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Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1re partie - Chapitre 6

Publié le 18/10/2010

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C'était une vaste place, irrégulière et mal pavée, comme toutes les places de Paris alors. Des feux, autour desquels fourmillaient des groupes étranges, y brillaient çà et là. Tout cela allait, venait, criait. On entendait des rires aigus, des vagissements d'enfants, des voix de femmes. Les mains, les têtes de cette foule, noires sur le fond lumineux, y découpaient mille gestes bizarres. Par moments, sur le sol, où tremblait la clarté des feux, mêlée à de grandes ombres indéfinies, on pouvait voir passer un chien qui ressemblait à un homme, un homme qui ressemblait à un chien. Les limites des races et des espèces semblaient s'effacer dans cette cité comme dans un pandémonium 2. Hommes, femmes, bêtes, âge, sexe, santé, maladie, tout semblait être en commun parmi ce peuple ; tout allait ensemble, mêlé, confondu, superposé ; chacun y participait de tout.

Le rayonnement chancelant et pauvre des feux permettait à Gringoire de distinguer, à travers son trouble, tout à l'entour de l'immense place, un hideux encadrement de vieilles maisons dont les façades vermoulues, ratatinées, rabougries, percées chacune d'une ou deux lucarnes éclairées, lui semblaient dans l'ombre d'énormes têtes de vieilles femmes, rangées en cercle, monstrueuses et rechignées, qui regardaient le sabbat en clignant des yeux.

C'était comme un nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fourmillant, fantastique.

Gringoire, de plus en plus effaré, pris par les trois mendiants comme par trois tenailles, assourdi d'une foule d'autres visages qui moutonnaient et aboyaient autour de lui, le malencontreux Gringoire tâchait de rallier sa présence d'esprit pour se rappeler si l'on était à un samedi. Mais ses efforts étaient vains ; le fil de sa mémoire et de sa pensée était rompu ; et doutant de tout, flottant de ce qu'il voyait à ce qu'il sentait, il se posait cette insoluble question : — Si je suis, cela est-il ? Si cela est, suis-je?

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1re partie - Chapitre 6

 

Le passage se situe en 1483, exactement le 6 janvier, jour des Rois mais aussi jour de la Fête des Fous. Gringoire s'égare, le soir venu, dans la Cour des Miracles où se sont regroupés tous les mendiants, les brigands et les truands de Paris.

Le roman historique est très à la mode dans les années 1800. D'autant que toute une génération redécouvre avec admiration une époque jusque-là maudite : le Moyen Âge que, depuis le XVIe siècle, on s'obstine à qualifier si péjorativement de gothique. C'est pourtant dans ce style que furent érigées les cathédrales chrétiennes qui font la gloire de l'Occident. En 1831, Victor Hugo publie Notre-Darne de Paris où il évoque avec bonheur les beautés de la capitale à l'époque médiévale. Mais c'est aussi pour en révéler les mystères et les bas-fonds insoupçonnés. Ainsi, le poète Gringoire s'égare dans un lieu ignoré : ce sera l'objet d'une description précise et détaillée. Mais l'écrivain donne au texte, très vite, une dimension fantastique qui transforme la scène en vision de sabbat. Il ne s'agit pourtant que d'une sombre réalité : la misère effroyable de la Cour des Miracles.

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« individualité d'abord : « des groupes étranges », « de grandes ombres indéfinies », « tout cela » (ledémonstratif associé à l'indéfini transforme la foule en « objet »).

Plus loin, le pronom « on » désigne cettemasse anonyme, puis encore « tout allait ensemble ».

« Chacun y participait de tout » : le spectacle est siinhabituel que Gringoire ne distingue rien de « particulier », seulement une immense geste collective. c. 4.

Gringoire D'où l'étonnement de celui-ci : le deuxième paragraphe fait explicitement référence à la présence dupersonnage (« à Gringoire », il distinguait « à travers son trouble », « lui semblaient »).

Si le texte est unedescription, elle n'en est pas moins intégrée à un récit, dont le lecteur est invité à suivre les péripéties. a. Il est même au centre du dernier paragraphe.

Non plus simple témoin, mais acteur en mauvaise posture : « deplus en plus effaré » traduit son statut de héros candide découvrant un spectacle inédit et effrayant : « prispar les trois mendiants » rappelle qu'il est, en quelque sorte, prisonnier de ce monde étranger où il s'est égaré.Il est à la fois abasourdi par ce qu'il voit et « assourdi » par ce qu'il entend : « tout cela...

criait », la foule «aboyait autour de lui ».

Aussi Hugo peut-il le qualifier de « malencontreux Gringoire » (l'adjectif est ici àprendre au sens propre du terme) ; « sa présence d'esprit » disparaît ; « le fil de sa mémoire et de sa penséeétait rompu ».

C'est un homme sidéré qui regarde, qui écoute, sans le comprendre « un nouveau monde,inconnu, inouï, difforme...

».

En quoi consiste ce « nouveau monde » ? b. II.

Un spectacle de sabbat 1.

Hommes et animaux Ils sont confondus : nombreuses comparaisons, métaphores animalières : les groupes « fourmillaient » (au senspropre ?).

Il y a d'ailleurs aussi de vrais animaux, des « chiens », mais le chien « ressemblait à un homme » (etréciproquement).

Les bêtes sont, dans une même phrase, mélangées aux hommes, aux femmes...

Aussi ce spectaclepeut-il être qualifié de « reptile, fourmillant », deux adjectifs peu valorisants.

Hommes-fourmis, hommes-serpents.Plus loin, on parle de visages qui moutonnaient et aboyaient » : hommes-bêtes, hommes-chiens, là encore. 2.

Les enfers Ce spectacle renvoie aussi aux enfers (où il y a aussi des animaux.

On imagine volontiers cet endroit « fourmillant »et peuplé de reptiles et de chiens comme Cerbère). a) Des « feux » un peu partout, « des rires aigus » ; beaucoup de grandes ombres indéfinies » aussi, des têtes (non des visages) « noires sur le fond lumineux » se découpent etforment des gestes « bizarres ».

L'univers décrit est profondément dépaysant et donne l'impression qu'on afranchi une frontière pour entrer de l'autre côté des choses. b) Les sorcières.

Le mot « sabbat » est prononcé : Gringoire serait-il tombé sur une assemblée de sorciers et desorcières ? On le croirait : les vieilles maisons » semblent « dans l'ombre d'énormes (toujours le gigantisme) têtes de vieilles femmes, rangéesen cercle, monstrueuses et rechignées, qui regardaient le sabbat en clignant des yeux ».

Tous les ingrédientssont là : le cercle, les yeux de feu.

C'est pourtant une illusion (« semblaient ») : il s'agit bien de « maisons »(hideuses, il est vrai) ; non des yeux, mais des « lucarnes éclairées ».

Gringoire sait qu'il ne s'agit pas de celamais que ses sens le trompent.

De même, écrit Hugo : « comme dans un pandémonium ». 3.

Le fantastique Il naît justement de ces incertitudes, de ces flottements.

Le fantastique naît du réel : nous sommes à Paris en1483, le 6 janvier, mais il suffit de circonstances particulières (« trois mendiants » qui serrent comme trois tenailles »), un univers inhabituel, et tout bascule : ce nouveau monde » vire au « fantastique » et au diabolique.

Les vieilles maisons deviennent « monstrueuses ».L'effarement progressif que subit Gringoire lui fait perdre toute lucidité, il cherche « à rallier sa présence d'esprit pour se rappeler si l'on était à unsamedi », jour de sabbat, mais « ses efforts étaient vains ».

Il est en train de quitter le sol, la raison, il devient «flottant », il doute de lui-même, de la réalité de ce qu'il voit, et de sa propre réalité.

Le texte est aussi une sorte decauchemar, mais réel. Car il n'y a rien de fantastique dans ce spectacle, et c'est bien cela le plus impressionnant : il ne s'agit que de laCour des Miracles. III.

Le peuple I.

Le peuple de la Cour des Miracles. »

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