Devoir de Philosophie

La vertu et l'action.

Publié le 22/02/2012

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Il y a sans doute un exercice tout formel de la moralité clans lequel les vertus paraissent avoir leur raison d'être en elles-mêmes, valoir pour elles-mêmes, indépendamment de toutes les fins concrètes que l'activité pourrait s'assigner. Et cette pratique formelle des vertus est liée soit à l'impossibilité où se trouve le moi de poursuivre ces fins, soit aux résistances, aux obstacles, que le monde dresse devant une moralité ambitieuse d'action efficace, La vertu tend à passer toujours au premier plan dans un monde où le devoir ultime pour le moi paraît être de sauvegarder l'estime de soi et d'éprouver sa propre force. Mais il apparaît que, se prenant elle-même pour fin, la vertu est condamnée à s'épuiser bien vite, et d'autant plus que le moi, cessant d'entrer en défiance de soi, se complaît dans l'idée d'une augmentation de valeur. Détachée des finalités qui véhiculent les valeurs, la vertu, devenant indifférente à la matière de la moralité, réduit le devoir tout entier à une intention de vertu. Par une pente naturelle, le moi, attentif à soi, à son être propre, plus qu'à la valeur intrinsèque de ses actes, voit ceux-ci se vider peu à peu de signification. Tout au plus peut-il les considérer comme une préparation à la moralité réelle et comme une discipline qui aidera, le moment venu, l'accomplissement du devoir. Encore lui faut-il craindre qu'une expérience ascendante et créatrice de moralité ne rencontre après cela dans la vertu d'habitude ou de nature un obstacle plus qu'un secours. Car il demeure inintelligible que la valeur, qui doit transparaître dans nos actions, soit incorporée à notre être au point que nous soyons dispensés de méditer sur l'inadéquation entre notre acte concret et réel et un acte où nous nous égalerions au moi que définit notre rapport à la certitude suprême. Il ne paraît pas douteux que l'attention donnée aux seules vertus détourne la conscience de considérer les finalités dont elles sont les conditions de réalisation et l'incite à croire que ces finalités sont au fond indifférentes, comparées aux vertus à qui elles fournissent seulement l'occasion de s'exercer. Si les vertus doivent accepter de se mettre au service des finalités, de se perdre, en quelque sorte; en elles, et d'être ainsi dépossédées de leur autonomie, c'est parce que ces finalités sont l'indispensable truchement de la valeur dans le monde. Le moment où les vertus pourraient prétendre à valoir pour elles-mêmes serait celui où la moralité aurait épuisé sa tâche ici-bas. Il faut donc que la vertu soit toujours équilibrée par l'action concrète, par l'action conforme aux intérêts de la moralité. Quand elle est pour cette action, non pour soi, elle est pleinement en accord avec la promotion totale de l'existence. Dès qu'elle s'abstrait des actes intrinsèque. ment bons, intrinsèquement justifiés, qu'elle est appelée à servir, elle laisse percer ce qu'il y a de pharisaïque et de creux dans sa propre idée. Dès qu'elle se rend solidaire de ses actes, elle se constitue, à la vérité, dans ce rapport et par ce rapport.... L'idée de vertu, l'inquiétude de la vertu, s'effacent au moment même où l'acte de vertu est au plus haut, c'est-à-dire au moment où les intentions et la force d'un moi sont en accord avec les actions que le devoir concret attend de lui. JEAN NABERT

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