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Le théâtre de Beckett

Publié le 10/10/2010

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beckett

 

Même si Beckett a commencé par le roman c’est aux pièces de théâtre qu’il doit sa notoriété.

A connaître absolument : En attendant Godot [1](1953), Fin de partie évidemment ! (1957) et Oh les beaux jours (1963)[2].

Citons aussi édités aux Editions de Minuit bien-sûr : Eleutheria (1940), Tous ceux qui tombent (All that fall : pièce radiophonique pour la BBC, 1956), La dernière bande, Cendres (1959), Pas moi  (1963), Comédie et actes divers (recueil de textes dont Acte sans parole I[3] et Acte ss paroles II,), Pas, suivi de Quatre esquisses (1978), Catastrophe et autres dramaticules (1982).

 

La remise en cause du théâtre traditionnel

 

Les œuvres théâtrales de B. ne contiennent pas d’action (« Toute l’œuvre de Beckett est une protestation contre l’action[4] «), ou si peu !, ni péripéties[5], sinon dérisoires. Les personnages semblent errer (« Quoi faire ? « ressassent Vladimir et Estragon qui attendent vainement. Rien ne se produit, sinon la répétition inéluctable, comme en témoigne la circularité ds Fin : « La fin est dans le commencement, et cependant on continue « (Hamm).

Dès lors, le temps semble immobile[6], d’autant que le nbre d’actes étant svt réduit tout se déroule en direct. Le passé est donné comme un autrefois inaccessible, immémorial, ou relégué dans l’imprécision. Le présent se dilate, illimité, car il est le temps où s’engluent les personnages, le temps du ressassement, de la répétition des mêmes gestes et des mêmes mots, tel l’obsédant et ironique « ça avance « (Fin de partie) ou le « on attend « dans Godot[7].

Le décor se refuse à toute illusion réaliste et fait place à un symbolisme étouffant : « Route avec arbre «[8], « Intérieur sans meubles […] petites fenêtres […) tableau retourné […] deux poubelles […] «[9], « Etendue d’herbe brûlée s’enflant au centre en petit mamelon […] Maximum de simplicité et de symétrie. «[10] ; dans Comédie, il n’y a plus du tout de décor[11].  L’espace est dépouillé, morne et triste – voire carcéral dans Fin de partie – et montre un dénudement du monde, et de fait de l’être, de son apparence extérieur pour exposer l’enfer intime de l’être intérieur, là où l’existence brute côtoie le néant. L’espace dramaturgique figure une sombre condition humaine.

Le statut même du personnage semble refusé à ces antihéros : ils évoluent sur scène comme des pantins grotesques, dégradés, sans réel passé ni profession, leur identité clownesque prête à sourire et les fait de peu échapper à l’anonymat : Clov, Hamm, Vladimir, Estragon, Winnie,… Le personnage est même réduit à presque rien dans certaines pièces ultérieurs : « BOUCHE « in Pas moi.

 

Les relations entre les personnages

 

Dans ces œuvres sans véritable intrigue, les personnages dévident des paroles inconsistantes qui donnent lieu à un semblant de dialogue. Le rapport à autrui[12], nécessaire, svt cruel, légitime des conversations apparemment décousues et absurdes.

Ainsi les personnages fonctionnent-ils par couple.

 Cf. évidemment les deux couples de Fin, mais aussi Vladimir/ Estragon et Pozzo/Lucky in Godot, Winnie/Willie in Oh ! les beaux jours[13]. Ces paires expriment à la fois le besoin de l’autre, la dépendance vis-à-vis de lui, et l’inéluctable fossé qui sépare les êtres, l’irrémédiable solitude de chacun, l’incommunicabilité entre tous. On entend et on voit ces créatures converser, se solliciter, se contredire, s’embrasser, se rechercher, se piquer  et se refuser constamment, sans jamais parvenir à se séparer, sinon dans la mort.

L’autre sert d’interlocuteur pour produire une illusion d’échange, de dialogue : la « présence « d’un « tu « permet au « je « de s’exprimer : « Clov : -A quoi est-ce que je sers ?/ Hamm : - A me donner la réplique. «. La logorrhée de Winnie trouve un semblant de justification dans la présence de Willie.

Enfin le personnage est souvent uni à son partenaire par une relation de maître à esclave. Lucky est ainsi lié à Pozzo (cf. la corde sur laquelle tire Pozzo), véritable bourreau qui maltraite sa victime, laquelle pourtant lui est indispensable et dont de fait il dépend. De même pour Hamm et Clov.

 

La valorisation critique du langage

 

Seule action véritable de personnages fantoches, unique moyen de se donner l’illusion d’une existence, ultime rempart contre le néant, le langage, qui prend chez B. une importance extrême.

Certes, il peut apparaître comme une forme d’aliénation de l’individu. Dans Textes pour rien[14] on peut lire : « Je suis en mots, je suis fait de mots, des mots des autres. […] quoi que je dise, ce sera faux, et d’abord ce n’est pas de moi. Je ne suis qu’une poupée de ventriloque. «. Pourtant parler est inévitable, c’est la seule façon d’être, d’exister. Il faut pour cela s’efforcer de prendre la parole au lieu de la subir. B. s’applique donc à la détourner de son rôle et de son fonctionnement traditionnels. Il invite le spectateur (et le lecteur) à s’interroger sur leur propre relation au langage.

Dans les didascalies nombreuses[15] qui jalonnent le texte théâtral, l’auteur met en valeur la communication non verbale : silences, bâillements, sifflements, changements de tons et de voix relaient ou brisent l’échange linguistique. Les lieux communs, jeux de mots, raisonnements absurdes ou propos ressassés dont la fonction est de combler un vide de la « conversation « témoignent quant à eux de l’usure d’une langue qui ne signifie plus rien[16]. En suscitant le rire ou l’incompréhension, clichés, calembours et répétitions instaurent une distance critique par rapport au langage quotidien.

Le dialogue perd dès lors sa fonction d’information et d’échange. Miné par le remplissage et les discours parallèles, il met en évidence la difficulté, voire l’impossibilité de communiquer. Toutefois, cette parole qui s’enchaîne mécaniquement lutte contre la solitude et le silence qui menacent d’anéantir l’être. Malgré tout, ces conversations hésitantes et illogiques lancent un appel à l’autre. Elles expriment désespérément le besoin d’établir le contact, si dérisoire soit-il, avec celui qui ne sert peut-être qu’à « donner la réplique « mais permet en définitive de reculer, par sa présence et ses mots, la fin imminente.

 

Le théâtre dans le théâtre

 

Beckett conteste les ressorts du théâtre, à commencer par la distance qui sépare les acteurs et le public. Celle-ci est parfois franchie par les personnages qui prennent à partie les spectateurs et qui les désignent de manière ironique ou injurieuse. C’est le cas par exemple de Vladimir qui en se tournant vers le public le désigne comme « cette tourbière[17] «, ou avec Clov qui braque sa lunette sur le public : « je vois… une foule en délire. « Remis à sa place, le public ne peut adhérer passivement au spectacle. Il se trouve malgré lui concerné, “déstabilisé” par les propos apparemment absurdes.

Au mépris de toute illusion réaliste, les personnages se signalent comme tels[18]. Ils s’interrogent sur leur rôle, leur réplique, le sens de la pièce[19]. Ils jouent avec lassitude une comédie quotidienne et ils désignent l’artifice, le monde de conventions étouffantes dans lequel ils évoluent. Bien plus, ces personnages sans identité réelle apparaissent parfois interchangeables. L’idée domine en effet qu’il ne se passe jamais rien : tout n’est qu’attente, remplissage d’une vie sans passé ni avenir dans un monde sans Dieu.

La scène et le monde, en fin de compte se confondent[20]. B. privilégie l’utilisation symbolique du théâtre : celui-ci est particulièrement adéquat pour évoquer l’existence, « cette comédie de tous les jours «, attente interminable d’un mystérieux personnage qui viendrait donner sens à l’absurdité de la vie cette « fin de partie « qui n’en finit pas… La vie est une illusion, un divertissement que l’on joue et que l’on présente aux autres pour se sentir exister.

 

Le refus du pathos

 

« Rien n’est plus drôle que le malheur « affirme Nell. Dramaturge de l’absurde[21], B. représente la misère humaine sous une forme grotesque. Toutefois, il ne prône nullement un théâtre à message, dans la continuité de l’œuvre de Brecht qui use de la distanciation pour édifier son spectateur. Il s’ingénie plutôt à écarter avec ironie toute signification immédiate, toute thèse simplificatrice qui délivrerait clairement sa conception de l’existence et de l’art.

Ainsi juxtapose-t-il souvent le tragique et le comique. Ceux-ci, comme dans l’existence, se mêlent ou alternent sans loi ni régularité. L’humour, l’illogisme et la dérision viennent briser l’émotion chaque fois qu’elle paraît sur le point de naître à la vue des images d’une condition humaine désespérée. Le comique paralyse chez le spectateur, tout processus d’identification et de compassion vis-à-vis des bouffons mis en scène. Le bouleversement subsiste.

Avec ses clochards fripés, inadaptés, inaptes, ataraxiques et englués l’auteur au final définit un type d’homme, d’être humain qui semble l’Homme même. Il y a une dimension conceptuelle, abstraite dans l’œuvre de cet écrivain : « le théâtre de Beckett ressemble à un jeu d’échec « qu’il faut prendre comme « un air de musique[22], un tableau non figuratif. « (Dantzig)

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[1] Pour se distraire de la prose angoissante de Malone meurt…

[2] Les dates correspondent à celle de la création. OBJ a été d’abord été écrit en anglais.

[3] Ecrit en 1955 pour le danseur Deryk Mendel (p.677 et sq. in Knowlson) cette courte pantomime doit bcp à sa passion pour B. Keaton, Ben Turpy et H. Langdon. La 2ème mouture de F.qui suit ce txt relève de la pantomime et de ce genre de jeux de scène)

[4] Charles Dantzig, Dict. égoïste de littérature française

[5] Il n’y a pas franchement d’élément perturbateur d’ailleurs…

[6] « « Si Proust c’est Le Temps retrouvé, Beckett est le temps arrêté « (Dantzig, ibidem)

[7] « L’acte d’attendre en tant qu’aspect essentiel et caractéristique de la condition humaine… c’est dans l’acte d’attendre que nous expérimentons l’écoulement du temps dans sa forme la plus pure. « Martin Essling, Le théâtre de l’absurde.

[8] Godot

[9] Fin de partie

[10] Oh ! les beaux jours

[11] Simplement des personnages fichés dans des jarres jsq’au cou…

[12] "L’amitié même est une loyauté de chiens qui se suivent en se reniflant le derrière" Dantzig Dict. égoïste de la litt. française

[13] Cf. aussi Mercier et Camier dans le récit éponyme

[14] 1950 et paru en 1958 aux Edi° de Minuit –Le titre est d’emblée très éloquent…

[15] Voire envahissantes…

[16] Une petite piqûre de rappel sur le signe et son cortège va s’imposer…

[17] Sorte de marais au fond duquel se forme la tourbe et où on l'extrait. /Endroit où l'on stocke la tourbe (Sol hydromorphe à nappe phréatique permanente, à accumulation de matière organique incomplètement décomposée)

[18] Cf. le fameux « … à moi […] de jouer « de Hamm (p.14  in Fin)

[19] Tels les « Quoi faire ? «, « ça avance « ou la peur de « signifier quelque chose « ou que ça « rebondisse « (p.101 in Fin)

[20] « All the world is a stage… «, As you like it, Shakespeare

[21] Malgré qu’il en ait…  Etymologie : latin « absurdus « discordant, de « surdus « : sourd

[22] Beckett voulait que Fin de partie fonctionne comme une partition musicale avec des variations.

 

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