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Le souvenir retrouvé

Publié le 06/06/2011

Extrait du document

Lorsque la mémoire même perd quelque chose, comme il arrive quand nous oublions et que nous cherchons à nous ressouvenir, où cherchons-nous sinon dans notre mémoire. Et lorsqu'elle nous offre une autre chose, nous la rejetons jusqu'à ce qu'elle nous présente ce que nous cherchons ; et quand elle nous le présente, nous disons : voilà ce que je cherchais ; ce que nous ne dirions pas si nous ne le reconnaissions ; et nous ne le reconnaîtrions pas si nous ne nous en souvenions. Nous l'avions oublié néanmoins, mais non pas entièrement ; et nous nous servions du souvenir que nous en avions en partie, pour chercher l'autre partie que nous avions oubliée, parce que notre mémoire sentait bien qu'elle ne se représentait pas toutes les choses qu'elle avait accoutumé de se représenter en même temps ; et qu'ayant en quelque sorte la même peine qu'un homme qui, voulant marcher, ne peut remuer qu'une de ses jambes, elle faisait tous ses efforts pour retrouver ce qui lui manquait... S'il arrive que nous ayions oublié le nom (d'une personne) et que nous le cherchions, nous rejetons tous les autres noms qui n'ont nulle liaison avec l'idée de cette personne... et nous ne sommes point contents jusqu'à ce que nous ayons retrouvé celui dont l'image avait accoutumé d'accompagner dans notre mémoire celle de cette personne. Mais d'où peut venir ce nom pour s'offrir à nous sinon de notre mémoire ? Et lorsque nous le reconnaissons quand quelqu'un nous en a averti, c'est de la mémoire encore qu'il vient, car nous ne le reconnaissons pas comme nouveau, mais notre souvenir fait que nous demeurons d'accord que c'est le nom que nous cherchions ; au lieu qu'on nous en avertirait inutilement s'il était du tout effacé de notre mémoire. Ainsi, nous ne pouvons pas dire avoir du tout oublié ce que nous nous souvenons d'avoir oublié ; et nous ne pourrions pas chercher ce que nous aurions perdu, si nous l'avions entièrement oublié. «

Saint AUGUSTIN, Les Confessions, liv. X, ch. XIX, tr. d'ARNAULD D'ANDILLY.   

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