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Zola, Au Bonheur des Dames (extrait 1).

Publié le 07/05/2013

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Zola, Au Bonheur des Dames (extrait 1). C'est par le regard de Denise que le lecteur découvre en ce début de roman le grand magasin Au Bonheur des Dames. Opposant la petite boutique vouée à la disparition au grand magasin, l'écriture impose brutalement un réseau d'images organisées autour des couples antithétiques mort / vie, obscurité / lumière, vieillesse / jeunesse, immobilité / agitation. Par la métaphore du magasin comme gigantesque machine à vapeur, Zola pénètre au coeur de son sujet : la peinture de la société et son nouveau système de production. En un redoutable processus de combustion alimentée par la convoitise quasi érotique des clientes, le magasin et les biens qu'il recèle prennent vie, absorbant puis rejetant dans un implacable mécanisme les clientes devenues matière première. Au Bonheur des Dames d'Émile Zola (chapitre 1) [...] Denise, de nouveau, resta seule, assise près de la porte, en attendant que son oncle pût la conduire chez Vinçard. Pépé jouait à ses pieds, Jean avait repris son poste d'observation, sur le seuil. Et, pendant près d'une heure, elle s'intéressa aux choses qui se passaient autour d'elle. De loin en loin, entraient des clientes : une dame parut, puis deux autres. La boutique gardait son odeur de vieux, son demi-jour, où tout l'ancien commerce, bonhomme et simple, semblait pleurer d'abandon. Mais, de l'autre côté de la rue, ce qui la passionnait, c'était le Bonheur des Dames, dont elle apercevait les vitrines, par la porte ouverte. Le ciel demeurait voilé ; une douceur de pluie attiédissait l'air, malgré la saison ; et, dans ce jour blanc, où il y avait comme une poussière diffuse de soleil, le grand magasin s'animait, en pleine vente. Alors, Denise eut la sensation d'une machine, fonctionnant à haute pression, et dont le branle aurait gagné jusqu'aux étalages. Ce n'étaient plus les vitrines froides de la matinée ; maintenant, elles paraissaient comme chauffées et vibrantes de la trépidation intérieure. Du monde les regardait, des femmes arrêtées s'écrasaient devant les glaces, toute une foule brutale de convoitise. Et les étoffes vivaient, dans cette passion du trottoir : les dentelles avaient un frisson, retombaient et cachaient les profondeurs du magasin, d'un air troublant de mystère ; les pièces de drap elles-mêmes, épaisses et carrées, respiraient, soufflaient une haleine tentatrice ; tandis que les paletots se cambraient davantage sur les mannequins qui prenaient une âme, et que le grand manteau de velours se gonflait, souple et tiède, comme sur des épaules de chair, avec les battements de la gorge et le frémissement des reins. Mais la chaleur d'usine dont la maison flambait, venait surtout de la vente, de la bousculade des comptoirs, qu'on sentait derrière les murs. Il y avait là le ronflement continu de la machine à l'oeuvre, un enfournement de clientes, entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. Et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique, tout un peuple de femmes passant dans la force et la logique des engrenages. Source : Zola (Émile), Au Bonheur des Dames, 1883. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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