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Stello et Chatterton d'Alfred de Vigny: Détresse et poésie

Publié le 27/06/2011

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Vigny écrivait à Brizeux le 30 mars 1831 : Les parias de la société sont les poètes, les hommes d'âme et de cœur, les hommes supérieurs et honorables. Tous les pouvoirs les détestent, parce qu'ils voient en eux leurs juges, ceux qui les condamnent avant la postérité. — Ils aiment la médiocrité qui se vend bon marché, ils la craignent parce qu'elle peut jeter sa boue ; mais ils ne craignent pas ceux qui planent comme ceux qui pataugent. — Ha ! quelle horreur que tout cela ! Ce texte contient déjà l'idée maîtresse de Stello et de Chatterton.

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« qui se déploie souvent en marge des lois, des coutumes et des mœurs : « L'Imagination ne vit que d'émotionsspontanées et particulières à l'organisation et aux penchants de chacun.

» Comment s'étonner si des malentendusse produisent, si telle voix singulière ne parvient pas à se faire comprendre ? Bien des poètes se font courammenttraiter de fous, car une certaine dose de folie est nécessaire pour l'élaboration d'une certaine poésie.

Si lescréateurs d'épopée ont exprimé jadis l'âme collective de leur temps, le lyrisme contemporain consiste dansl'exaltation des singularités d'un tempérament : sans cesse s'accentue un désaccord entre le Sens Commun «t laPoésie.Il ne faut d'ailleurs pas ramener Stello à un schéma trop simple.

Vigny ne s'est pas contenté, dans ce récit,d'évoquer le triste sort du poète moderne ; il a défini les problèmes principaux qui se posaient à son esprit après laRévolution de 1830 ; en particulier, il a fixé son attitude en face des pouvoirs politiques.Légitimiste déçu, Vigny pratique désormais une sorte d'agnosticisme à l'égard des principes sur lesquels prétendentse fonder les divers régimes.

Il emprunte à Pascal sa critique de la propriété, de l'hérédité, de la capacité ; et ilconclut que le raisonnement est impuissant à détruire ce vieil adage de la sagesse populaire : « Notre ennemi, c'estnotre maître ».

Il constate, d'autre part, l'effondrement des idéaux qui donnaient jadis un élan à la foi politique, «lorsque le drapeau blanc de la Vendée marchait au vent contre le drapeau tricolore de la Convention » ; aujourd'hui,hélas ! tous les drapeaux se confondent et nul ne sait au juste pour quelle cause prendre les armes.

Dans cesconditions, le choix d'un parti ne dépend ni d'une réflexion motivée ni d'un enthousiasme généreux, mais d'unconcours de circonstances fortuites et sans grandeur : « C'est une affaire de sentiment et puissance de fait,d'intérêts et de relations ».

La politique appartient donc à l'ordre du relatif, du contingent ; l'autorité reposetoujours sur un mensonge.Or aucune théorie absolue ne saurait être édifiée à partir d'un mensonge, ni même d'une vérité relative ; et Vignymarque une défiance particulière à l'égard de tous les doctrinaires politiques.

Le Docteur-Noir, qui doit sa prudentesagesse à son génie de l'analyse, condamne « cette violente passion de tout rattacher à tout prix à une cause, àune synthèse, de laquelle on descend à terre et par laquelle tout s'explique » : selon lui, cet esprit systématique estla cause des abus qui menacent la condition de l'homme en société.Plus particulièrement condamnables sont les systèmes au nom desquels on ose toucher à la vie, ce « feu trois foissacré que le Créateur seul a le droit de reprendre ».

A ce titre, Vigny s'acharne contre la dictature du Comité deSalut Public, sous la Révolution : « [L'assassin] s'épuise à remplir une sorte de tonneau de sang percé par le fond,et c'est aussi là son enfer ».

Mais la monarchie théocratique repose également à ses yeux sur une erreur criminelle ;et c'est en recourant à des axiomes tout aussi redoutables que Joseph de Maistre a édifié sa doctrine monstrueuse.Que l'on invoque la Vertu ou la Volonté divine, on en arrive à justifier des massacres révoltants ; la Terreur blanchen'est pas moins odieuse que la Terreur rouge ; et tous les fanatiques doivent être enveloppés dans la mêmecondamnation :Venez en haillons, venez en soutane, venez en cuirasse, venez, tueurs d'un homme et tueurs de cent mille ; depuisla Saint-Barthélemy jusqu'aux septembrisades, de Jacques Clément et de Ravaillac à Louvel, de Des Adrets etMonluc à Marat et Schneider ; venez, vous trouverez ici des amis, mais je n'en serai pas !Moins redoutables sans doute sont les théories des philosophes qui se préoccupent de construire en esprit la Citéidéale, car aucun homme ne se soucie de les mettre en pratique.

La République de Platon est toujours demeurée unrêve.

« Heureusement pour l'humanité », s'écrie Vigny.

Dans cet édifice savant et, en un sens, parfait, où tous lesindividus sont des rouages de l'État, il n'y avait pas de place pour les poètes, ces inutiles.

La riposte de Vigny,extrêmement profonde, consiste à réhabiliter l'Imagination comme la faculté-reine, en face de la Raison et duJugement, que le philosophe avait pris pour seuls guides :O divin Platon ! votre faiblesse est grande, lorsque vous croyez la plus faible cette partie de notre âme qui s'émeutet qui s'élève, pour lui préférer celle qui pèse et qui mesure [...] Vos doctrines, vos lois, vos institutions, ont étébonnes pour un âge et un peuple, et sont mortes avec eux ; tandis que les œuvres de l'Art céleste restent deboutpour toujours à mesure qu'elles s'élèvent, et toutes portent les malheureux mortels à la loi impérissable de L'AMOURet de la PITIE.Ainsi, Vigny proclame l'éminente dignité du Poète.

En même temps, au rebours de Platon, il lui assigne dans l'Étatune mission.Le problème du rôle à jouer par l'écrivain dans la vie publique est débattu avec ardeur au lendemain de 1830.

Lespoètes romantiques jugent opportun de préciser leur position à ce sujet ; et il importe de discerner leurs attitudesrespectives, pour mieux comprendre celle qu'adopte Vigny.Quelques-uns estiment qu'ils ont le devoir de s'engager.

Au premier rang d'entre eux figure Lamartine, qui, en 1831,se porte candidat aux élections législatives ; dans le poème A Nemesis, il s'adresse à son adversaire républicainBarthélémy, lui-même poète, pour proclamer cette nécessité morale d'un engagement : « Honte à qui peut chantertandis que Rome brûle » ; il affirme son dessein de préserver la liberté contre toutes les tyrannies, celle de ladictature populaire comme celle du césarisme ; il définit une idéologie bourgeoise et libérale ; et quelques annéesplus tard, dans les Destinées de la Poésie, il recommandera au poète de mettre son génie au service d'un idéal social: « [La poésie] doit suivre la pente des institutions et de la presse ; elle doit se faire peuple et devenir populairecomme la religion, la raison et la philosophie.

» Victor Hugo ne va pas aussi loin, au moins à cette date : dans lapréface des Feuilles d'Automne, il oppose à la fragilité des révolutions l'éternité du cœur humain ; mais il estimequ'au cœur humain rien ne doit être étranger ; et il se définit comme un « écho sonore » de son siècle.A ces romantiques plus ou moins engagés s'opposent ceux qui jugent préférable de s'abstenir.

Si Alfred de Mussets'éloigne du Cénacle, aussitôt après le triomphe d'Hernani, c'est, dans une large mesure, parce qu'il regrette de voirquelques-uns de ses chefs jetés dans la mêlée politique ; quant à lui, il n'a pas d'opinions, ou plutôt, s'il en a, ellesvont à contre-courant, car il assiste sans la moindre sympathie aux progrès de l'esprit démocratique ; de toutemanière, il est trop dilettante pour vouloir enrayer ce progrès par son action personnelle : « Si mon siècle se trompe,il ne m'importe guère », déclare- t-il dans la dédicace d'Un Spectacle dans un Fauteuil.

Théophile Gautier montreplus de netteté encore dans la préface d'Albertus : « [L'auteur de ce livre] n'a vu du monde que ce que l'on en voit. »

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