TROIS VARIÉTÉS LOGIQUES DE L'EMPIRISME

« Ennemie de la diversité dans l'espace, la Raison l'est plus encore de la diversité temporelle.

La vitesse, qui nie que letemps soit notre maître, répond à une exigence fondamentale de la raison : on semble maîtriser, grâce à elle, à lafois l'espace et le temps : c'est une explication métaphysique de l'amour de la vitesse, ivresse de la raison. L'entreprise rationnelle est une entreprise d'unité : c'est, en fait, la recherche de l'invariant physiologique : c'est lavie qui veut s'assurer d'une vie uniforme, donc sûre.

La raison, c'est la vie qui se protège contre l'imprévu.L'exigence rationnelle d'unité, d'identité, de permanence, n'est que l'expression d'une exigence vitale de sécurité. 3° Critique Rignano a bien caractérisé la raison.

Mais il est faux que la vie veuille avant tout la sécurité : c'est un idéal demalade (Goldstein); la vie ne cherche ni la sécurité, ni l'identité, mais le progrès, le changement; il n'y a pas accordentre ce que veut la raison et ce que veut la vie.

La vie veut non pas l'unité, mais l'accroissement, fût--ce auxdépens du voisin, car la vie est égoïste : elle ne veut pas l'égalité, comme la raison, mais la lutte où triomphe lefort.

Le vital est volontiers féroce. La Raison est la lutte contre la vie dans ses exigences excessives, et non son prolongement. B) L'empirisme psychologique 1° Exposé. Le type de l'association des idées est l'association par contiguïté, pur hasard objectif, pur fait non rationnel : il setrouve que deux qualités a et b se présentent à moi dans la même expérience; lorsque b reparaîtra, je penserai à a,et vice versa.

C'est ainsi que nous finirons par croire qu'il y a un lien nécessaire entre a et b.

Ce que nous prenonspour du nécessaire n'est que de l'habituel. a-Hume.

C'est la doctrine de Hume au XVIIIe siècle : ses idées coïncident avec une époque, qui, à la lumière desdécouvertes scientifiques, devient relativiste et se bat contre les préjugés.

L'extension des connaissances engéographie tend à répandre le scepticisme par le relativisme : (il y a plusieurs formes de gouvernement, de religion,de pensée); et l'empirisme : (les « principes rationnels n'étaient que des habitudes locales »). Pour Hume, l'habitude est la loi universelle de l'esprit.

Nous n'aurons jamais l'expérience de la production d'unphénomène par un autre : nous constatons sans comprendre qu'une boule de billard, par exemple, en choquant uneautre boule, la met en mouvement. A force de constater tels phénomènes, nous croirons avoir une idée claire de la causalité : l'habitude fait que nousne nous interrogeons plus vraiment sur la cause.

Or tout doit être expliqué par la cause, qui n'est pas une idée claire: nous n'avons jamais rien compris à la causalité, mais, par habitude, nous n'éprouvons aucune surprise, et doncnous croyons comprendre.

L'habitude est un phénomène, non de torpeur, mais d'illusion intellectuelle : « L'habitude est le grand principe de la vie.

C'est ce principe seul qui nous rend notre expérience profitable et nousfait attendre dans l'avenir une suite d'événements semblables à celle que nous avons constatée dans le passé.

Sousl'influence de l'habitude, nous ne connaissons de faits que ceux qui seraient immédiatement présents aux sens et àla mémoire.

Nous ne saurions comment ajuster les moyens aux fins, ou adapter nos pouvoirs naturels à la productiond'un effet voulu.

» Hume. Ce que nous prenons pour des principes rationnels innés n'est donc qu'une expérience et vient d'une associationd'idées dont on oublie l'existence par habitude.

L'habitude (où Ravaisson verra une « matérialisation progressive del'esprit ») justifie l'association d'idées, la fait oublier, et la transforme enfin en principe rationnel.

L'habitude donneles apparences de la Raison. Hume écarte l'objection qui opposerait l'expérience à la raison : « Les arguments que les rationalistes présentent comme étant le pur effet d'un raisonnement reposent en dernièreanalyse sur quelques principes auxquels on ne saurait trouver d'autre origine que l'observation et l'expérience même.» « Ayant trouvé que la flamme et la chaleur, la neige et le froid, sont toujours unis ensemble, si la flamme, ou laneige s'offrent à nos sens, l'esprit est porté par l'habitude à attendre la chaleur ou le froid et à croire que cettequalité existe et se découvrira si on l'approche.

C'est, dans de telles circonstances, une opération de l'âme aussiinévitable que de sentir la passion de l'amour quand nous recevons un bienfait, delà haine quand nous recevons uneoffense; toutes ces opérations sont des espèces d'instincts naturels, que ni raisonnement, ni travail de la pensée etde l'entendement ne sont capables de produire et de prévenir.

» Ce texte a une grande portée.

Lorsque nous passons de la constatation de la flamme à l'idée de chaleur, il n'y adans ce genre d'inférence — passage d'une idée à une autre — ni intuition, ni raisonnement logique.

Nous passonsdu présent à l'avenir, dont nous sommes sûrs : la flamme dégage de la chaleur.

Ce passage du présent à l'avenir. »