Devoir de Philosophie

Stéphane Mallarmé — Les Fenêtres (commentaire)

Publié le 05/03/2011

Extrait du document

Las du triste hôpital, et de l’encens fétide  Qui monte en la blancheur banale des rideaux  Vers le grand crucifix ennuyé du mur vide,  Le moribond surnois y redresse un vieux dos,    Se traîne et va, moins pour chauffer sa pourriture  Que pour voir du soleil sur les pierres, coller  Les poils blancs et les os de la maigre figure  Aux fenêtres qu’un beau rayon clair veut hâler,    Et la bouche, fiévreuse et d’azur bleu vorace,  Telle, jeune, elle alla respirer son trésor,  Une peau virginale et de jadis ! encrasse  D’un long baiser amer les tièdes carreaux d’or.    Ivre, il vit, oubliant l’horreur des saintes huiles,  Les tisanes, l’horloge et le lit infligé,  La toux ; et quand le soir saigne parmi les tuiles,  Son œil, à l’horizon de lumière gorgé,    Voit des galères d’or, belles comme des cygnes,  Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir  En berçant l’éclair fauve et riche de leurs lignes  Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir !    Ainsi, pris du dégoût de l’homme à l’âme dure  Vautré dans le bonheur, où ses seuls appétits  Mangent, et qui s’entête à chercher cette ordure  Pour l’offrir à la femme allaitant ses petits,    Je fuis et je m’accroche à toutes les croisées  D’où l’on tourne l’épaule à la vie, et, béni,  Dans leur verre, lavé d’éternelles rosées,  Que dore le matin chaste de l’Infini    Je me mire et me vois ange ! et je meurs, et j’aime  — Que la vitre soit l’art, soit la mysticité —  À renaître, portant mon rêve en diadème,  Au ciel antérieur où fleurit la Beauté !    Mais, hélas ! Ici-bas est maître : sa hantise  Vient m’écœurer parfois jusqu’en cet abri sûr,  Et le vomissement impur de la Bêtise  Me force à me boucher le nez devant l’azur.    Est-il moyen, ô Moi qui connais l’amertume,  D’enfoncer le cristal par le monstre insulté  Et de m’enfuir, avec mes deux ailes sans plume  — Au risque de tomber pendant l’éternité ?

Cette pièce de 10 strophes est divisée en deux parties égales : la première (v. 1 à 20) décrit l'attitude et analyse les sensations d'un malade qui, dans une salle d'hôpital, essaye d'échapper â la triste réalité qui l'écrase, et aperçoit, par la fenêtre, le monde extérieur que son imagination fiévreuse transfigure ; dans la deuxième partie (v. 21 à 40) Je poète se compare à ce malade : par la vitre de l'art ou de la mysticité, il tente, lui aussi, de renaître à une autre vie. Mais cette deuxième partie se subdivise : l'avant-dernière strophe contient l'aveu de l'impuissance où se trouve le poète de réagir contre la hantise d'ici-bas (v. 33-36), et la dernière est un appel désespéré (v. 37-40).   

« commentaire Strophe; I.

— L'encens fétide.

L'épithète est, semble-t-il, un peu forcée, surtout tant que nous ne savons pas qu'ils'agit des impressions d'un moribond.

Le poète veut dire que, pour ce misérable (qu'il présentera seulement au vers4), tout a perdu sa saveur essentielle ; car l'encens peut paraître désagréable, suffocant, entêtant...

à un hommebien portant, jamais fétide ; il y a antinomie absolue entre le moï et le qualificatif, et c'est l'effet que Mallarmé acherché.

— Banale s'applique très justement à la blancheur des rideaux.

— Sur le mur vide, on comprend l'impressionque peut faire ce crucifix immobile et? qui semble indifférent aux souffrances dont il est le témoin ; ennuyé suggèreaussi les sentiments de ceux qui sur ce mur vide n'aperçoivent jamais que sa maigre silhouette.

— Sournois veut direque le moribond s'est glissé hors de son lit en échappant à la surveillance de ses gardiens.

— Redresse fait antithèseavec moribond et vieux dos. Strophe II.

— Chauffer sa pourriture.

Mallarmé, souvent délicat jusqu'à la préciosité, aime aussi les termes d'unnaturalisme choquant ; il a subi l'influence non seulement de Baudelaire, mais des Goncourt et de Zola.

— Du soleilsur les pierres.

Il n'y a même pas de verdure dan la rue ou dans lia cour de l'hôpital.

— Le mot coller a une énergiesingulière, surtout avec la suite : les poils blancs et les os de sa maigre figure.

On voit cette silhouette lamentable,et le geste de l'homme qui voudrait traverser l'obstacle de la vitre. Strophe III.

— La bouche d'azur bleu vorace.

On peut discuter, grammaticalement, la construction de vorace avecde et un complément, par analogie avec avide.

Mais vorace continue bien le mouvement donné par coller.

— L'azurest toujours bleu sans doute ; mais il y a des cas où l'épithète de nature attire particulièrement l'attention sur lecaractère essentiel d'un objet ou d'une qualité.

Il peut y avoir aussi un degré d'intensité dans le bleu de cet azur,surtout aux yeux de ce moribond.

—• Encrasse d'un baiser amer est encore une expression naturaliste qui datecette pièce.

Encrasser fait antithèse avec respirer des vers précédents, comme avec l'or des carreaux.

Ici,l'influence de Baudelaire est criante. Strophe IV.

— L'horreur des saintes huiles.

Pour donner aux moribonds le sacrement de l'Extrême-onction, l'Egliseemploie des huiles consacrées.

Le malade en question a assisté, sans doute, à cette cérémonie ; il en a d'horreur,car l'Extrême-onction, comme son nom l'indique est réservée aux mourants.

— L'horloge rappelle les règlements, leshoraires de l'hôpital, la visite des médecins, les pansements à heure fixe, les potions, etc...

— Le lit infligé.

Infligerse dit d'une peine, d'un châtiment ; c'est le cas du lit auquel on condamne le malade.

— Le soir saigne.

Le verbesaigner exprime avec une brutalité naturaliste l'effet produit sur les tuiles par le soleil couchant.

— Son œil, celui dumoribond ; la suite du vers contient une inversion et signifie : gorgé de la lumière qui brille à l'horizon. Strophe! V.

— Encore du Baudelaire : impressions visuelles et olfactiques mêlées : or, pourpre, parfums, éclairfauve...

— Le v.

20 est plus original : ce nonchaloir chargé de souvenirs est une de ces expressions elliptiqueschères à Mallarmé.

Si l'on veut construire toute la phrases on a : Il voit des galères...

dormir sur un fleuve...

enberçant l'éclair fauve de leurs lignes dans un grand nonchaloir...

Dans équivaut à avec = avec un mouvement lentqui peu à peu évoque les souvenirs du moribond. Strophe VI.

— Après l'éclat et le symbolisme de la strophe V, nous retombons ici dans le vocabulaire du naturalisme: pris de dégoût, vautré, appétit, ordure...

Quelle est cette ordure ? Sans doute le bonheur ? Strophe VII.

— Je fuis doit être rattaché à ainsi du vers 21.

— ]e m'accroche, comme le moribond.

— D'où l'ontourne l'épaule à la vie, de même que le moribond tourne le dos à la salle d'hôpital et à tout ce qu'elle contientd'horreur pour lui.

— Dans leur verre.

Verre est mis ici pour vitre que nous retrouverons au vers 30J — Béni, c'est-à-dire, probablement heureux, dans un moment de satisfaction qui est comme une grâce accordée par Dieu.

— Lesdeux derniers vers de cette strophe, comme toute la strophe suivante, sont pleins de lumière et de beauté : rosées,dore, matin chaste... Strophe VIII.

— Un moment d'illusion et d'extase : Je me vois ange...

— Je meurs (à la vie présente et à ses tristesréalités) en rapport avec renaître.

— Ce ciel antérieur : souvenir d'un bonheur perdu (cf.

Lamartine.

L'homme est unDieu tombé qui se souvient des deux.

Médit.

II).

— L'art, la recherche de la beauté idéale, plastique ou intellectuelle: la mysticité, le sentiment religieux.

Strophe IX.

— Ici-bas, la terre, le monde réel.

— Sa hantise, ce mot rappelle l'expression employée par Mallarmédans le dernier vers de l'Azur : Je suis hanté.

Alors, pour exprimer la chute et la déception après l'illusionmomentanée,, retour aux mots vulgaires et bas : écœurer, vomissement, bêtise, boucher le nez... Strophe X.

— Le poète souhaite d'échapper à cette tyrannie de la bêtise : c'est là le monstre qui insulte le cristal,c'est-à-dire qui, au moment où il se mirait dans la vitre et s'y voyait ange, s'est interposé entre lui et la beauté.

Ilcherche s'il ne pourrait briser ce cristal pour s'élancer au-delà, dût-il faire dans l'inconnu une chute éternelle, car iln'est pas très sûr de n'être pas la dupe d'un mirage et de ne rien trouver que le vide derrière cette vitretrompeuse...

Ce doute, il l'exprime d'une façon subtile par mes deux ailes sans plume : il se sent des ailes, c'est-à-dire un immense désir de s'élancer, mais ces ailes sont à peine naissantes ou déjà déplumées.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles