Le Ventre de Paris
Publié le 06/04/2013
Extrait du document
Pour préparer ses romans, Zola a accumulé une foule de renseignements divers (repérages, croquis, statistiques, notes sur les métiers, etc.). Ce fai sant, il a laissé une véritable oeuvre d'ethnologue. Ce travail a d' ailleurs été réuni dans un ouvrage de la collection « Terre humaine «, sous le titre de Carnets d'enquêtes (Pion, 1986).
«
« Il était lamentable,
avec son pantalon noir,
sa redingote noire, tout
effiloqués,
montrant les
sécheresses de ses os.
»
EXTRAITS ~~~~~~~~
Une tentative de viol avortée,
dans les sous-sols des Halles
Elle lui avait pris le menton , comme elle fai
sait souvent, sans voir
qu'il avait grandi.
( ...
)Alors, à cette caresse,
lui , cédant à une poussée
de l'instinct,
s'assurant
d'un regard oblique que
personne n'était
là, se ra
massa, se jeta sur la belle
Li sa, avec une force de
taureau.
Il l'ava it prise
par les épaules.
Il
la cul
buta dans un grand pa
nier de plumes, où elle
tomba comme une masse,
l es jupes aux genoux.
Et il
allait la prendre à
la
taille, ainsi qu'il prenait
Cadine,
d'une brutalité
d 'animal qui vole
et qui
s'e mplit , lorsque , sans
crier, toute pâle de cette
attaque brusque, elle sor
tit du
panier d'un bond.
Elle leva
le bras, comme
elle avait vu faire aux
abattoirs, serra son poing
d e belle femme , assomma
Marjo/in d'un seul coup,
entre les deux yeu
x.
Il s'affaissa, sa tête se
fendit contre
l'an gle d'une pierre d'abat
tage.
A ce moment , un chant de coq, rauque
et prolongé, monta des ténèbres.
La bataille des Gras et des Maigres
-Pour sûr; dit-il, Caïn était un Gras et Abel
un Maigre.
Depuis le premier meurtre, ce
sont toujours les grosses faims qui ont sucé
le sang des petits mangeurs ...
C'est une
continuelle ripaille, du plus faible au plus
fort , chacun avalant son voisin et se trou
vant avalé à son
tour.
..
( ...
)
Et il murmura :
- Nous sommes des Maigres, nous autres,
vous comprenez ...
Dites-moi si, avec des
ventres plats comme les nôtres , on tient
beaucoup de place au soleil.
Une fruitière peu ordinaire
La Sarriette vivait là, comme dans un
verger, avec des griseries d'odeurs.
( ...
)
C'était elle, c'étaient ses bras, c'était son
cou, qui donnaient à ses fruits cette vie
amoureuse, cette tiédeur satinée de femme.
Sur le banc de vente, à côté, une vieille
marchande, une ivrognesse affreuse, n 'éta
lait que des pommes ridées, des poires pen
dantes comme des seins vides, des abricots
cadavéreux, d'un jaune infâme de sorcière.
Mais , elle.faisait de son étalage une grande
volupté nue.
Ses lèvres avaient posé là une
à une les cerises, des baisers rouges ; elle
laissait tomber de son corsage les pêches
soyeuses ; elle fournissait
aux prunes sa
peau
la plus tendre, la peau de ses tempes,
celle de son menton, celle des coins de sa
bouche ; elle laissait couler un peu de son
sang rouge dans les veines des groseilles.
Ses ardeurs de belle fille mettaient en rut ces
fruits de
la terre.
« Lisa, immobile, avec sa carrure digne,
donnait aux Halles le bonjour matinal, de ses
grands yeux de forte
mangeuse.
»
NOTES DE L'ÉDITEUR
« Il voulait décrire, sur le mode d'un roman
à la fois réaliste et symbolique , le grand
affrontement des Gras et des Maigres : d'un
côté ,
" la bedaine et pleine et
heureuse
"
d'une bourgeoisie qui avait appuyé
sourdement l'Empire, parce
que" l'Empire
lui donnait la pâtée
Je matin et le soir",
de!' autre la révolte des "idéalistes
démocrates " mal nourris, rescapés du coup d'État
de décembre.
Quel meilleur théâtre
trouver , pour cette confrontation, que celui
des Halles ,
" le ventre de Paris, le ventre de
l'humanité, et par extension la bourgeoisie
digérant , ruminant, cuvant en paix ses joies
et ses honnêtetés moyennes
" ? Le
spectacle nocturne des Halles, sous les
pavillons construits par Baltard
au début du
second Empire, et dans
les rues
avoisinantes, a attiré
Zola dès avant 1870 .
Dans un article publié par La Tribune le
17 octobre 1869, il décrit l'arrivée des
charrettes de jardiniers, les étals des
bouchers et des poissonniers, les paquet s
amoncelés de fleurs coupées :
" Toute la
poésie fleurie des rues de
Paris traînait sur
ce trottoir boueux,
au milieu des
mangeailles de la halle.
" » Henri
Mitterand, préface aux
Carnets d 'enquêtes,
Pion, 1986.
J détail du portrait de Zola par Manet (1868).
musée d 'Orsay/ Edimédia 2, 3.
4.
5 gravure s de Tim / D .R .
Z OLA 09
--- ----~ -- ..---.
»
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