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Sommes-nous condamnés à interpréter ?

Publié le 27/02/2008

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HTML clipboard L’interprétation a soulevé de nombreuses questions philosophiques, le plus souvent sous son autre nom, plus ancien d’herméneutique qui fait référence au verbe grec « herméneuein «, qui signifiait justement « interpréter « : les prêtres chargés d’interpréter les oracles de la Pythie, à Delphes, étaient en ce sens, on peut le dire, déjà des « herméneutes «. Le problème de l’interprétation se révèle être d’une ampleur phénoménale, et son extension recouvre de très nombreux champs du savoir, des sciences historiques en passant par les sciences humaines, de la sociologie à la psychologie. Lorsque Wilhem Dilthey souligne dans un ouvrage publié en 1910 que « nous expliquons la nature «, mais que « nous comprenons la vie psychique «, il fait apparaître à quel point, pour fonder la légitimité de ces disciplines nouvelles, il fallait s’interroger sur le type de garantie susceptible d’être accordé à d’autres modalités de connaissances que celles qui caractérisent les sciences de la nature. Par exemple, lorsque nous cherchons à reconstruire la vie d’un homme ou celle d’une culture, il nous faut saisir le sens de chacun des moments et de leurs successions. Cette saisie d’un sens n’a plus rien à voir avec la démarche explicative consistant à vérifier expérimentalement la succession irréversible de certaines causes et de certains effets. Aussi, dans notre monde, ne nous sommes t’on pas condamnés à interpréter tout ce qui arrive ? N’est-ce pas plutôt la transparence qui serait une utopie, où toute chose signifierait par elle-même sans renvoyer à une autre ? L’interprétation est-elle notre seule façon d’appréhender le monde ?

« 3) Un monde de la pensée sans interprétation ? Tout champ où s'exerce une activité se définit, se délimite par rapport à ce qui apparaît lui être extérieur.

Le plusefficace pour faire apparaître dans quel espace il y a effectivement matière à interprétation pourrait donc être deprocéder négativement, en commençant ainsi par identifier les espaces dans lesquels il n'y a pas de place pourl'interprétation.

La première marge que l'on pourrait assigner à l'herméneutique serait « l'espace logique », c'est àdire un discours où les propositions seraient logiquement structurées de telle façon que je comprenne chaqueproposition « sans que son sens m'ait été expliqué », soit, sans nul besoin de l'interpréter.

Dans son Tractacus logico-philosophicus , Ludwig Wittgenstein définit ainsi l'espace logique comme celui où « la proposition montre son sens », « montre ce qu'il en est » de la réalité et « l'exhibe » sans qu'il soit nécessaire pour cela de requérir à la moindre élucidation.

Tout repose ici sur la nature des signes utilisés pour former la proposition : « En logique, ce n'est pas nous qui exprimons au moyen de signes ce que nous voulons, mais [...]c'est la nature des signesessentiellement nécessaires qui s'énonce d'elle même. ».

Il s'agit donc de ne pas utiliser arbitrairement certains signes, de ne pas exprimer au moyen de quelconques signes ce que nous voulons, mais de choisir des signes dont lapropriété est d'exprimer d'eux-mêmes, de façon nécessaire, un certain sens.

De tels signes correspondent à ce quel'on appelle en logique des « symboles ».

Dans le langage quotidien, il arrive très fréquemment que le même mot ait plusieurs significations, entraînant ainsi un grand nombre de confusions possibles, si l'on veut comprendre ce qui estdit, et à une interprétation consistant à remonter de ce qui a été dit à ce dont on peut supposer que le locuteur aeu l'intention de dire.

Le symbolisme logique, bien au contraire, construit un espace d'énoncés où l'on utilise jamaisle même signe de différentes manières.

Le symbole se caractérise ainsi par la détermination univoque et rigoureusede son usage significatif, avec comme conséquence que la constitution d'un tel langage symbolique garantirait laproduction de propositions capables de montrer leur sens et ne requérant donc, pour être comprise, aucune activitéinterprétative.

La folie ou être condamné à interpréter ? Mais l'on peut aussi s'attarder sur une seconde marge tout aussi importante, à l'autre extrême, à savoir l'espace dela folie.

Attention, il ne s'agit pas d'entendre par là la folie, telle qu'elle se donne aujourd'hui à voir à travers leprisme de la psychopathologie, et qui donne matière à interprétation, comme c'est le cas chez Freud.

Il s'agit en faitde la folie telle qu'elle constituait pour le monde de la renaissance ce que Michel Foucault désigne lui-même, dansLes Mots et les Choses , comme une « marge », un « bord extérieur » ou encore une « limite » de la culture et du savoir de l'époque.

La culture du XVIe est encore très empreinte de l'idée qu'il y a un ordre du monde, une sorte de« cosmos » au sens que les anciens donnaient à ce terme et tel que les êtres y occupent une place qui leur revient en fonction de leur nature, et qui les situe dans certaines relations, elles-mêmes supposées naturelles, avec lesautres êtres.

C'est pour cette raison, nous explique Foucault, que l'univers de la renaissance accordait beaucoupd'importance à l'interprétation.

Il s'agissait alors d'interpréter fortement les relations entre les êtres (qu'ils soientanimés ou non) non pas à partir de ce que les faits permettent d'en constater, mais plutôt à partir de la convictionqu'il existe entre eux, dans l'organisation immanente du monde, des rapports réglés d'affinité, de sympathie etd'analogie...etc.

D'où la place prise dans de telles cultures par des activités comme l'astrologie ou encore l'alchimiequi séduisaient l'imaginaire en postulant précisément qu'il existe des rapport entre les êtres au delà de ce qui estempiriquement constatable, des relations qu'il faut interpréter, un sens caché qu'il faut déchiffrer.

Déchiffrer ce sensconsistait précisément dans la mise en évidence d'affinités mystérieuses entre certaines substances (alchimie), ou àla construction de rapport tout aussi hypothétique entre le mouvement des planètes et la vie des êtres humains.Dans tout les cas, le réel apparaissait comme un ensemble de signes qu'il fallait savoir interpréter pour faire surgir ceque l'on tenait pour vrai.

Or, il est révélateur de saisir comment était perçu alors le fou ou l'insensé dans un teldispositif : il était celui qui mélange tous les signes, qui les brouille en les chargeant « d'une ressemblance qui finit par les effacer ».

En effet, le fou est celui qui, tel Don Quichotte, « ne voit partout que ressemblances et signe de ressemblance : tous les signes pour lui se ressemblent, et toutes les ressemblances valent comme des signes », en sorte qu'il « prend les choses pour ce qu'elles ne sont pas et les gens les uns pour les autres. ».

Même pour l'alchimie ou l'astrologie, n'importe quelle interprétation de ce qu'elles tenaient pour des signes n'était pas possible :il existait à leur égard de matériel de signes, des règles d'interprétation fondées dans ce qu'avaient en eux derigoureusement réglé les rapports qu'elles croyaient apercevoir dans l'ordre du monde.

En revanche, le fou déjouetout réglage possible de l'interprétation, il est le « joueur déréglé du même et de l'autre », il est celui pour qui tout signe peut signifier n'importe quoi, selon les heures et les humeurs.

Vivant jusqu'à l'extrême équivocité des signes,considérant que tout est à démasquer, il démasque sans cesse et aboutit à tout confondre, tout dissimuler, toutmasquer.

Dans l'espace de la folie, tout sens s'efface dans la confusion.

Conclusion.

La problématique classique de l'interprétation reste placée sous le signe d'Hermès en ce qu'elle tente de retrouverefficacement le signifié qui se dissimule derrière l'ensemble des signifiant, elle tente de lever le voile.

C'est cela quela pensée contemporaine critiquera comme étant un résidu de la pensée métaphysique.

On pense alors encore enterme d'essence où se tient la vérité et en terme de phénomène qui vient comme ornement inutile et accidentellebrouiller le message, détourner l'intention et même tromper.

Derrida dans son ouvrage De la grammatologie , critique cette recherche effrénée d'un « signifié originaire » comme racine ultime du processus de signification.

On ne cherchera alors plus en amont des signifiants, et le processus de signification sera ainsi raturé.

Ainsi repensée,l'interprétation n'est, par définition jamais terminée : jamais elle n'atteint un signifié ultime dont les réseaux designification qu'elle s'emploie à déconstruire seraient seulement des traces déformées.

Il n'y a en fait que des. »

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