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Un vieil admirateur de Corneille consigne ses impressions dans son journal, au soir de la première d'Andromaque.

Publié le 09/02/2012

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corneille

J'ai reçu tantôt la première blessure de la « vieillesse ennemie «. Feu mon père me disait : « Quand tu ne partageras plus les enthousiasmes des jeunes, résigne-toi à te ranger parmi les vieux. « C'est fait. Je suis en complet désaccord avec la jeunesse qui vient d'applaudir Andromaque, comme, en 1636, les admirateurs de Scudéry traitaient de fols ceux qui s'en allaient répétant partout : « beau comme le Cid «.

Il serait puéril de refuser le talent à M. Racine. J'estime, au contraire, qu'il en possède plus qu'aucun autre, hormis toutefois notre grand ....

corneille

« Qui reconnaîtrait le despote cruel de la légende? Il s'abaisse devant une esclave captive, qu'il veut épouser à tout prix.

Les tyrans orientaux n'y mettaient point tant de formes.

Quand il débite de jolis vers à la dame de son cœur, il me semble entendre nos marquis turlupins soupirant dans une ruelle.

Cette galanterie précieuse ne convient point à un pareil monarque; héros à la Scudéry, cousin de Céladon, si l'on veut, mais Pyrrnus, jamais 1 Oreste n'est pas mieux venu.

Comment a-t-on pu le choisir pour ambassa­ deur? C'est bien le dernier auquel j'eusse songé, et il est invraisemblable que les Grecs subtils l'aient désigné.

Que demande-t-on d'un diplomate? De la clairvoyance, du bon sens, de la pondération.

Il n'a rien de tout cela, cet amoureux frénétique, cet homme fatal, cet assassin malgré lui.

Je vois dans ce rôle un contresens à la fois historique et moral.

Ah 1 Racine, comme vous eussiez été bien inspiré d'aller, une fois encore, consulter vQtre maître! Je pourrais adresser beaucoup d'autres reproches à la pièce nouvelle.

L'auteur y commet mainte faute contre les mœurs; ce qui n'a point manqué de choquer les honnêtes gens.

A-t-on jamais vu, par exemple, un roi venant au-devant d'un ambassadeur, au lieu de l'attendre sur son trône? C'est pour­ tant ce qui arrive au début de l'action.

J'ai aussi éprouvé une impression de monotonie à l'audition de ces vers élégants, harmonieux, mais si éloignés de la force de ceux de M.

Corneille.

Aucun ne frappe l'esprit, aucun ne soulève l'âme et j'ai vainement attendu :JUelqu'une de ces belles maximes, de ces tirades enflammées qui imposent l admiration.

La conduite de l'action est ce qui me paraît le moins prêter à la critique.

M.

Racine connaît cette partie de son métier.

Etant donné les caractères tels qu'ils apparaissent au début de la pièce, tout se passe logiquement et l'on peut, avec quelque discernement, entrevoir, dès le premier acte, la catas­ trophe finale.

Encore est-il que le double meurtre de Pyrrhus et d'Hermione, la folie d'Oreste portent l'horreur ari delà du permis et laissent sous une impression pénible.

A peine songe-t-on, au milieu de cette triple épouvante, à la victoire d'Andromaque.

Enfin, comme c'est au pied du mur qu'on reconnaît le maçon, j'attends M.

Racine dans un sujet historique.

Car cela n'est point de l'histoire, c'est tout au plus une légende avec laquelle l'auteur en prend à son aise.

II peut justifier toutes ~es fantaisies en ·nous renvoyant tantôt à Homère, tantôt à Euripide et tantôt à Virgile, qui ne s'entendent entre eux ni sur le caractère des héros, ni sur les événements.

Qu'il aborde un sujet où les personnages ne peuvent être ain'si modifiés sans révolter le pUblic, où l'action soit pure­ ment historique, et nous verrons à qui remettre la palme.

En attendant, vive notre vieil ami Corneille, pardonnons-lui quelques méchants vers en faveur de ses sublimes beautés qui nous transportent, et gardons-nous de lui préférer M.

Racine 1 Une jeune dame, admiratrice de Racine, consigne ses impressions dans son journal, au soir de la première d'Andromaque.

Souventes fois Madame ma mère m'a conté l'enthousiasme qui s'empara d'elle à la première représentation du Cid.

Fut-elle plus émue que je le suis à cette heure? Je ne le crois pas.

Ce que je crois, ce que jë n'oserais lui dire, et ce que je confie à mon seul journal, c'est que le pauvre père d'Attila n'a plus qu'à prendre sa retraite.

Corneille, le- grand Corneille a désormais un successeur auquel il ne saurait plus se mesurer : Andro­ maque est le Cid de M.

Racine.

Rodrigue et Chimène, qui enchantèrent une génération chevaleresque et romanesque, ne contentent plus la jeunesse d'aujourd'hui.

Nous sommes las de l'héroïsme, des actions extraordinaires et compliquées, des grands gestes et des grands mots.

On en a tant abusé 1 Nous avons soif de vérité et de simplicité.

Ce que Molière avait réalisé dans la comédie, nous l'atten­ dions dans la tragédie ...

Et maintenant il ne faut pas Quitter la nature d'un pas ...

Ce chef~d'œuvre comble nos vœux; .il est le triomphe du natureL. »

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