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Sur l'art

Publié le 07/06/2013

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SUR L’ART Mai 1949 Discours lors de l’inauguration d'un cours de dessin et peinture exercé par André Bouguénec pour “Les Amis des Arts” en Mai 1949 Monsieur le Président, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Je n'ai pas l'intention de vous faire une conférence, parce que je ne suis vraiment pas qualifié ni doué pour cela. Et je vous demande même d'excuser ma maladresse à vous exposer plus ou moins clairement ce que je ressens lorsque je me vois obligé d'exprimer mon opinion, toute personnelle sur l’art et l'éducation artistique. Mais il est nécessaire pour moi et pour vous, à l'ouverture de ces Cours des “Amis des Arts” à Nantes, de définir ce qu'ils seront, de tracer notre programme d'avenir, de faire connaissance sur le terrain de l’art et de vous fournir dès aujourd'hui quelques éléments intellectuels indispensables au feu sacré qui vous consume déjà et va transformer vos sensations, vos émotions en des sentiments infiniment plus riches. Telle est l’influence de l’art sur l’homme. Il m’aurait été facile de glaner dans la littérature d'Art, des formules toutes faites, vous pouvez les trouver vous-mêmes, elles vous serviront. Mais, parce que vous allez être mes compagnons de travail et mes amis, je n’aurais pas trouvé en ce procédé la conviction, l'élan, avec lesquels Je voudrais vous faire comprendre, sinon avec autant d'éloquence, mais avec plus de foi, les secrets dissimulés dans le phénomène artistique qui incite les humains vers un Art d'expression. J’aimerais également vous faire sentir l’importance de l’Art dans la vie humaine, dans l’exploitation de toute la gamme de nos sensibilités. L'Art n'est pas seulement pictural, auditif ou chorégraphique, c'est tout l’art de vivre que nous devons découvrir. Ceci est à tel point fondamental. que les pulsions artistiques qui animent certains et sous autres formes d'expression, viennent justement de l’inaccomplissement des valeurs endormies dans l’homme qui veulent s’épanouir par toutes ses possibilités d'expression vitale. Cela peut s'appeler l'Amour de la Vie, l’appétit de la Beauté, de la grâce, et aussi l’esprit de création qui fait d'un être l’émule de la Nature dont il est issu. Ceci dit, les buts de notre comité, en inaugurant ces cours sont : de développer l’importance et le renom de notre Société Artistique par la qualité et l’ampleur de ses expositions annuelles, et de permettre à tous vos amis qui désireraient s'adonner à l'Art pictural de venir apprendre, s’instruire, développer ou compléter leurs connaissances artistiques. Ces cours auront également l’avantage, en dehors de l’enseignement, de créer entre vous un esprit Artistique et une émulation qui n'est pas à dédaigner pour l’évolution de notre entreprise aussi bien que pour le progrès de chacun. D'autre part, nous avons l’intention de vous faire entendre de temps en temps une conférence ou une causerie faite, soit par une personne compétente d'une spécialité artistique, soit par un artiste bienvenu qui voudra bien nous faire profiter de ses lumières. Le domaine est vaste, et à ces réunions seront invités même ceux qui ne pratiquent pas l'Art mais qui, tels les sportifs des gradins qui sont quelquefois plus “chauds” que les joueurs, aiment à donner leur sentiment en ces nobles choses. Des sorties sont prévues pour l’étude de la nature. Des visites aux musées avec commentaires d'un connaisseur. J'ai, pour ma part, l’intention de placer dans nos cours quelques séances de critique d'Art, ou plutôt d’éducation artistique. Par exemple : devant un tableau ou une oeuvre d'Art, je vous demanderai d'exprimer vos impressions, vos observations, votre jugement, vos sentiments surtout. Vous les discuterez entre vous, vous chercherez à découvrir la pensée de son auteur, à l'apprécier comme il le désirait et ensuite à proposer vous-même la façon dont vous auriez traduit le sujet selon vos moyens, votre goût et votre personnalité. Je vous ferai étudier la facture de leur oeuvre, leur méthode de travail, découvrir leurs secrets et en tirer parti. Chacun recueillera ce qui l’influence et concorde avec son tempérament pour une meilleure technique de travail. D’ailleurs, chaque sujet ou modèle destiné à être dessiné ou peint fera d'abord l’objet d'une étude éducative quant à sa représentation morphologique, esthétique, colorée, picturale et symbolique. Lorsque nous ferons du modèle vivant, non seulement nous reproduirons les formes académiques du sujet. mais nous étudierons les attitudes diverses les plus expressives et les plus belles du modèle pour un thème donné. Mon but, voyez-vous, est, non seulement de vous donner une technique mais de créer en vous un esprit artistique intelligent et sensible, capable de vibrer avec harmonie à tout ce qui frappera votre imagination par vos sens éduqués à la recherche de l'Art dans la vie. Et croyez-moi, vos oeuvres acquerront de l'intérêt, deviendront attrayantes même si leur facture est encore maladroite soit par un progrès laborieux de vos moyens. soit à cause de votre brève expérience. Et même si quelques-uns sont tentés par une technique moderne de leur choix ou par une création personnelle, ou par une facture paresseuse de la forme, il restera la présence de votre désir mental d’avoir voulu traduire quelque chose exprimant un caractère de valeur intelligente sympathique à tous sentiments dignes d'être humainement ressentis. Malgré l’effort que fournira le comité pour votre éducation artistique, il est évident que le succès de celle-ci dépend pour une grande part de votre travail personnel. Ce n'est pas une centaine de minutes par semaine et les meilleurs conseils qui feront de vous des Rubens, ne vous découragez surtout pas, toute entreprise est une question de volonté. Je veux faire de vous des artistes. Je vous demande. avec moi, de désirer avec ardeur le devenir. Mais déjà, tout humain est une oeuvre d’art à exploiter, à réveiller, s’il VEUT ! Sans passion, sans rêve, sans volonté d’atteindre un but, il est impossible à tout être, non seulement d'acquérir quoi que ce soit, mais de s’accomplir dans l’ordre humain qu’il représente vers une destinée inscrite dans ses gènes qu'il doit librement éveiller. C'est une erreur dans beaucoup de système d’éducation ou d’enseignement de séparer l'intelligence et le sentiment de l’activité et de la réalité : il en résulte chez le disciple soit un automatisme sans jugement, soit une abstraction par trop immatérielle. En ce qui concerne l'enseignement artistique on néglige trop souvent l’éducation sentimentale et psychique de l'élève pour ne lui inculquer seulement que les moyens, les méthodes, les trucs, les combinaisons qui en font, comme je viens de le dire, un automate, peut-être excellent exécutant mais dont les oeuvres manqueront de sensibilité, de vie, de passion ou de subtilités spirituelles qui en font toute l'âme d'un tableau et qui vous emmènent avec elles rejoindre l’imagination de l’auteur jusqu’à faire oublier la matière et la technique de l’oeuvre. La peinture, comme tous les métiers, tous les Arts, s'apprend. Plus ou moins aisément selon les qualités innées de chacun, c'est évident. Il faut aussi intelligemment profiter de ce que le passé artistique a donné de bien et d'utile ; ne rien vouloir tenir des aînés sous prétexte d’originalité est une erreur. Mais il faut également s’intéresser aux manifestations et aux efforts les plus modernes, puisque l'Art subit une évolution constante. Il reste à déterminer, chacun selon ses opinions, le cadre de cette évolution qui semble actuellement prendre un polymorphisme assez hardi. Mon rôle n'est pas actuellement de vous lancer vers l'Art moderne :je pourrai à la rigueur vous aider à le comprendre, car il ne manque pas d'intérêt, mais je préfère vous avouer dès maintenant, et je vous prie d'excuser ma franchise : il me sera impossible de vous le faire aimer. Je m’abstiendrai en vous enseignant de créer ce qu'on appelle une “Ecole”. Je me bornerai à vous apprendre l'Art classique qui, comme vous le verrez est tout de même infiniment riche et varié dans toutes les manifestations de son expression. Il est bien difficile de définir l'Art et de prétendre en peinture quelle méthode est la bonne. “ qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son ”. Et vous perdriez l'ouïe si vous vouliez écouter toutes les opinions. Ainsi, je ne fais que vous exprimer la mienne qui est modestement classique, je ne m’en cache pas. Cela n'est pas nécessairement la bonne, les autres la valent. Il y a autant de manières de traduire la nature qu’il y a d’individus. Dites-vous bien que jamais deux artistes n'auront la même conception d'une même forme, d'un sujet, tellement la personnalité joue un rôle important dans l’appréciation. Pour vous donner une idée de la variété d’expression picturale, je vous rappelle seulement quelques écoles : Primitifs - Classicisme - Davidisme - Romantisme - Réalisme - Préraphaélisme -Impressionnisme-Néo-Naruralisme Néo-Réalisme - Futurisme - Pointillisme - Fauvisme - Surréalisme, et j'en passe : faites votre choix ! Aussi, je me garderai bien de définir l'Art par ses éléments visuels, dans ses rapports avec l'esthétique mais plutôt par sa qualité intrinsèque par rapport à l’homme : L'Art est un moyen qui transforme notre comportement habituel vers une évolution plus affinée de nos sensations et de nos expressions dans tous les domaines. C'est la recherche de l’idéal, en soi, pour mieux l'exprimer dans une réalité concrète : peinture, musique, littérature, théâtre, danse, etc... Vous pouvez concevoir d'autres formules, mais vous me concéderez que ce qui résulte de toute production artistique est une sensation intérieure qui a une influence indéniable sur notre système émotif et ses conséquences. Donc, il est évident, que tout enseignement artistique ne doit pas s'écarter d'une éducation émotive pour retrouver celle-ci dans ses oeuvres. La peinture est une forme matérialisée de la pensée et des sentiments, le procédé graphique et la composition en font partie. L'Art est avant tout une composition mentale, intellectuelle, psychique ; aussi la valeur de l'oeuvre sera toujours représentative de l’intelligence, de la sentimentalité, ou du caractère de son auteur. Voyons le procédé graphique : Si nous considérons le processus par lequel un acte aboutit à sa réalisation, nous constatons que, au départ, une idée se forme dans notre cerveau, donnant naissance à une représentation de l’acte que nous nous proposons d'accomplir. La main obéit au mécanisme du concept psychique, c'est à dire à l’habileté avec laquelle on imagine le moyen : d’exécution, de traduction de l’image, de la forme, ou de la couleur, observées par l’oeil et transformées par l’intelligence en réflexes mécaniques exécutés par la main. Celle-ci sera d'autant plus habile que ce travail mental se fera plus clairement. D'ailleurs la plupart du temps ce processus se fait intuitivement chez les sujets doués, ce qui n'empêche pas de le décomposer pour l’appliquer quand il faut. C'est le cerveau qui doit guider le crayon ou la brosse et non les caprices de ceux-ci qui doivent éclairer l’imagination, car, cette dernière méthode ne donne pas de résultats suivis. L’exécution est le parachèvement de la pensée. Toute composition picturale comprend trois phases : Méditation, esquisse, exécution. Nous verrons cela bientôt en pratique. Mais j’insiste, vous ne saurez jamais assez que l'Art, c'est de la pensée, et que le procédé graphique (dessin, peinture. sculpture) n'est que le mode d'expression, le côté matériel de l’oeuvre. 0r, l’idée, c'est l’âme d'une oeuvre, sans quoi elle ressemblerait, selon l’image usuelle, dans son unique perfection esthétique, à quelque jolie femme qui serait dépourvue d'intelligence. Il faut reconnaître que le public recherche de plus en plus cette âme dans l’oeuvre d'Art, puisque la facture n'est que le procédé et le support de la pensée. Et à ce propos jetons un coup d'oeil sur la tendance abstraite de l'Art Nouveau qui veut se libérer de la forme. Certains artistes modernes ont passé outre les moyens classiques d’expression graphique pour traduire leurs conceptions spirituelles quand ils en ont, en utilisant des procédés, je dirais : métaphysiques, laissant notre public quelque peu désorienté. Car la plupart de ces artistes, créent une méthode qui leur est toute personnelle et nous ne possédons pas toujours la clé qui nous permet de pénétrer dans leur domaine. Seul un public réduit et spécialisé reconnaît et comprend (plus ou moins sincèrement) la peinture actuelle. à tel point que plus elle est énigmatique, plus on la dit “géniale” ! On se rend compte que la majorité se refuse à admettre la valeur de cet Art, en parlant de snobisme ou de spéculation, ou bien ne l’admet qu'en faisant confiance aux spécialistes, sans parvenir elle-même (et souvent avec raison)à le comprendre. Chaque genre de peinture a ses partisans enthousiasmes et ses détracteurs acharnés. Je ne peux vous conseiller de suivre telle ou telle formule, car le plus souvent, vous serez vous-mêmes le Juge le plus impartial de votre façon de sentir. Si vous tenez a vous créer un genre, il faut avant tout vous assurer un réel savoir et travailler beaucoup ; ne cherchez pas trop tôt à vous cantonner dans une formule dont vous serez esclaves si vous n'y preniez garde. Inspirez-vous d'abord des oeuvres de valeur que vous rechercherez ou rencontrerez, mais ne vous laissez pas tenter dès maintenant par les fantaisies ultra-modernes de la divagation artistique actuelle. L'expression la plus parfaite de cette déroute, nous la voyons aujourd’hui dans les pauvres élucubrations des artistes dits “d’avant-garde”, de ces peintres de pacotille qui assurent, sans rire, qu’ils travaillent dans l’abstrait et quel abstrait ! (Je veux surtout parler de ces tableaux au dos desquels leurs auteurs sont obligés d’indiquer le haut et le bas, afin qu’à l’accrochage il n’y ait pas confusion ! Vous voyez ce que le veux dire ?) Il y a des fantaisies intéressantes qui ne manquent ni d’intelligence, ni même de génie, mais les limites sont vite dépassées jusqu'à la confusion de la sincérité et du bluff. La plupart du temps c'est une incapacité de moyens qui masque cette carence artistique. L’étiquette n'ajoute aucune valeur à d'innombrables navets. Le snobisme peut les décorer du nom de chefs-d'oeuvre, ils n'en restent pas moins des navets. Et devant ces toiles où le spectateur ne comprend rien parce qu'il ne reconnaît rien, essayons de leur trouver une raison, tout au moins pour les quelques artistes qui, dans une naïveté honnête ont la foi en cette formule : il suffit de se dire que ce sont des compositions et non des représentations, et qu'il était logique que l’artiste moderne. venant de découvrir que la valeur d'une toile est dans ce qu'elle ajoute au réel et non point dans ce qu'elle entretient, veuille faire sa toile uniquement avec ce qu’il est capable d'ajouter au réel. Ceci dit, il faut bien reconnaître que cet apport d'irréel et les moyens employés pour la réaliser ne manquent pas “d'originalité” ! Je suppose que cette tendance n'est dans l'Art qu'une mode capricieuse qui aura étonné le public, séduit même, par son caractère excentrique et sa prétention spirituelle. Mais peut-elle tout exprimer dans l’irréel par l’informe ? Alors qu'elle n'est elle-même que matière, et matière en général grossièrement traitée, ce qui ne prête pas à la rêverie qui, elle. n'est jamais assez jolie pour nous plaire. Pourquoi ne pas souhaiter une peinture non essentiellement scientifique, qui demande de la part du public sincère des prouesses de compréhension et d'adaptation, mais un Art agréable et séduisant dans ses formes, dans ses couleurs, dans ses formules quelles qu’elles soient pourvu qu'il garde son charme et son influence magique et ne nous place surtout pas devant des oeuvres qui ne sont que des problèmes ou des énigmes,. soucis de plus à d’autres soucis ? Puisque nous recherchons dans l'Art le délassement et la rêverie, non la confusion et le doute. Ne nous laissons donc pas emprisonner dans une technique unilatérale qui ne tienne pas compte à la fois et du point de vue spirituel, contemplatif symbolique et en même temps du point de vue matériel, pratique et esthétique. D'ailleurs le crois que le Réel n'est pas totalement dans la matière comme le pensent les matérialistes, ni même dans l' esprit comme le pensent les spiritualistes, mais dans l’acte créateur qui relie la force à la forme et l’esprit à la matière. Et c'est par cet acte de création dans vos oeuvres que vous trouverez réellement des impressions sublimes qui vous révéleront à vous-mêmes : et toute la richesse de votre intimité non exprimée, et la consolation de découvrir en vous un support merveilleux et fidèle qui doublera d'une vision dorée le film terne d'une vie qui n'est pas toujours riante. Je ne veux pas terminer ce premier cours sans insister sur la nécessité pour l’artiste d'avoir des idées. La psychologie nous apprend qu'elles se récoltent dans le monde extérieur par l’intermédiaire des organes des sens et aussi dans l’imagination (qui n'est qu'une forme de la mémoire) par la méditation. Il faut donc à la fois observer, penser, lire et même écouter. L'étude de la Nature et de la “comédie humaine” est pleine de documents propres à exalter votre esprit artistique = cherchez et vous trouverez. Vous serez étonnés de l’abondance et de la richesse de vos observations si peu qu'elles soient dirigées par une attention en éveil. J'insiste également sur l'utilité primordiale du croquis qui est la note que l’artiste prend en observant la nature et qui fait son cours en tout temps et en tous Lieux. Le croquis est une synthèse, un résumé, à l’encontre de la photographie qui copie mécaniquement la nature et qui est incapable d'en dégager le caractère essentiel et le style. La synthèse est la résultante de l’analyse, ce qui revient à dire qu’il faut bien regarder avant de prendre crayon ou stylo. Mais savez-vous regarder ? Si ma question vous semble absurde, c'est que vous ne savez pas regarder. Vous voyez, mais vous ne regardez pas ; vous ressentez passivement des sensations, mais vous n'avez pas l’habitude de les raisonner, de chercher le rapport des choses, même les plus grossières en apparence. Or, si vous voulez étudier l'Art pictural, commencez par bien comprendre que tout ce qui vous frappe autour de vous, toutes ces choses qui agissent sur vos sens physiques, le monde visible enfin, tout cela n'est intéressant que comme des traductions en un langage plus ou moins grossier de lois, d'idées qui se dégageront de la sensation quand cette sensation aura été non seulement filtrée par les organes des sens, mais encore digérée par votre cerveau. Or ce langage est incompris des hommes qui ne s'intéressent qu'aux habits des choses, mais les poètes et les artistes comprennent mieux cette langue mystérieuse et c'est leur devoir de s'ingénier à toujours mieux l'exprimer dans leurs oeuvres. Donc, regardez et dessinez partout où vous pourrez, mais dessinez le plus possible, réellement et mentalement. Oui, je vous assure, vous pouvez vous exercer mentalement à dessiner ou à peindre, non pas seulement à la composition imaginaire de votre sujet mais à l’exécution pratique : vous concrétisez en votre esprit les formes que vous désirez, vous les suivez de votre regard mental et vous sentez avec étonnement votre main qui s’anime, qui se dédouble et suit virtuellement votre exécution psychique avec une habileté qui vous sidère. Croyez-moi, cet entraînement qui peut se faire n'importe où, n'importe quand. est fructueux. L’explication de ce phénomène psychique est hors de notre sujet, mais je vous prie de suivre fréquemment ce conseil facile. D'ailleurs ce procédé est souvent pratiqué inconsciemment par beaucoup d’artistes, surtout dans l'Art théâtral où les gestes et les expressions sont esquissés mentalement pendant l’étude des rôles. Lorsque vous dessinez ou peignez un sujet, imaginez-le complètement terminé, non pas tel qu'il est à votre oeil dans la réalité, mais plaqué sur votre carton ou toile avec la meilleure facture que vous aimeriez lui voir. Conservez bien cette image mentale, renouvelez la souvent, votre travail en sera facilité. Complétez vos croquis par des notes écrites s’il y a lieu. Plus vous ferez de croquis et plus vite vous enrichirez votre mémoire qui est la “bibliothèque cérébrale” où l’imagination vient se ravitailler et plus vite vous deviendrez habiles. Le dessin analytique et posé complète la notation rapide, mais ne la remplace pas. Le défaut de certains enseignements c’est de ne pas forcer les élèves à faire des croquis. C'est pourquoi, beaucoup d'entre-eux dessinent et composent avec des formules apprises dans les ateliers et dans les musées. Or, la formule en Art, c'est la routine, et la routine c'est la mort. Car, tout art doit être une traduction de la vie, autrement il n'aurait pas de raison d'être. Ne soyez donc jamais exclusifs, beaucoup d’artistes se sont perdus en n'adoptant qu'une seule manière. Tout en créant constamment des formes nouvelles, ne vous laissez pas prendre au piège des habitudes et des formes déjà créées, même si vous êtes vous-mêmes les auteurs de ces créations. L'Art ne consiste pas non plus à plagier plus ou moins adroitement un artiste connu. La conception en est plus vaste. Rappelez-vous qu'une copie, si habilement exécutée soit-elle. ne vaut jamais l’original ; elle est toujours trop ou pas assez poussée et l’imitation n'aura jamais la saveur que donne le charme de l’oeuvre initiale. Méfiez-vous également de votre habileté naturelle, elle sera votre plus sûre ennemie si vous ne la jugulez pas. Quand vous aurez l’heureuse fortune de regarder des dessins ou des études de Maîtres, vous verrez quel dédain possèdent ces artistes pour le tape à l’oeil et le brio. Quelques-unes de ces esquisses au premier abord, semblent d'une gaucherie enfantine ; et ce n'est qu'après les avoir longuement étudiées que le caractère s'en dégagera et que la justesse des traits trop tôt qualifiés de faux apparaîtra sincère, et surtout si l’on a la chance de pouvoir comparer ces esquisses avec l’oeuvre achevée. - Excluez toute faiblesse envers vous-mêmes. On dit que l’amour est aveugle, et je crois que l’estime de certains artistes pour leurs propres oeuvres les aveugle également, ceux-là ne progresseront pas. Au contraire, recherchez la critique et le jugement d'autrui sans jamais vous offusquer, c'est le plus précieux moyen qu'il vous est donné de vous améliorer. Par contre soyez indulgents pour les autres et compréhensifs, il y a souvent à glaner même dans une mauvaise étude si celle-ci a été faite avec un honnête effort, et puis n’oubliez pas que si la critique est aisée et à la portée de chacun, l'Art, lui, est difficile. Donc soyez sobre dans vos propos de ce qui peut ne pas vous plaire, mais néanmoins, ne confondez pas l’effort sincère d'un peintre vers l’évolution de son Art avec les élucubrations culinaires de prétendus artistes ! Alors là. je vous en prie. gargarisez-vous ! Il vous faut aussi développer ces qualités bien françaises que sont l’esprit et le bon goût. Il est évident que c'est un don de la nature comme le sens de l’harmonie et de la couleur, et je n’ai pas la prétention de vous enseigner ces vertus. C'est à vous à les cultiver par la fréquentation de milieux artistiques, de Salons annuels, ou d’expositions. Par la lecture d’articles ou d'ouvrages d’Art et par de fréquents échanges d’opinions artistiques avec les personnes qui sont susceptibles de vous éduquer. Quelques artistes peuvent atteindre le sublime dans la peinture, lorsque l’automatisme est devenu inconscient par une longue étude mécanique de l'Art. Comme les musiciens virtuoses vivront totalement leur interprétation sans plus considérer leur instrument ni leurs mains. Nous n'en sommes pas là mes amis, aussi cheminons modestement et sans prétention, mais honnêtement vers cet idéal que peut-être quelques uns d'entre vous atteindront pleinement. Ces conseils, s'adressant même à des jeunes, ne sont pas, croyez-moi, prématurés. Ils doivent être une ligne de conduite pour toute votre carrière artistique. Ceux qui sont déjà avancés dans leur art peuvent en tirer parti immédiatement et assimileront mieux certains principes qu'ils ont déjà pressentis. Quant aux débutants, ces quelques idées restent à leur disposition, s’ils le désirent et bien d'autres qui ne me sont pas venues à l’esprit et que Messieurs du comité seraient bien aimables de me rappeler. Tout ceci. et des plans détaillés de travail et de conseils pour chaque matière, pourront peut-être vous être distribués et former ainsi une petite documentation qui aura son utilité. Il me reste à vous remercier de votre bienveillante attention et de formuler, en sympathie avec votre unanime désir, l’espoir de trouver déjà cette année un Salon qui marquera. par l’effort de chacun d'entre nous vers l’expression idéale de ses sentiments artistiques, et aussi pour la renommée de notre ville de Nantes. Remarques en 1990 Je suis, plus encore. dans le même état d’esprit de Jugement qu'en ma conférence de 1949 aux “ Amis des Arts ”. - Si l’on ne suscite pas de l’Admiration chez un être simple c’est que notre “ art ” n’en est pas. - Se targuer de techniques pour prouver ou faire passer notre oeuvre pour de l'Art est une fausse excuse. L'Art véritable n'a besoin que de talent et de sensibilité pour émouvoir. - Une oeuvre valable et véritable a pour secret, génial. de faire oublier le procédé. L’Art de notre époque a perdu ses critères, qu’il soit pictural, musical ou statuaire. Nous sommes à l’ère du n'importe quoi par n'importe qui. L'Art est divin parce que c'est un don. seule une minorité le reçoit, l’enrichit et l’exploite. Un artiste est un “prêtre”, il officie et fait communiquer avec la Source des Muses. Tous les autres. qu’ils s’inclinent et méditent Sur “ la grenouille et le boeuf” ! L'Art véritable n’a d’objectifs que d’enrichir la Beauté, le Rêve, la Nature, la Vie, l’amour, mais sans casser les harmonies linéaires ou colorées comme l’ont démontré des générations d’artistes et de Maîtres de tous pays et de l’antiquité Les révolutionnaires de l’art qui prétendent philosopher avec du chaos sont des incapables vaniteux et ignares qui masquent la stérilité de leur talent par des arguments incohérents, snobes et ridicules. Que chacun s'amuse à peindre ou dessiner, cela va de soi ; l'imitation et la création sont des pulsions naturelles chez l'être humain. Mais en ces jours, combien prennent leurs échafaudages pour des Temples, font passer des vessies pour des phares aveuglants de “génials” mystères, de symboles importants pour esprits avertis !! Et des imbéciles solennels admirent, font figures d’initiés se prenant au jeu de leur suffisance. Quelle trahison ne commettraient-ils pas, forfaiture du bon sens, pour ne pas perdre la face et se parer d'importance avec si peu de peine et de capacité ! Et pendant que de véritables artistes, méconnus, méprisés, crèvent de faim, on professe le Nouvel Art, populaire ou super surréaliste et on fabrique des admirateurs idiots. Systématiquement on détruit, dégrade la beauté, l'intelligence et l'Harmonie. C'est du Génocide ! Hélas ! Mais n'a-t'on pas dit, sous cet aspect lunaire, que “les derniers seraient les premiers” !! Certes, à l’ère où le bluff est payant, où la drogue fait illusion. où l’emballage cache une tromperie intérieure. C'est le “ Temps de la Confusion ”,. Ce qui est beau et vrai est taxé de “pompiérisme” et la laideur des Incapables s’affuble d'un hermétisme qui veut faire croire que la Vision normale est une erreur des pauvres en esprit. Comme si les poètes mépriseraient les Mots...pour ne garder qu'une encre barbouillante ! Ces énergumènes du faux génie auront “beau faire ”(!) les canons des formes humaines et des grâces naturelles sont encore là, impérissables, en leçons de la Beauté. et le pinceau délinquant ne trompera que ceux qui se laissent escroquer parce qu'ils ne possèdent aucune protection de “bons sens” ni d'éducations des réalités fondamentales de l’ART. P.S. Pour les admirateurs des ..."Picassiettes" de l'Art et pour l’édification des autres, voici un terrible aveu de Picasso lui-même sur ce qu'il révèle de son oeuvre et de celles du même genre lors d'une interview avec le grand écrivain Italien Glovanni Papini. Article paru dans un numéro spécial sur Picasso dans "Le Crapouillot" de Mai 1973 : “Dans son livre "Libro nero", publié en 1951, le grand écrivain Italien Giovanni Papini, racontant une visite qu'il fit à Picasso, rapporte ce jugement sans indulgence porté par le peintre sur son art et sur lui- même : "Du moment que l’art n'est plus l’aliment qui nourrit les meilleurs, l’artiste peut exercer son talent en toutes les tentatives de nouvelles formules, en tous les caprices de la fantaisie, en tous les expédients du charlatanisme intellectuel. Dans l’art, le peuple ne cherche plus consolation et exaltation : mais les raffinés. les riches, les oisifs, les distillateurs de quintessence cherchent le nouveau. l'étrange, l'original. l’extravagant, le scandaleux. Et moi-même, depuis le cubisme et au-delà, j’ai contenté ces maîtres et ces critiques, avec toutes les bizarreries changeantes qui me sont passées en tête, et moins ils les comprenaient et plus ils m’admiraient. A force de m'amuser à ce Jeux, à toutes ces fariboles, à tous ces casse-tête. rébus et arabesques, je suis devenu célèbre. et très rapidement. Et la célébrité signifie pour un peintre :ventes, gains, fortune. richesse. Et aujourd’hui, comme vous savez, le suis célèbre et je suis riche. Mais quand je suis seul à seul avec moi-même, je n’ai pas le courage de me considérer comme un artiste dans le sens grand et antique du mot. Ce furent de grands peintres que Giotto, le Titien, Rembrandt et Goya ; je suis seulement un amuseur public. qui a compris son temps et a épuisé le mieux qu’il a pu l’imbécillité, la vanité, la cupidité de ses contemporains. C’est une amère confession que la mienne, plus douloureuse qu’elle ne peut sembler, mais elle a le mérite d’être sincère ”.

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