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SPINOZA: Descartes et ses principes...

Publié le 22/02/2012

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spinoza
Mais, puisque nous pouvons joindre à une volonté quelconque un mouvement quelconque de la glande et conséquemment des esprits, et que la détermination de la volonté dépend de notre seul pouvoir, si nous déterminons notre volonté par des jugements fermes et assurés suivant lesquels nous voulons diriger les actions de notre vie, et joignons à ces jugements les mouvements des passions que nous voulons avoir, nous acquerrons un empire absolu sur nos passions. Telle est la manière de voir de cet Homme très célèbre (autant que je peux le conjecturer d'après ses paroles) et j'eusse eu peine à croire qu'elle provînt d'un tel homme si elle était moins subtile. En vérité je ne puis assez m'étonner qu'un philosophe, après s'être fermement résolu à ne rien déduire que de principes connus d'eux-mêmes, et à ne rien affirmer qu'il ne le perçût clairement et distinctement, après avoir si souvent reproché aux Scolastiques de vouloir expliquer les choses obscures par des qualités occultes, admette une hypothèse plus occulte que toute qualité occulte. Qu'entend-il, je le demande, par l'union de l'Ame et du Corps? Quelle conception claire et distincte a-t-il d'une pensée très étroitement liée à une certaine petite portion de l'étendue? Je voudrais bien qu'il eût expliqué cette union par sa cause prochaine. Mais il avait conçu l'Ame distincte du Corps, de telle sorte qu'il n'a pu assigner aucune cause singulière ni de cette union ni de l'Ame elle-même, et qu'il lui a été nécessaire de recourir à la cause de tout l'Univers, c'est-à-dire à Dieu. Je voudrais de plus savoir combien de degrés de mouvements l'Ame peut imprimer à cette glande pinéale et avec quelle force la tenir suspendue. (...) Et certes, n'y ayant nulle commune mesure entre la volonté et le mouvement, il n'y a aucune comparaison entre la puissance — ou les forces — de l'Ame et celle du Corps; conséquemment les forces de ce dernier ne peuvent être dirigées par celles de la première. Ajoutez qu'on cherche en vain une glande située au milieu du cerveau de telle façon qu'elle puisse être mue de-ci de-là avec tant d'aisance et de tant de manières, et que tous les nerfs ne se prolongent pas jusqu'aux cavités du cerveau. Je laisse de côté enfin tout ce qu'affirme Descartes sur la volonté et sa liberté, puisque j'en ai assez et surabondamment montré la fausseté. Puis donc que la puissance de l'Ame se définit, je l'ai fait voir plus haut, par la science seule qui est en elle, nous déterminerons les remèdes aux affections, remèdes dont tous ont, je crois, quelque expérience, mais qu'ils n'observent pas avec soin et ne voient pas distinctement, par la seule connaissance de l'Ame et nous en déduirons tout ce qui concerne sa béatitude. Éthique, (1677). Cinquième partie, De la puissance de l'entendement ou de la liberté de l'homme, préface. Traduction Ch. Appuhn, Paris, Garnier, 1953, p. 171-173.
spinoza

« L'exemple le plus suspect de ce recours à l'occulte, qui exige en effet qu'on s'interroge : l'inintelligibilité de l'union del'âme et du corps (telle qu'en outre elle se concentre et se particularise dans la région de la glande pinéale) ni claireni distincte, alors qu'elle joue un rôle central dans la problématique des Passions de l'Ame. Raisons de cette obscurité, un défaut d'explication (pas de cause prochaine de ce mode d'existence) masqué par un excès (le recours à Dieu), et l'absence de toute explicitation (au niveau de la glande pinéale) de l'essence mécanique du phénomène décrit (les degrés de mouvement, la force). Les deux objections majeures qu'on peut faire pour finir à cette hypothèse (du « mécanisme » de la glandepinéale pour « élucider » le « mouvement » des passions) : l'un d'ordre logique (entre deux termes sansrapport, la volonté de l'Ame / le mouvement du Corps, il ne saurait y avoir ni comparaison, ni action de l'un surl'autre), et le second d'ordre physique (la disposition anatomique s'oppose à ce que l'hypothèse suppose). Survient alors (Je laisse de côté enfin...

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la fausseté) comme incidemment, mais en point d'orgue, lerappel du point capital (que Spinoza ne laisse de côté que pour nous inviter à refaire tout le chemin) : la thèsecartésienne sur la volonté et sa liberté (qui est au coeur de sa morale) est fausse. d. La conclusion (Puis donc que...

—> fin du texte) s'impose : on ne peut parachever une Éthique que sur la seule base de la connaissance distincte de l'Ame (et en elle assurément, de la nature de la volonté); à cette condition la philosophie peut être à l'Ame ce que la médecine est au Corps (remèdes aux affections, fondésdans l'expérience commune et en raison) : réactualisation d'une vieille analogie... e. On voit les difficultés que présente le commentaire d'un tel texte, tant il présuppose acquises la familiaritéavec la théorie cartésienne et la compréhension des quatre livres de l'Éthique qui précèdent cette « préface », tant il implique aussi de références précises.

On ne pourra donc que se contenter ici, en allant à l'essentiel,d'éclairer un peu plus les aspects et les enjeux principaux de la critique spinoziste. 3.

La contestation de Spinoza tire ses raisons, bien évidemment, de tout ce que sa propre déduction a établi depuisles définitions et les axiomes par lesquels s'inaugure son Éthique (et chacune de ses parties).

La glande pinéale (commençons par le plus particulier)? Telle que Descartes la conçoit et la fait « fonctionner », nous dirions que c'estune pure fiction, imaginée pour le besoin de la théorie.

Or il faut se rappeler que toute imagination, pour Spinoza,relève, comme d'ailleurs toute passion, du registre des idées inadéquates (corrélatives d'affections corporelles, impliquant l'action de corps extérieurs, dont la connaissance, de ce fait, ne peut être que confuse).

De toute façon, le cadre même qui lui prescrit sa place dans la philosophie cartésienne (l'action réelle de l'âme sur le corps et réciproquement, du fait d'une union si étroite qu'ils ne forment dans l'homme qu'une seule chose, union substantielle donc, que Dieu a voulu telle malgré la distinction réelle de la substance pensante et de la substance étendue 3) est aux yeux de Spinoza irrecevable.

Développer la cohérence de la substance une (Dieu), c'est nécessairement faire de la pensée et de l'étendue deux attributs seulement de la substance par lesquels celle-ci est conçue; c'est admettre qu'il' ne peut y avoir de relation causale de l'une à l'autre, que toute explication par la cause prochaine,indispensable pour tout ce qui n'existe pas par soi, ne peut se faire que de mode en mode sous le rapport de lapensée ou de l'étendue.

Bref, la conception spinoziste de l'union de l'âme et du corps qui résulte de ces exigences logiques, à savoir leur parallélisme, ne peut que déboucher sur la récusation de toute détermination de l'âme (à penser) par le corps, comme de toute détermination du corps (au mouvement ou au repos) par l'âme.

Mais voicil'essentiel (car ici, la métaphysique se fait immédiatement pratique) : il en résulte aussi que la liberté de la volonté est une illusion, par quoi se défait tout le sens de la thèse rappelée dans les premières lignes.

Les rapports entrevolonté et entendement (sur la nature desquels Descartes assoit toute sa théorie de l'erreur et qui implique touteune essence de la liberté), redéfinis par Spinoza, rendent caduque la volonté comme faculté ou pouvoir distinct (ycompris la volonté de Dieu, cet « asile de l'ignorance ») : elle n'est que cause nécessaire ou contrainte, se ramène à des volitions singulières, toujours causées, qui ne sont rien d'autre que les idées en tant qu'elles enveloppent affirmation ou négation; elle se confond avec l'effort pour persévérer dans l'être (le conatus) de l'Arne" . 4.

Il faut alors dégager la signification pratique de ces thèses (ces « théorèmes »), apparemment si contraires, nonseulement au point de vue de Descartes, mais encore au sentiment commun que nous avons de notre libre-arbitreet de son importance morale.

L'illusion de la liberté, c'est de croire qu'on peut acquérir un empire absolu sur nospassions.

Pour Spinoza, ce serait troubler l'ordre de la nature : or l'homme, précisément, « n'est pas un empire dansun empire » et n'a « son impuissance ou son inconstance » que dans « la puissance commune de la nature ».

Mais si la liberté est illusoire (en tant qu'elle n'est que la nécessité), il n'empêche que l'homme, qui ne naît pas libre, peutle devenir : l'identité de la volonté et de l'entendement, qui paraît supprimer l'essence de la liberté, fournit aucontraire le moyen de la libération.

« Un sentiment qui est une passion cesse d'être une passion sitôt que nous enformons une idée claire et distincte .

» Plus on augmente son intelligence des choses (de la nature ou de Dieu : c'est la même nécessité), plus on accroît la puissance de l'entendement, plus on intensifie l'effort de la volonté, plus onagit, moins on est passif, moins on est « serf ».

Telle est la « souveraine vertu », pour Spinoza : la même chose que« le suprême effort de l'âme » (ou de l'esprit — mens en latin) qui est « de comprendre les choses par le troisième genre de connaissance ».

Voie très ardue, reconnaît Spinoza, en conclusion de l'Éthique : mais la satisfaction de l'âme qui en résulte (la béatitude) est aussi « le vrai salut ».. »

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