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Toute communication est-elle indirecte ?

Publié le 27/02/2008

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Toute communication repose sur une communication directe première : la présupposition du sens commun est nécessaire à l'élaboration d'un monde pensable par tous. Mais cette communication directe se révèle parfois moins féconde qu'une communication indirecte qui, au lieu de livrer son objet immédiatement, privilégie le cheminement, le tâtonnement et la formation progressive. Avant toute réflexion, cette question surprend tant l'évidence de la réponse semble s'imposer. Bien sûr que toute communication est directe, a-t-on spontanément envie de répondre. Pour communiquer, il faut s'adresser à quelqu'un, et il est implicite que l'interlocuteur sait que je lui parle ou lui écris et qu'il comprend ce que je dis, de même qu'un choc communique directement le mouvement du premier mobile à celui qu'il rencontre. Mais dès qu'on a formulé cette belle persuasion, le doute s'immisce. Et les questions vont bon train, qui s'attaquent à cette évidence première : ai-je toujours la possibilité de communiquer directement ce que je pense, c'est-à-dire en ai-je toujours la faculté, la puissance ? N'est-il pas pensable aussi qu'en certaines circonstances on m'empêche de communiquer directement des informations, des objets ? Est-il souhaitable que je communique toujours directement à autrui ce que j'ai pour but de lui apprendre ou de lui enseigner ?

« nous formulons notre pensée de la façon la plus explicite et la plus claire possible, sans dissimuler notre pensée niuser de charades, devinettes ou énigmes qui masqueraient le sens de nos propos.

Mais nous pouvons déjàremarquer que nous détenons la capacité de communiquer indirectement.Ce que nous devons aussi souligner, c'est que si la communication implique un émetteur, elle implique aussi unrécepteur.

Afin que la communication soit directe, il faut qu'il y ait un minimum de choses en commun entreémetteur et récepteur pour qu'ils se comprennent et que la communication ait vraiment lieu.Kant affirme ainsi dans la Critique de la faculté de juger que la seule communication directe dont l'homme soitcapable, c'est la communication dans le jugement esthétique.

Dans le jugement esthétique en effet, l'hommedépasse son moi et rejoint autrui en affirmant l'universalité de son sentiment.

Et la communication ainsi instauréeavec autrui est alors communication directe.Dans le paragraphe vingt de la Critique de la faculté de juger, Kant explique que « La condition de la nécessité àlaquelle prétend un jugement de goût est l'Idée d'un sens commun.

» Il explique que les jugements de goût nepossèdent pas de principe déterminé, comme c'est le cas pour les jugements de connaissance qui sont médiés pardes concepts.

La communication dans la connaissance est donc toujours indirecte, même si elle nous a d'abordsemblé directe.

Kant explique aussi que ces jugements de goût ne sont pas de purs jugements selon les sens, caralors ils ne pourraient pas prétendre à l'universalité.

Mais on peut dire aussi que les jugements de goût ne sont pascomparables aux jugements moraux qui sont médiatisés eux aussi et cette fois-ci par la loi morale et lareconnaissance de sa validité universelle.

La seule solution consiste à dire que ces jugements esthétiques « doiventdonc posséder un principe subjectif, qui détermine seulement par sentiment et non par concept, bien que d'unemanière universellement valable, ce qui plaît ou déplaît.

» Et il ajoute : « Un tel principe ne pourrait être considéréque comme sens commun < Gerneinsinn >, qui serait essentiellement distinct de l'entendement humain qu'on nommeaussi parfois sens commun < sensus conununis >.

» Et Kant précise que ce n'est que sous la présupposition d'unsens commun < Gemeinsinn> c'est-à-dire l'effet résultant du libre jeu des facultés de connaître que le jugement degoût est possible.Le jugement de goût révèle donc l'existence d'une communication directe, originaire et immédiate entre les hommessur laquelle se greffent ultérieurement sur le plan logique les jugements de connaissance et les jugements moraux.C'est pourquoi il peut conclure à la fin du paragraphe vingt et un :[i]La communicabilité universelle d'un sentiment présupposant un sens commun, c'est avec raison que celui-ci pourraêtre admis, comme la condition nécessaire de la communicabilité universelle de notre connaissance, qui doit êtreprésumée en toute logique et en tout principe de connaissance.Nous avons donc pu mettre au jour qu'il existe bel et bien une communication directe dans la vie quotidienne,fondée sur le geste ou le signe, ou même sur la parole.

Mais l'examen des conditions de possibilité des transmissionsd'informations ou de renseignements, même apparemment ou intentionnellement directs., nous ont amené à prendreen considération l'existence d'un sens commun dans lequel s'enracine toute possibilité de communication dès lorstoujours indirecte par rapport à cette communication immédiate de l'homme avec l'homme.[/i]Mais il nous semble fondamental de ne pas nous en tenir là et de nous interroger justement sur ce que nous avonsdéjà entrevu, c'est-à-dire sur l'intention qui prévaut lors de la communication.

Dès lors, ce qu'il convient de sedemander, c'est si toute communication peut être directe.Afin de répondre à cette question « Toute communication est-elle directe ? », il paraît primordial de s'intéresser auxconditions concrètes dans lesquelles la communication a lieu.

Si l'on pose pour admis que celui qui communique auxautres sa pensée, par exemple dans un livre, veut le faire de manière directe, est-il sûr qu'il puisse concrètement lefaire ? La prise en considération des circonstances dans lesquelles tout individu peut publier doit nous amener à enrabattre sur cet idéal de liberté d'expression et de communication. La thèse de Léo Strauss dans La Persécution et l'Art d'écrire, fait prendre conscience de ce que toute société, ouplus exactement tout pouvoir, exerce une censure sur tout ce qui s'écrit, se dit, se communique.

Ainsi, celui quiveut communiquer ses pensées est soumis à une pression telle qu'il doit inventer un art d'écrire qui lui permette decommuniquer coûte que coûte sa pensée, mais de façon indirecte, détournée et méconnaissable au premier coupd'oeil.

L'ouvrage doit donc être rédigé de telle sorte qu'il ne paraisse pas être ce qu'il est réellement.

Afin decommuniquer sa pensée, l'auteur doit à la fois la dissimuler et en même temps la rendre reconnaissable par ceux-làseuls qu'il estime dignes de ses pensées.

Il doit donc ruser par rapport à la censure.

Ainsi, l'auteur compose unouvrage d'apparence classique et canonique, assez soporifique, mais il glisse un protocole de lecture à mivarcours,qui doit réveiller un lecteur averti et attentif, et l'amener à relire l'intégralité du livre sous un éclairage complètement. »

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