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Vouloir Le Mal

Publié le 17/01/2011

Extrait du document

Exemple Introduction 1.

 

C'est une question embarrassante qu'on nous pose là. Embarrassante parce qu'elle exige la révolte, la négation, la possibilité de sauver l'homme de cette malignité fondamentale qui lui ferait vouloir le mal pour le mal. Le mal comme but de l'action, c'est de l'ordre du non-pensable si l'homme est bien cet être qui n'accomplit son essence que dans l'accès à la moralité. Mais embarrassante parce qu'on aurait bien envie d'étouffer le constat inverse, celui de l'expérience qui nous confronte à une telle multiplicité tragique des figures du mal que l'on est bien prêt de croire qu'elles ne recouvrent toutes que cette volonté matricielle de voir du mal, de s'en délecter sous toutes ses formes!

Or, c'est d'une volonté qu'il s'agit. Et une volonté repose sur une délibération, un choix, la mise en place de moyens pour atteindre une fin... il y a de la construction dans la volonté, de la création, de l'intention. Comment alors pourrait-on imaginer toute cette architecture d'intelligence pour obtenir de la destruction, du chaos, de la souffrance, de la négativité.

Manifestement le mal comme aboutissement de l'action est-il révélateur d'une sorte de non-sens suicidaire, ou bien dissimule-t-il toujours et nécessairement une autre cible dont il n'est que le moyen?

 

Exemple Introduction 2.

 

"Vouloir le mal" est une attitude qui semble traverser la culture humaine, autant dans ses mythes comme celui du d‚mon qui rit des souffrances des suppliciés, que dans son histoire o— toujours les passions des hommes se sont vues grossies et attisées par cette domination qu'inspire la souffrance de l'autre. A force de cette nausée devant les multiples expressions et figures du mal, c'est bien la certitude que c'est finalement lui, le mal, qui se joue de nos actions pour s'exprimer et vaincre tous les efforts des hommes.

Pourtant cette formule du "vouloir" laisse perplexe, car la volonté est au contraire un acte d'intelligence, de puissance de la raison ou de la moralité, celle du devoir, contre la puissance de l'instinct, de l'irréfléchi, de l'incoercible! Ainsi vouloir, (c'est à dire délibérer, choisir, calculer, organiser la possibilité) le mal (c'est à dire ce qui est le fait ou le résultat de la négativité, du chaos, de la destruction et de la souffrance), voilà un comportement insupportable pour la pensée. Aucun être ne peut vouloir en tant que tel le mal sans entraîner sa propre négation. C'est cet étrange problème qu'il faut examiner.

 

On ne peut vouloir le mal PARCE QUE la volonté est toujours éclairée par la raison, et le mal est déraison.

 

* En effet, nous le disions avec l'évidence d'une introduction, la volonté est un terme qui d‚signe la spécificité humaine … travers toutes la culture occidentale. Elle est l'instance du jugement. Elle suit, prolonge l'analyse d'une situation et dessine, tente de réaliser ce qu'elle doit devenir.

      * La volonté s'oppose à l'instinct, comme l'action s'oppose à la réaction. La volonté implique la maîtrise du comportement et son calcul, quand l'instinct repose sur 1'irrefléchi. Il y a donc une situation du mal plutôt par le privilège (ou l'abandon) donné à l'instinct, à la pulsion, liés au corps, à la part sensible ou sensuelle de l'homme. Celle qui "fait faire n'importe quoi", celle qui révèle qu'on "ne se contrôle plus", celle enfin que l'on regrette.

La volonté est sous la lumière de la conscience, elle met en place les moyens, et les moyens pour parvenir aux moyens, et en cela elle suppose une capacité de choix, de sélection intelligente des intermédiaires afin de réaliser l'action et d'atteindre le but. Elle s'oppose en cela au mal qui quant à lui n'est qu'une soumission à la violence immédiate, ou dans le cas d'une stratégie maligne qui aurait les atours d'une volonté, d'un intérêt particulier. Ce n'est alors qu'un plan et non une volonté.

Le plan peut être celui du fou qui manifeste parfois des logiques si troublantes qu'elles semblent supérieures à celles du commun. Le psychopathe assassin n'est pas qu'un personnage de polar, il est le plus souvent une énigme terrible pour les plus fins limiers (par exemple Una bomber). Doit-on parler de volonté? Non car la volonté implique plus que la réussite de l'action ou son agencement, la volonté est solidaire de la valeur de l'action.

En effet "vouloir" c'est s'engager, c'est se reconnaître comme l'auteur et l'origine de l'action. D'ans la volonté un sujet s'affirme et de ce fait se juge. Donc "vouloir" implique la moralité de l'action. C'est pourquoi on ne juge que des individus qui manifestent une santé mentale certaine, et non ceux dont le niveau de réflexion serait déficient. On ne peut donc pas vouloir le mal puisqu'il est désorganisation, déstructuration de l'être. Il introduit le chaos, la souffrance. Il y a dans le mal une perte du sens, introduction de l'incohérence et du déséquilibre. Tout ce qui s'oppose aux caractéristiques de la volonté, expression dans l'action de la raison associée à la moralité. Le mal est avilissement autant de l'objet saisi que de l'acteur de l'ignominie. Le mal brise et perturbe l'ordre, il empêche d'avancer, en ce sens il est comme disaient les Grecs problema.

Et c'est bien l'analyse qu'en fait Platon, dans le MENON, lorsqu'il lance sa formule célèbre: "Nul n'est méchant volontairement". Il ne veut pas dire qu'il y a une innocence fondamentale de l'homme, un angélisme gaffeur! Il veut dire que le Cosmos (# chaos) inscrit la volonté humaine dans sa régularité, et cette volonté, parce qu'elle est liée à la raison ne peut démentir son calcul. Et lorsque Platon parle de moralité, ce n'est pas dans le sens Chrétien qu'il emploie le terme de Vertu, mais dans le sens de participation à l'harmonie universelle. De ce fait, la méchanceté est aberration, elle est oubli de soi, elle est ubris, démesure et excès.

      * Bien sûr, en ce sens Platon se situe dans cette représentation du Souverain Bien qui ordonne le monde du Vrai (et donc de la Réalité) dans celui de l'intellectualité des Idées, et 1 'introduction du mal, c'est 1 'introduction du désir, du sensible, de la particularité. Le Bien est "calcul, mesure, proportion...", le mal est distorsion. C'est pourquoi il ne peut relever d'un vouloir authentique. Au pire d'un désir, d'une aspiration, d'un appétit, mais rien qui ait rapport avec la cohérence générale du Sens.

Le monde Chrétien ne manquera pas de prolonger cette pensée que l'on retrouve si bien écrite sous la plume de Saint Augustin (Confessions) lorsqu'il dit: "Aime, et fais ce que tu veux". En un mot, celui qui connaît le Sens (ici Dieu), peut agir sans inquiétude, il ne peut faire le mal car il sera toujours dans sa juste place au coeur d'un système positif.

 

      OR nous avons bien parlé de culpabilité, celle qui révèle la pleine conscience de l'acte? Est-ce que donc nous ne sommes pas confrontés, au cœur même de ce raisonnement, au méchant, celui que justement on appelait le mécréant, celui qui ne croit pas? Cette volonté peut alors se détacher de son enracinement rationnel pour se donner des finalités qui ne lui appartiendraient pas. Pourrait-elle être indépendante? Se libérer après avoir été créée, comme ces monstres qui échappent à leurs créateurs. Née de la raison pour lui donner son prolongement existentiel, ne peut-elle devenir diabolique et servir le mal?

 

Sachant d'ailleurs que l'on a nommé "le mal" toutes les propositions issues d'autres logiques que celles d'une autorité idéologique qui imposait la sienne comme l'unique possible. La notion d'irrationnel ou de folie a son histoire liée à cette lutte historique de l'idée de Vérité. (cf. M. Foucault. Histoire de la  folie à l'âge classique.)

La volonté apparaît alors comme cette puissance d'action qui peut à tout moment transformer le virtuel en actuel, le potentiel en réel. Elle peut donc être l'arme suprême du mal en ce qu'elle se donne comme créativité (nous l'avons vu), comme surgissement contre l'état de fait, contre le Natura (le cours des choses en latin) .

Il y a dans l'idée de volonté, celle d'autonomie, de matrice de l'action, de souche à l'invention ou à la décision. Parler de volonté, c'est donc ne pas être contraint à s'en tenir à un ordre qui la dépasse et la transcende. Il y a dans l'idée de volonté celle de Liberté. C'est elle qui détermine la désignation de la liberté, et non l'acte. "Avoir la volonté libre, dit Leibniz dans Nouveaux  essais sur l'entendement humain, et non les coudées franches". Donc cette même volonté qui est née de la raison et se destine à la moralité peut devenir le moyen libre, indépendant d'autres maîtres! Le mal.

D'ailleurs, ce jugement dont nous parlions qui ne prenait pour responsable que l'individu sain d'esprit, est bien celui qui confirme qu'il n'y a de mal que dans l'examen de la volonté!!

C'est un passionnant débat qui se tient entre Leibniz et Descartes (Descartes vient de mourir, Leibniz connaît parfaitement ses œuvres). Descartes avait affirmé que la volonté était indépendante de l'entendement, qu'elle était d'une nature différente de celle de la raison. Cette nature est celle de l'infini.

D'ailleurs, volonté chez l'homme égale à celle de Dieu. Il disait qu'on pouvait vouloir n'importe quoi, au delà de tous les signaux et tous les raisonnements de l'entendement. Vouloir ne dépend pour Descartes de rien. Il la nomme "absolue" et parle de "la liberté d'indifférence" pour désigner cette capacité (pour lui, au demeurant, nécessité parfois) de "nous déterminer en l'absence de toute raison" (selon le vieux modèle de l'âne de Buridan). Il faut bien que la volonté soit libre. Mais qu'est-ce que cela implique, sinon que l'erreur vient de la volonté qui acquiesce ou refuse au delà de la vérification ou de la proposition de l'entendement. Mais plus encore, il y a liberté absolue pour Descartes lorsque la volonté fait pencher la balance du côté inverse des raisons (Descartes est physicien. Il cite alors la vieille phrase de Saint Augustin: "choisir le mal en voyant le meilleur"! Notre problème se trouve attrapé ici: vouloir "absolument", c'est choisir le mal.

Leibniz en rationaliste plus cartésien que Descartes, refusera cette conception "satanique" de la liberté. Il dira avec génie, car il reprend la structure du raisonnement du Cogito: "Monsieur Descartes a tort de penser qu'on puisse vouloir hors de toute raison, et qu'en cela réside la marque de notre absolue liberté, car il oublie que c'est encore pour affirmer cette liberté que l'on va se déterminer contre les raisons". Bien sûr, on comprend le postulat de Leibniz: il n'y a pas de vide causal.

 

On voit donc que la volonté devient l’otage de la lutte entre le bien et le mal. Mais n'est-ce pas un oubli de l'acteur de cette volonté, celui qui, derrière elle, fait le choix, celui d'une conscience qui pour cela doit interpréter le monde, lui donner du sens, une valeur, des objectifs, qui doit les lier â une histoire. Donc la volonté n'est pas "en suspension" dans l'action, mais elle est elle-même le "bout" d'une histoire, d'un vécu. C'est pourquoi—.

 

Il y a une volonté du mal qui prend le mal pour objet et non comme moyen ou représentation (de la liberté, de l'autonomie, etc.), c'est ce que l'on nomme la perversité.

C'est la présence de la volonté qui "fait" le mal. Sans elle c'est l'accident, c'est l'imprudence, c'est l'involontaire... C'est enfin dans ce sens que l'on parlera de préméditations qui constituent des circonstances aggravantes.

Cela nous amène à dire qu'on peut vouloir le mal, et même, c'est parce qu'on veut qu'il y a le mal.

Allons plus loin dans l'analyse pour dire .Qu'il n'y a que le mal qu'on puisse vouloir! En effet, ce que l'on nomme le mal, c'est toujours plus que l'événement douloureux ou destructeur. On dit qu'il y a le (ou du) mal comme si on ajoutait quelque chose, une nuance, un ton ou une trame de cet événement qui en fait une figure ou une victime du mal. Quel est ce plus, si ce n'est l'intention de la destruction ou de la douleur! La volonté de faire mal.

On ne dit pas de tous les criminels, amants jaloux, braqueurs assassins ou voleurs de souvenirs qu'ils représentent le mal. Ce sont des criminels. Le mal doit désigner 1 'ombre de la volonté délibérée qui s'ajoute au geste et à ses buts et ses intérêts. Le mal, c'est vouloir "en plus" voir souffrir, c'est ajouter le spectacle de la douleur, le savoir de la douleur au vécu de la douleur. Il y a le mal parce que c'est lui qu'on a voulu par le moyen du "geste"!

On nomme donc "perversité" ce que le dictionnaire appelle "le goût du mal". La jouissance (dont certains disent qu'elles est d'ordre pathologique) du spectacle du mal existe en tant que finalité à l'action. C'est elle, l'action qui apparaît comme pur prétexte à cet entraînement de la destruction.

Il y a donc dans la volonté du mal une haine fondatrice qui s'en prend à la culture, à l'organisation, à la règle, à la présence de l'homme. Vouloir le mal, c'est donc haïr l'homme, et en quelque sorte se haïr soi-même.

Il est clair alors que celui qui veut le mal est quelqu'un de malheureux. C'est du malheur, du désir de vengeance que peut naître une volonté "pure" du mal. Le ressentiment contre une nature marâtre et un dépit contre une culture impuissante à la remplacer. Une sorte de suicide ou de nihilisme qui seraient les seules réelles figures de la volonté du mal.

N'est-ce pas la figure du mal qu'offre à contempler le Marquis de Sade? [ ... ]

 

D'où cette seconde étymologie qu'on propose de "méchant" qui est "mé-chéant", celui qui tombe mal, qui souffre.

 

C'est pourquoi le rôle de la culture est de conduire cette volonté destructrice vers une conversion positive. La culture doit donner à la volonté du mal des objectifs extérieurs, des exutoires.

C'est pourquoi on classe dans la maladie mentale, la folie, et que l'on renferme celui qui se donne le mal comme réalisation de son existence. (Foucault ou Bataille)

En revanche la culture essaie de traduire cette violence intérieure, ce malheur devant le monde par une sorte de catalyseur, de milieu civilisateur. Et le mal devient une force, une puissance déroutée pour servir des intérêts extérieurs.

Le rôle de la civilisation, en ce sens, est bien celui de rendre impossible de vouloir le mal. Car s'il y a le mal, c'est parce que "je" veux. C'est le désir, c'est "ma" violence, "mon" instinct et "ma" satisfaction immédiate qui font surgir la désorganisation. Donc il s'agit d'ordonner le vouloir dans des canaux, vers des représentations qui aboutissent au bien collectif. Ainsi ce qui est mal pour un individu peut être transformé en bénéfice pour le groupe (le jeu pour les bénéfices qu'il engendre... la violence pour la vaillance au combat qu'elle peut devenir... le goût du pouvoir pour l'engagement politique... l'avidité aux richesses pour une économie dynamique.)

On ne doit donc plus vouloir le mal, mais on peut le travestir, ou comme dirait Freud, le sublimer. Lequel Freud nous disait bien dans Malaise dans la civilisation (ou culture) que les hommes sont d'abord dans une situation de haine et d'agression spontanée entre eux.

D'où le sens de la célèbre (et si souvent mal interprétée) phrase de Hegel: "Rien de grand dans le monde ne s 'est fait sans passions".

 

C'est pourquoi ce n'est jamais le mai que l'on veut, Ou qu'on nous laisse vouloir, mais ce qu'il permet d'obtenir... et là la moralité est souvent sauve.

 

Vouloir le mal, c'est vouloir un moyen, un instrument, au risque de devoir reconnaître que ce n'est que notre propre perte que l'on veut entraînant avec elle celle des autres. Même lorsque Sade semble rechercher le spectacle du mal et d'en jouir, cette jouissance est encore autre chose que le mal qui la produit!

Le mal transgresse, brise les interdits et libère le pouvoir. Il met à portée l'objet que les règles, morales et autres lois m'empêchent d'atteindre ou même parfois d'espérer. Alors on veut le mal, certes, mais parce qu'il est libérateur, émancipateur. Et non pour lui-même.

* On veut le mal parce qu'il supprime toute métaphysique! Le mal fait de toute action un "possible" absolu. Plus rien n'est codé ni prévisible selon un plan normé par une culture, une civilisation, une religion, une morale ou même une convenance sociale. Le mal rend l'action seulement technique, où tous les moyens sont désacralisés. Et c'est en cela qu'on reconnaît le mal: la désacralisation du comportement, plus aucun partage.

        On reconnaît ici bien sûr la grande opposition entre les deux merveilleux philosophes: Machiavel et Kant.

L'un prônant le respect de la personne qui toujours doit être considérée comme une fin de l'action, et l'autre qui fait de la morale elle-même comme du mal un pur moyen pour une action devenue dans sa réussite sa propre fin.

Mais ce qu'il faut remarquer dans la lecture de Machiavel, c'est que, au coeur de sa "scélératesse", le Prince ne veut pas le mal, il ne s'en réjouit pas, il n'y est pas heureux, et le plus souvent il le déplore et même s'y sacrifie pour une postérité qui le haïra.

 

Le mal ne se veut pas finalement, il se subit toujours.

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