La steppe
Publié le 30/03/2013
Extrait du document
« Il faut s'attacher à de petits détails et les grouper de telle façon qu'une fois le livre fenné, devant les yeux, se fonne un tableau. « (Anton Tchekhov à Alexandre Tchekhov, 1886). Ce dont se souvint l'auteur en composant La Steppe en 1888. Aucun artifice dans ce paysage tel un lavis que semblent esquisser l'ombre et la lumière.
«
" Le seigle moissonné,
les hautes herbes,
l'euphorbe,
le chanvre
sauvage ..• »
r- ------- EXTRAITS
Le premier soleil du matin a le pouvoir
de dissoudre l'habituelle monotonie
diurne de la stepp e
Le soleil, derrière la ville , a déjà risqué un
coup d' œil, et, doucement, sans hâte,
s'est
mis à son œuvre.
D'abord, loin en avant, à
l'endroit où le ciel se joint à la terre, près
de petites collines
et du moulin à vent qui
ressemble de loin à un petit homme agitant
les bras, glisse sur terre
une large raie jaune
vif.
Une minute après , une raie pareille
brilla plus près, glissa à droite, et atteignit
les collines .
Quelque chose de chaud toucha
le dos d' /égôrouchka.
Une raie de lumière,
furtivement arrivée derrière la voiture ,
coula sur elle
et
sur les chevaux,
se
porta vive
ment à la ren
contre d'autres
raies,
et, tout à
coup, toute la
vaste steppe, re
jetant de soi la
pénombre mati
nale , sourit
et
étincela de rosée .
C'est un Tchekho v sob re ment lyrique
que
l'on éco ute ici rac onter le sortilège
p ossi ble
du lieu
A peine le soleil se couche-t-il , et la buée
couvre-t-elle la terre, l'angoisse du
jour est
oubliée ; tout est oublié ,
et la steppe respire
allègrement à
pleine poitrine.
Comme si
l'herbe, dans l'obscurité , ne voyait plus son
âge , il s'élève d'elle un jeune et joyeux cré
pitement qui ne se produit pas le jour.
Craquements, sifflements, crissements, les
basses, les ténors, les altos de la steppe, tout
se mêle en une vibration
ininterrompue, mo
notone , au bruit de laquelle il
fait bon se
concentrer
et s'adonner à la mélancolie .
Le
crépitement monotone endort comme une berceuse
.
On roule et on sent quel' on s'en
dort ; mais on ne sait pas d'
où part ce cri
saccadé
et inquiet d'un oiseau qui ne dort
pas,
ou un son imprécis, étonné dans le
genre d'un a-a
! ressemblant à une voix ; et
l'envie de dormir abaisse vos paupières .
Quelquefois on passe devant un ravin
recouvert de broussailles ,
et on entend un
oiseau que les habitants des steppes appel
lent le
«dormeur », et qui semble crier à
quelqu'un «je dors ! je dors ! je dors! »
( spliou ! spliou ! spliou ! ) ; un autre rit, ou
pleure hystériquement : c' est le hibou.
Pour
qui crient-ils , et qui les écoute, dans cette
plaine ? Dieu le sait ! Mais dans leur
cri ,
il y a beaucoup de mélancolie et de
plainte.
( ...
)
A travers la nuée
on voit tout, mais il est
difficile de discerner les couleurs
et les
contours des choses ; tout semble différent
de ce qui est en réalité.
On avance, et sou
dain on voit devant soi, sur la route même ,
une silhouette ressemblant à un moine.
Le
moine ne bouge pas, attend, et tient quelque
chose dans les mains ...
Serait-ce un
bri
gand ? La figure se rapproche, grandit; elle
est près de la voiture.
Et on voit que ce n'est
pas un homme, mais un arbuste isolé ou une
grosse pierre.
Traduit du
russe par
Denis Roche
" Une raie de lumière
( ••.
)se porta vivement à la rencontre d'autres
raies ..• »
NOTES DE L'ÉDITEUR
Pour dire ce bonheur du souvenir,
Tchekhov use
d'une écriture sobrement
impressionniste :
une sensation que suit sa
cause naturelle.
Son réalisme symbolique qui
chantait.
» Iégôrouchka et les rouliers
sont surpris par un orage.
L'effroi panique
de l'enfant est discrètement montré dans
le choix juste
d'un détail immédiat: « Sur
le ciel, comme si quelqu'un eût frotté entrevus
».
Aussi
bien, Iégôrouchka-Anton
qui
« voit tout en nouveauté », ne peut que
s'étonner face au spectacle
du « pays
fantastique
» offert à son regard ravi.
le sert pour animer l
'inanimé: un
anthropomorphisme senti, sans
anthropocentrisme, construit, avec une
intuition de la nature presque douloureuse.
« Un doux chant retentit tout à coup ...
Mais
où? Et de quel côté?( ...
) A force d'écouter
il sembla à Iégôrouchka que
c'était l'herbe une allumette,
brilla une pâle raie
phosphorescente, puis elle s'éteignit.
»
Tchekhov se souvient des voyages qui
duraient plusieurs jours pour arriver chez
son grand-père, régisseur de la comtesse
Platov, voyages ponctués de
« feux allumés
le soir, de jeux , de chants et de visages
1 Si pa · k'JOO 2 le Dégel.
de Fiodor Al exandrovilch Vass iliev / D .R .
3 Sur la Rive.
de 1.
R épine / D.R .
4 La Rue du village .
F.
A.
Vassiliev / D.R .
« Dans ce poème à la gloire de la steppe ,
Tchekhov , qui disait ne pas aimer la
poésie, se révèle pour la première fois
comme un grand lyrique [qui célèbre]
l'ivresse de vivre et la joie d'être jeune.
»
Sophie Laffitte, Tchekhov, 1963.
TCHEKHOV03
(.
»
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