La vertu est-elle naturelle ?
Publié le 24/05/2012
Extrait du document
S'il est des vertus naturelles, il faudrait, semble-t-il, faire à
cette question une réponse affirmative. D'ailleurs nous y sommes
invités par la comparaison de la vertu avec son contraire,
le vice : on rencontre, disons-nous, des tempéraments vicieux.
chez qui certains vices sont naturels ; ne devrait-on pas dire,
pareillement. que quiconque possède des vertus naturelles est
naturellement vertueux ?
«
LE BIEN.
LA VERTU.
LES VERTUS 261
en psychologue que nous devons répondre à la question posée.
Nous
n'y répondrons pas sans quelques réserves.
Dans
l'usage courant, en effet, appliqués à l'homme, " na
ture» et " naturel , désignent ce qu'il a en lui de commun
avec les animaux: essentiellement l'organisme, qui entre dans
le programme des sciences
dites " naturelles, et avec l'orga
nisme, le vouloir-vivre qui lui est essentiel.
Sont dites " natu
relles "• dans ce sens, les tendances dérivées du vouloir-vivre,
tendances avec lesquelles on naît, qui précèdent l'action édu
cative comme l'usage de la raison, et qui, chez l'adulte, sub
sistent en marge des conduites réfléchies, prêtes à reprendre
la maîtrise des débuts de la vie.
Ce que l'on dénomme '' natu
rel "• dans ce contexte, c'est donc le comportement spontané
que
déterminent l'attrait du plaisir ou un réflexe aveugle.
Dans
cette acceptation des mots '' nature , et " naturel "•
la vertu n'est pas naturelle: elle consiste, au contraire, à réagir
contre la nature et ses impulsions spontanées.
C'est particu
lièrement le cas du courage qui, à s'en tenir à l'étymologie,
est la vertu par excellence et qui conditionne bien d'autres ver
tus: devant un grave danger, l'homme est naturellement porté
à fuir; pour l'affronter, il faut réprimer cette tendance à la
fuite.
Le courage et les vertus qui le supposent ne sont donc
pas naturels.
Toutefois nous venons de
parler de vertus qui n'exigent
pas un grand courage ni, au sens premier du mot, une grande
vertu.
Ce sont précisément ces vertus dont nous disions en
commençant qu'elles font le charme des relations humaines : ·
modestie, amabilité, politesse, complaisance...
Plus passives
qu'actives, ces vertus ne demandent pas une grande force
morale ; c'est précisément parce qu'ils manquent d'une force
de ce genre que certains individus sont incapables de heurter
les autres et se montrent si accommodants.
On le voit, ces
vertus sont naturelles, au moins dan-s une grande mesure.
Sans
doute,
l'éducation a pu les développer, mais l'éducation ne
réussit que sur un terrain préadapté: l'amabilité d'une nature
rude reste
toujours empreinte de rudesse ; pour être par'fai
tement aimable, il faut l'être, sans effort, naturellement.
Aussi ces vertus qui n'exigent pas beaucoup de force sont
elles méprisées par ceux qui voient dans la force la valeur
suprême,
tel Nietzsche qui fait dire à son prophète :
''Aujourd'hui, les petites gens sont devenus les maîtres,
ils prêchent tous la résignation, et la modestie, et la prudence,
et l'application, et les égards, et les longs ainsi-de-suite des
petites vertus.
( ...
)..
»
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