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Suis-je maître de mes jugements ?

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

On peut définir le jugement comme l'attribution d'un prédicat à un sujet : si je dis que l'eau est froide, c'est par exemple un jugement. Le jugement s'oppose par exemple au préjugé, qui est une opinion précédant toute activité de l'entendement. Le jugement, c'est donc à la fois le résultat de l'activité de l'entendement, et l'activité elle-même, tout comme dans le domaine judiciaire un jugement correspond à la fois à l'activité délibérative du juge et au verdict rendu par celui-ci. Être maître de ses jugements, ce serait donc être celui qui les commande, tout comme le maître dans une maison s'oppose à l'esclave : le premier donne les ordres, le second les reçoit. Spontanément, nous pouvons répondre que nous sommes effectivement maîtres de nos jugements, puisque sans cela, ils seraient de simples préjugés : non seulement ils sont le résultat d'une délibération critique, mais il nous incombe également de les remettre en question, de les évaluer avec un regard critique au lieu de les subir. Mais en même temps, cette position pose problème : en effet, par nos jugements, nous prétendons souvent affirmer une vérité, or, celle-ci peut être définie comme l'adéquation de la pensée avec la réalité. Comment dès lors affirmer encore que nous sommes maitres de nos jugements, puisque nous prétendons en même temps qu'ils ne dépendent pas de notre seul bon vouloir ou d'un caprice, mais bien plutôt de la réalité elle-même ?

« C.

Or, si nous ne sommes pas entièrement maîtres de nos jugements, cela permet de comprendre pourquoi nous nous y accrochons parfois si fermement : ils ne nous apparaissent pas comme relevant de notre seulbon vouloir, mais bien comme une conclusion évidente que nous tirons de notre perception et notre souvenirde la réalité III. Jugement épistémique et jugement moral A.

Nous pourrions mettre cette thèse en parallèle avec un propos de Bacon extrait du Novum Organum : l'homme ne peut « vaincre la nature qu'en lui obéissant », autrement dit, si l'on veut dominer les phénomènesnaturels, il faut les comprendre : le paratonnerre parvient par exemple à éviter des catastrophes naturellesuniquement parce qu'il utilise les propriétés de la foudre.

Il faut donc se plier aux lois de la nature si l'onveut, un jour pouvoir dicter sa loi à la nature.

Or, on pourrait dire la même chose de la vérité et du rapport àla réalité qu'elle suppose : l'homme ne saurait atteindre la vérité sans d'abord épouser les contours de laréalité.

Un jugement maitrisé n'est pas un jugement que l'homme élaborerait selon son bon vouloir, maisplutôt un jugement qui n'est autre que le résultat de la soumission de sa volonté à la réalité.

Être maître deses jugements, ce n'est pas les transformer en caprice, mais les indexer à ce qui ne dépend pas de nous : laréalité objective extérieure.

B.

Le débat qui oppose Descartes à Leibniz a un pan théologique incontestable : nous l'avons dit, selon Descartes la volonté infinie de l'homme lui vient de ce qu'il a été créé à l'image de Dieu.

En effet, selonDescartes, c'est Dieu qui a décidé en toute liberté de ce qui était bon et de ce qui était mal.

Ces deuxvaleurs ne précèdent pas le choix divin, mais découlent de lui.

Or, pour Leibniz, au contraire, Dieu lui-mêmeest une sorte d'esprit calculateur infiniment puissant capable de choisir le meilleur des mondes possibles(après avoir calculé tous les mondes possibles) mais qui ne peut choisir de définir ce qui est bien ou ce quiest mal.

Chez les deux philosophes, nous voyons donc que choix humain et choix divin sont intimement liés,dans la mesure où le choix divin est le paradigme du choix.

C.

Or, il nous semble intéressant à ce moment de notre réflexion de distinguer le jugement épistémique (c'estcelui que nous avons étudié jusqu'à présent) et le jugement moral.

En effet, si l'on peut admettre que pourjuger ce qui est vrai et ce qui est faux l'esprit doit se soumettre à la réalité et que l'on n'est maître de sesjugements qu'en étant maître des conditions dans lesquels nous les exerçons, on peut affirmer que dans ledomaine moral (savoir ce qu'il est bon ou mauvais de faire), l'entendement ne peut se contenter de se plier àla réalité pour être maître de lui.

C'est la thèse principale soutenue par Sartre dans L'existentialisme est un humanisme : l'exemple le plus typique est celui de l'étudiant qui vient le voir parce qu'il se trouve confronté à un cas de conscience : il doit choisir entre s'engager dans la résistance et abandonner sa mère dévastéepar la mort de son frère et la collaboration de son père ou rester auprès d'elle pour la soutenir, ce quireviendrait à négliger ses devoirs patriotiques.

Toute l'erreur de l'étudiant, c'est de croire qu'il y a un bon etun mauvais choix, et qu'il lui incombe de comprendre lequel est lequel pour ne pas se tromper : il confondchoix épistémique et choix moral.

Il attend qu'une information (à ce moment précis du récit : le conseil deson professeur) lui dévoile quel choix il doit faire.

Or, ce que Sartre montre, c'est que c'est lui seul qui doitdéfinir ce qu'il est bon pour lui de faire dans ce cas précis.

Il est alors entièrement maître de son jugement,aucune information épistémique ne sera suffisante pour lui dire quoi faire.

On pourrait grossièrement dire quele sujet humain est chez Sartre ce que Dieu était chez Descartes : entièrement libre de définir le bien et lemal, qui ne peuvent naitre que par son propre jugement. Conclusion En conclusion, on pourrait dire qu'il nous semble raisonnable de distinguer la sphère épistémique et la sphère morale pour savoir si je suis maître ou non de mes jugements.

En effet, dans la sphère épistémique, celle du vrai etdu faux, dire que nous sommes entièrement maîtres de nos jugements, ce serait les délier de la réalité objective àlaquelle ils aspirent à correspondre, et ce serait en fin de compte leur nier toute valeur.

Un jugement dont l'espritserait entièrement maître est un jugement qui renie la part de la réalité et qui se renie alors lui-même commejugement.

Dans le domaine de la vérité, on peut donc dire que l'esprit n'est maître de ses jugements qu'en sesoumettant à la réalité.

Par contre, dans la sphère morale, l'esprit qui cherche à quoi se soumettre perdcomplètement la maitrise de ses jugements et renie sa liberté (et par là même sa responsabilité) : il doit alors nonseulement délibérer, mais réellement construire un jugement de toute pièce.. »

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