d'expériences qu'ils adviennent et soient acquis, même si cela peut se faire à leur occasion (occasion d'apercevoir ces principes, voire de les fortifier par la réflexion). En somme, pour le dire simplement, à la manière de Leibniz : tout ce qui est dans notre esprit nous vient des sens et de l'expérience, mais non pas notre esprit luimême ; « nous sommes innés, pour ainsi dire, à nous-mêmes » ; toutes nos connaissances nous viennent des sens, sauf ce qui, dans nos connaissances, tient à la nature et la forme de notre esprit lui-même, et que nous pouvons apercevoir par la réflexion. Il est important philosophiquement de distinguer et de séparer l'étude psychologique et génétique du développement de l'esprit (étude de faits empiriques) et l'étude des conditions de possibilité de la connaissance (étude de droit et que Kant appelle « transcendantale »).

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