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Théories et «faits» scientifiques ?

Publié le 14/03/2004

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Fait «brut» et fait scientifique L'observation scientifique «confirme ou infirme toujours une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation», écrit Bachelard (1884-1962), dans Le Nouvel Esprit scientifique. Ainsi la science contemporaine n'a-t-elle pratiquement jamais affaire au fait brut, perceptible dans l'expérience commune par le simple profane. Elle use d'ailleurs d'instruments spéciaux (et parfois absolument gigantesques comme les accélérateurs de particules) qui sont des «théories matérialisées» (Bachelard, ibid.). La raison, déclarait Kant, «doit obliger la nature à répondre à ses questions» (Critique de la Raison pure, préface de la deuxième édition, 1781). Et, de fait, le savant soumet la nature à la question ; il n'en est pas le greffier, et encore moins le spectateur. Observation et expérimentation Observer n'étant que la «constatation pure et simple d'un fait», comme le dit Claude Bernard (1813-1878), il va de soi que le savant se borne rarement à l'observation. Il a recours, bien plus souvent, à l'expérimentation, qui est le «contrôle d'une idée par un fait» (Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, 1865). «L'expérimentateur est celui qui, en vertu d'une interprétation plus ou moins probable, mais anticipée des phénomènes observés, institue l'expérience de manière que dans l'ordre logique de ses prévisions, elle fournisse un résultat qui serve de contrôle à l'hypothèse ou à l'idée préconçue», écrit-il (ibid). La notion de rupture épistémologique L'accouchement du savoir ne s'opère jamais sans douleur et le travail scientifique mérite pleinement son nom.

« Enfin, Galilée a su négliger ce qui devait l'être.

ainsi, il n'a pas tenu compte des forces de frottement de la boule sur le plan ou de la résistance de l'air, qui, ralentissent la chute. Kant a su montrer en quoi l'expérimentation rompait avec l'observation : en quoi ici la théorie prenait le pas sur la simple réception de l'expérience première, et en quoi l'effort scientifique visait à poser une question précise à la nature, en inventant les moyens de lacontraindre à nous répondre. « Lorsque Galilée fit rouler ses boules sur un plan incliné avec un degré d'inclination qu'il avait lui-même choisi […] une lumière se leva pour tous les physiciens.

Ils comprirent que la raison ne perçoit que ce qu'elleproduit elle-même d'après ses propres plans, qu'elle doit prendre les devants […] et forcer la nature à répondreà ses questions […] car sinon les observations, faites au hasard, sans plan tracé d'avance, ne serattacheraient pas à une loi nécessaire, ce que la raison pourtant recherche et exige. » Reste à montrer grâce à un exemple pourquoi Bachelard déclare que l'esprit scientifique « juge son passé en le condamnant ».

Bachelard affirme : « Il n'y a pas de transition entre le système de Newton et le système d' Einstein .

On ne va du premier au second en amassant des connaissances […] Il faut au contraire un effort de nouveauté totale.

» Pour Bachelard en effet, les idées et connaissances héritées finissent par former une sorte « d'inconscient » scientifique, qui produit l'impression que tel ou tel axiome, tel ou tel concept sont évidents et vont de soi. Or, « Toute vérité nouvelle naît malgré l'évidence, toute expérience nouvelle malgré l'évidence immédiate. » Bachelard se sert de l'exemple de l'idée de simultanéité pour le montrer.

L'idée de simultanéité est une idée simple, évidente, immédiate.

Autrement dit une question que l'on n'éprouve pas le besoin de se poser.

Dans la physique de Newton, si l'on doit, pour étudierle même mouvement dans deux repères différents, changer les coordonnées spatiales, il va de soi que la coordonnée temporelle resteidentique.

Le même phénomène est pensé comme simultanéité dans les deux repères différents.

Or, c'est un fait que la mécanique d' Einstein a su montrer que cette idée prétendument simple de simultanéité était en réalité complexe, et que le temps s'écoulait différemment pour deuxobservateurs animés de vitesses différentes.

On connaît le paradoxe des jumeaux de Langevin .

Si l'on envoie l'un des deux jumeaux dans l'espace à une vitesse proche de celle de la lumière, il ne vieillira pas au même rythme que le jumeau resté sur la terre. Cela signifie que l'on passe d'une théorie à l'autre par une redéfinition des concepts initiaux, des notions fondamentales de la physique (ici le temps, mais la physique ondulatoire a amené à une redéfinition de lanotion de cause).

Il ne s'agit donc pas d'une transition d'un système à un autre, mais d'une révolution, etd'une mutation dans les méthodes et les concepts.

De ce que Bachelard nomme une déformation.

La notion de temps voit son sens radicalement renouvelé du système de Newton à celui d' Einstein . Le mérite de Bachelard est de montrer que l'esprit a toujours l'âge de ses préjugés.

Si l'obstacle premier, inhérent à l'acte même de connaître est la connaissance commune, l'opinion, reste que « l'esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance.

Iljuge son passé historique en le condamnant » A une époque qui sombre volontiers dans l'apologie naïve de la science, il n'est pas inutile de rappeler que celle-ci se nourrit de révolutions, de ruptures, s'élabore contre lespensées et les théories antérieures.

L'audace scientifique n'a rien à voir avec l'image de calme accumulation deconnaissance que le grand public s'en fait. G.

Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, (1938) Ed.Vrin, 1970, pp.

13-14 Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cetteconviction que c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissancescientifique.

Et il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et lafugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de l'esprit humain: c'est dans l'actemême de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, deslenteurs et des troubles.

C'est là que nous montrerons des causes de stagnation et même derégression, c'est là que nous décèlerons des causes d'inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres.

Elle n'estjamais immédiate et pleine.

Les révélations du réel sont toujours récurrentes.

Le réel n'est jamais «ce qu'on pourrait croire»mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser.

La pensée empirique est claire, après coup, quandl'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel.

En fait,on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, ensurmontant ce qui dans l'esprit même fait obstacle à la spiritualisation.

L'idée de partir de zéro pourfonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures de simple juxtaposition où un faitconnu est immédiatement une richesse.. »

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