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LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Publié le 01/11/2016

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scientifique

ce n’est qu’un cas particulier où une théorie a effectivement semblé suivre la procédure de la falsifiabilité. Il existe certes dans l’histoire des sciences, consent Kuhn, d’autres exemples de cas où l’on a soumis une théorie à une batterie de tests pour tenter de la falsifier, mais c’est finalement une procédure exceptionnelle qui n’est mise en œuvre que dans des épisodes critiques de l’évolution d’une discipline scientifique. Dans le cours de ce que Kuhn appelle la « science normale », les chercheurs acceptent au contraire les théories établies, et s’ils font effectivement des tests, c’est pour évaluer leurs recherches individuelles à l’intérieur de ces théories qu’ils ne tentent pas en permanence de remettre en cause. Bref, pour Kuhn, la recherche scientifique ne peut exister que si un consensus théorique a été établi entre les chercheurs.

 

Un tel consensus a été nommé « paradigme » , puis « matrice disciplinaire » par Kuhn. Une révolution scientifique sera bien, en revanche, un changement de paradigme. Telle est la divergence fondamentale avec Popper, comme le souligne Kuhn en 1970 dans une contribution à un ouvrage collectif, Criticism and the Growth of Knowledge : ce n’est plus le « criticisme » permanent qui est l’âme de la recherche scientifique, mais, au contraire, un certain « dogmatisme » (ce point est expliqué par Dominique Lecourt dans L’Ordre et les jeux, Le positivisme logique en question, Grasset, 1981, p. 132).

 

Certains reprocheront à leur tour à la théorie de Kuhn de faire apparaître la science tout à la fois comme « révolutionnaire » (elle ne connaîtrait de vraies ruptures que sous forme de révolutions) et « conservatrice » (elle aurait besoin d’un dogmatisme essentiel pour assurer son fonctionnement « normal »). N’est-ce pas le modèle politique des révolutions qui est appliqué aux sciences par Kuhn ? En science comme en politique, lorsqu’un système se révèle inefficace, nulle réforme ne serait suffisante à le sauver, et seul un changement radical et brutal serait la solution pour créer une légitimité nouvelle, littéralement incommensurable à la précédente : telle est la thèse kuhnienne de « l’incommensurabilité des paradigmes » (ils n’ont pas de « commune mesure », ils sont donc littéralement incomparables). Popper en ce sens est un réformiste : il refuse toute distinction entre réforme et révolution en science et postule au contraire que le réformisme critique authentique qui apparaît dans la dynamique de la recherche scientifique est non seulement une évolution mais un progrès. On peut ainsi constater par contraste que la position de Kuhn, qui, lui, refuse l’idée d’un progrès scientifique renvoyant à un idéal à atteindre et ne cesse de souligner l’irrationalité du passage d’un paradigme à un autre, débouche sur une forme de relativisme.

 

Imre Lakatos, de son côté, a un point de départ plus poppérien, ne serait-ce que parce qu’il partagea d’abord assez largement ses thèses et fut son successeur à la London School of Economics. Il s’émancipe cependant de la doctrine poppérienne en introduisant notamment deux thèses nouvelles.

 

La première est celle du « falsificationisme sophistiqué ».

LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

 

I. La recherche scientifique, la science et les sciences La recherche est l’activité de la science. Derrière ce truisme gît cependant une première difficulté : encore faut-il se mettre au clair sur la définition de la science elle-même ! Après tout, bien d’autres activités sont essentiellement ou partiellement tournées vers la recherche : l’art, la technique, la philosophie elle-même par exemple.

 

Pour que la recherche soit dite scientifique, il faut qu’elle satisfasse un certain nombre de critères, dont la liste est en elle-même un problème épistémologique de taille, puisqu’elle renvoie à la définition de ce qu’est la scientificité. On dit le plus souvent que la démarche de recherche scientifique se définit autant par sa méthode (la « rigueur » scientifique) que par ses résultats : elle doit parvenir à des propositions susceptibles d’être vérifiées, du moins « corroborées » ou, à l’inverse, « infirmées ». On peut, à partir de cette généralité, énumérer en une première approche quelques-uns des critères les plus simples qui circonscrivent la recherche scientifique.

 

1. La recherche scientifique doit avoir non seulement un champ d’investigation, mais encore un objet bien déterminés La recherche scientifique tout entière, au sens de l’effort de l’ensemble de la communauté des chercheurs de toutes les disciplines scientifiques, porte sans doute sur un « objet » à la fois très général et absolu, que l’on peut désigner sommairement comme le progrès des connaissances humaines, voire la « Vérité scientifique » des phénomènes. Mais cette finalité générale, outre que l’on peut en discuter la définition (pourquoi ne pas, par exemple, la désigner comme ce qui est « utile » à l’humanité, ou, à défaut, à une partie de l’humanité, voire à la seule communauté des chercheurs), n’est pas l’objet nécessairement précis et délimité d’une recherche scientifique. Cette dernière a la propriété de déterminer son objet. Au sens le plus simple, il s’agit du domaine de recherche investi : le vivant pour la biologie, la nature inanimée pour la physique, les phénomènes sociaux pour la sociologie, les phénomènes psychiques pour la psychologie, les entités formelles et leurs relations pour les mathématiques, etc. On observe immédiatement plusieurs difficultés qu’il faut prendre en considération.

 

Premièrement, il apparaît que le découpage des domaines d’investigation ne préexiste pas à la recherche scientifique : l’opposition animé/inanimé, qui est le corrélat par exemple de la distinction entre une recherche en physique et une autre en biologie, n’existe pas comme telle dans la nature elle-même.

 

Ce sont bien les sciences qui posent ces distinctions, en établissant une sorte de géographie politique de leurs domaines respectifs de juridiction sur le réel. Cette géographie, ou même ce « droit international » des sciences entre elles, est mouvante : tel objet qui releva à une époque d’une science peut plus tard devenir l’objet d’une autre.

 

Cette géographie est également cruciale dans la détermination d’un objet comme objet de recherche scientifique : la « voyance » ou la sexualité ne sont pas des objets pour la recherche en physique (si un physicien le prétendait, il

- D’autre part, parce que selon une formule de Popper, « les seules découvertes authentiques sont des réfutations d’hypothèses scientifiques », alors que pour Lakatos il est réducteur de penser que le seul résultat fructueux de la confrontation de la théorie et de l’expérience est une falsification concluante, puisque l’histoire et la pratique des sciences semblent bien indiquer, selon lui, que nombre de résultats expérimentaux sont plutôt des confirmations, et non des falsifications.

 

Ces amendements sévères apportés au falsificationnisme poppérien devraient donc permettre de le perfectionner et de lui donner une forme « sophistiquée » : l’essentiel est de comprendre, selon Lakatos, qu’il faut considérer des « séries de théories », et non une théorie seule face à une expérience, et que ce que l’on appelle une théorie « scientifique » est tout simplement une théorie qui a un contenu corroboré plus grand que celui de ses rivales.

 

Cette première thèse de Lakatos débouche assez logiquement sur la seconde, qui est celle de la « méthodologie des programmes de recherche ». Il importe en effet, explique Lakatos, de comprendre que l’âme de la science est bien dans la recherche, et que l’analyse des états de la recherche est l’analyse la plus juste de ce qu’est la science. Les programmes de recherche sont répartis par Lakatos en trois catégories : un programme de recherche est dit « progressif » lorsque son développement théorique (sa capacité à énoncer des conjectures falsifiables, à prédire des phénomènes nouveaux) anticipe sur son développement empirique ; il est dit « stationnaire » lorsque son développement théorique est dépendant de son développement empirique ; il peut alors tomber en dégénérescence et ne plus contenir que le « ressassement solennel » de ses positions initiales lorsqu’il n’y a plus de développement du tout, ni empirique ni théorique.

 

Tout programme de recherche, ajoute encore Lakatos, contient deux éléments méthodologiques qui permettent d’orienter la recherche : deux « heuristiques ».

 

En premier lieu, il contient une « heuristique négative » : un ensemble d’hypothèses générales qui semblent immunisées contre toute falsification. Cela ne signifie certes pas qu’elles ne sont pas falsifiables, mais tout simplement qu’il existe une décision tacite d’une communauté scientifique de ne pas les remettre en question.

 

En second lieu, il comporte une « heuristique positive », c’est-à-dire un ensemble d’hypothèses secondaires désignant les problèmes essentiels à résoudre et la hiérarchie méthodologique à adopter dans leur résolution. Dans un court passage de son œuvre, Lakatos explique très clairement que, selon lui, la volonté de mise à l’épreuve des modèles théoriques qui semble au cœur de la vision poppérienne de la

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« courrait le risque de se discréditer sérieusement aux yeux de sa communauté scientifique !), mais peuvent parfaitement être des objets, dans le premier cas pour la psychologie, dans le second pour la biologie, la sociologie ou la psychologie.

On voit dans ce second exemple à quel point une recherche scientifique « construit » son objet : la sexualité peut être étudiée par la biologie d'un point de vue organique ou hormonal, par la sociologie du point de vue de la variété des usages et des régulations sociales, par la psychologie du point de vue du vécu existentiel.

Une recherche scientifique a donc finalement moins un objet précis qu'elle ne le constitue elle-même.

Mais la précise délimitation de l'objet est cruciale : une recherche qui prétendrait porter sur « tout » ne porterait sur rien, et ne serait pas scientifique. 00020000117F00000FD0 : si l'objet est délimité par la recherche scientifique, et donc par une discipline, il va nécessairement falloir être très prudent quant aux critères de description ou de définition que l'on va employer à l'égard de la « démarche de recherche » proprement scientifique.

En effet, les méthodes employées, par-delà la fameuse « rigueur scientifique » en général, diffèrent largement d'une discipline, et donc d'une activité de recherche, à une autre.

Il suffit sans doute ici de nous rappeler que l'on distingue, pour utiliser ici la classification la plus simple, trois types de sciences. Les sciences formelles tout d'abord (les mathématiques, la logique) : peu importe, pour elles, le « contenu » des objets qu'elles manipulent.

Lorsque nous disons « Tout f est g ; or, x est f ; donc, x est g », f, g, et x sont des « objets quelconques », « formels », et il est inutile d'imaginer que ce sont des chats ou des tables.

Bref, dans ce type de science, la recherche scientifique, délimitant son objet propre, qui est formel, n'a que faire par exemple de la « vérification expérimentale ».

La recherche en mathématiques différera donc considérablement, de ce point de vue en tout cas, de la recherche en physique. Les sciences empiriques de la nature ensuite (la biologie, la physique, par exemple) doivent au contraire inclure dans leur démarche de recherche des procédures de « vérification », ou du moins de « corroboration » expérimentale. Quant aux sciences de l'homme et de la société (l'histoire, la psychologie, la sociologie, par exemple), elles ont également des modes de recherche qui leur sont spécifiques.

Prenons le cas de l'histoire : un chercheur travaillant sur la compréhension du déroulement de la bataille de Stalingrad pendant la Seconde Guerre mondiale et de son impact sur la suite du conflit germano-soviétique fera un travail de recherche « empirique » pour établir des faits (recherche documentaire), établira un modèle de compréhension et d'interprétation de son objet, mais sans la moindre possibilité de « vérification expérimentale » (il est impossible, évidemment absurde, et par ailleurs très peu souhaitable, de faire « rejouer » la bataille de Stalingrad pour vérifier une hypothèse !).

La recherche dans chacune des sciences portera donc les marques de la spécificité de la discipline scientifique mise en œuvre. 2. »

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