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jean de la fontaine

Publié le 17/03/2015

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fontaine
Le Loup et l'Agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure :Nous l'allons montrer tout à l'heure.Un Agneau se désaltéraitDans le courant d'une onde pure.Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait.Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.- Sire, répond l'Agneau, que votre MajestéNe se mette pas en colère ;Mais plutôt qu'elle considèreQue je me vas désaltérantDans le courant,Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,Et que par conséquent, en aucune façon,Je ne puis troubler sa boisson.- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,Et je sais que de moi tu médis l'an passé.- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :Car vous ne m'épargnez guère,Vous, vos bergers, et vos chiens.On me l'a dit : il faut que je me venge.Là-dessus, au fond des forêtsLe Loup l'emporte, et puis le mange,Sans autre forme de procès.La Fontaine, Les Fables Le Loup et l'Agneau de Jean de La Fontaine est une fable versifiée, issue du mouvement du classicisme en France sous le règne de Louis XIV. La Fontaine écrit ses Fables pour instruire le jeune dauphin; son but était donc de plaire en instruisant. Dans ce poème il est question du pouvoir dans la société. La fable est composée de vingt-neuf vers où l'on distingue une grande variété de type de vers, quadrisyllabe, octosyllabe, décasyllabe, alexandrin avec rimes plates, embrassées et croisées. Cette variété et dynamisme est caractéristique de La Fontaine qui veut une poésie naturelle en mettant en scène des animaux. Le texte met en évidence une réalité cruelle entre le loup et l'agneau qui vise à montrer que le plus fort écrase le plus faible mais qui la justifie. Cette histoire met en scène des animaux pour mieux évoquer l' Homme et faire une critique de la société qui ne se limite pas à son époque. Nous verrons d'abord que La Fontaine utilise des animaux pour en faire des personnages vivants et exemplaires. Puis nous mettrons en évidence l'argumentation de mauvaise foi du loup face à l'argumentation sincère et logique mais naïve de l'agneau. Enfin nous montrerons que La Fontaine a voulu, à travers les animaux, illustrer une morale à portée universelle. En premier lieu, La Fontaine utilise des animaux dont les traits spécifiques sont facilement identifiables: le loup est un animal dangereux qui tue les autres animaux pour les manger; l'agneau est un animal faible, inoffensif. Ce sont ces quelques caractéristiques animales qui servent à La Fontaine en quelque sorte d'armature pour développer, par les propos que tient chacun, un caractère propre qui correspond à son apparence et à son comportement. Pour mieux accentuer leurs traits, La Fontaine les place dans leur cadre naturel mettant en évidence la réalité animale. En effet, les deux animaux sont immédiatement présentés dans un milieu naturel, "Dans le courant d'une onde pure" (4), plus suggéré que décrit par des détails pittoresques: La Fontaine se sert ici de termes d'une grande simplicité et aux sonorités pleines de douceur, de fluidité. Le décor est réduit au minimum: à la fin de la fable, il est seulement fait mention des "forêts" où le Loup entraîne l'Agneau et qui pourraient figurer les coulisses où, loin du regard des spectateurs et par souci des bienséances, s'accomplissent les actions sanglantes dans les tragédies classiques ! Par ailleurs, la réalité animale de chacun des deux protagonistes est rappelée par des traits peu nombreux mais qui vont à l'essentiel : pas de description encore une fois, mais le Loup est une bête "cruelle" poussée par "la faim", l'Agneau "tète" sa mère et vit au milieu des "chiens" et des "bergers". Seule la majuscule à leur nom les caractérise et les distingue, leur donne un statut particulier dans leur espèce. Elle les personnifie en leur donnant un "nom" et montre qu'ils représentent davantage qu'un loup et un agneau. En effet, le fait qu'ils symbolisent plus que des animaux est renforcé par les dialogues qui rendent l'histoire plus vivante et nous permet de nous identifier aux personnages qui sont ainsi humanisés. Le narrateur se veut objectif lorsqu'il annonce dans les premiers vers une démonstration logique et une vérité générale renforcée par l'emploi du temps présent. Mais les paroles des personnages mettent en évidence l'injustice de cette véríté universelle tandis que le narrateur lui-même perd son objectivité lorsqu'il présente le Loup comme « un animal plein de rage » (8), « une bête cruelle » (18). Il s'agit par conséquent de mettre en évidence l'existence d'un rapport de force et d'illustrer la cruelle réalité de la loi du plus fort. Elle est mise en scène dans cette fable par le biais d'un "procès" (29) truqué. En plaçant la morale de la fable en tête de son récit, La Fontaine supprime tout suspense quant à l'issue inéluctable de l'affrontement entre le Loup et l'Agneau. Tout est joué d'avance. Le lecteur sait donc que l'argumentation biaisée du Loup viendra à bout des arguments logiques de l'Agneau. C'est d'abord un fait matériel impossible que le Loup reproche à l'Agneau: "troubler [son] breuvage" (7) et c'est en fait sur les circonstances annexes du crime -le caractère de l'accusé-que porte l'interrogatoire : "Qui te rend si hardi [...] " (7), « ta témérité » (9). L'agneau est jugé dès le départ et c'est de mauvaise foi puisqu'un agneau n'est pas caractérisé par son courage, sa témérité. Au contraire, c'est sans agressivité, avec une politesse respectueuse, que l'Agneau s'adresse au Loup à la 3e personne, reconnaît sa toute-puissance ("Sire", "Votre Majesté", 10). Il n'aborde pas la question immédiatement mais essaie de calmer le jeu. Puis, à partir du vers 14, il fait appel naïvement à l'objectivité du Loup pour qu'il reconnaisse que les lois de la physique le disculpent. Il énumère tous les éléments à décharge ("dans le courant", 14 "plus de vingt pas au-dessous", 15); il en tire enfin fermement les conclusions, en redoublant le lien de conséquence ("Et que par conséquent, en aucune façon", 16). Ses dernières paroles : "troubler sa boisson" (17) font écho à l'accusation du Loup ("troubler mon breuvage", 7) et il pense avoir ainsi démontré clairement son innocence. Mais le Loup n'attend pas la réponse de l'Agneau : il l'a déjà condamné sans appel, comme le marque le futur : "Tu seras châtié"(9). La réplique conciliante de l'Agneau et les arguments matériels irréfutables qu'il oppose sont balayés par le Loup qui nie l'évidence, comme s'il n'avait pas entendu la justification de l'Agneau : il reprend, mais sous une forme plus ramassée et plus hargneuse - en trois mots : "Tu la troubles" (18) - son accusation du vers 7. Puis le loup quitte le domaine des préjudices matériels qu'il prétend subir pour lancer une autre accusation. Elle est formulée d'une façon toujours aussi catégorique par un péremptoire "je sais" (19), mais le Loup n'apporte pas la moindre justification à son affirmation; il quitte désormais le domaine des faits et du présent pour invoquer de prétendues assertions menteuses ("tu médis", 19) proférées dans le "passé" (19). C'est donc ici un délit d'opinion qui est reproché à l'Agneau. La deuxième réplique de ce dernier est beaucoup plus courte que la première: deux vers seulement. Peut-être sent-il déjà l'inutilité de sa résistance? Il donne à sa protestation d'innocence la forme d'une question rhétorique - sûrement pour ne pas braquer davantage le Loup contre lui. L'impossibilité matérielle lui constitue pourtant un alibi imparable : "je n'étais pas né" (20). Et en rappelant son extrême jeunesse, "je tette encore ma mère" (21), il met en avant, implicitement, sa complète incapacité de nuire. Sa dernière réplique, sous la forme de quatre monosyllabes, « Je n'en ai point » (23),  est à peine esquissée. L'Agneau ne cherche plus à construire son plaidoyer, il perd pied devant les attaques hargneuses du Loup qui lui confisque la parole. En effet les dénégations de l'Agneau ne décontenancent pas le Loup, qui n'abandonne pas le chef d'accusation mais en modifie les circonstances: l'Agneau devient ici, avec ses semblables, l'instigateur d'une conspiration anti-Loup (la conspiration, c'est l'obsession de tous les pouvoirs tyranniques...) dans un drôle de monde à l'envers réinventé par le Loup où les agneaux et les moutons règneraient sur un peuple de "bergers" et de "chiens" - c'est ce que sous-entend la reprise du possessif "vos" du vers 25... Mais il ne révèle pas ses sources: il se contente d'une formule indéfinie ("on me l'a dit", 26). Ce « on », qui ne désigne personne mais conclut l'argumentation du loup, marque bien la fausseté d'une logique néanmoins présentée comme implacable et marquée par la succession serrée de liens logiques aux vers 22, 23 et 24 : « donc », « donc », « car ». La réussite des fables de La Fontaine tient justement à ce que ses animaux sont humanisés, mais cette métamorphose s'inscrit toujours dans la logique de leur nature, de leur physique, de leur comportement animal, ce qui rend encore plus convaincant le passage du récit à la leçon morale qu'on peut en tirer. En effet, dans sa dédicace "A Monseigneur le Dauphin" du premier recueil des Fables, La Fontaine rappelle le principe qui inspire les fables et surtout les siennes : "Tout parle en mon ouvrage [...]. Je me sers d'animaux pour instruire les hommes". La Fontaine nous invite à voir derrière le récit animalier les rapports de force de la société humaine du XVIIe siècle, sous la monarchie absolue de Louis XIV. Ce sont leurs paroles qui peignent les personnages en profondeur et nous y adhérons d'autant mieux qu'elles correspondent parfaitement à ce que leur aspect et leur comportement animal laissaient attendre. Le Loup se comporte en prédateur, soumis à ses instincts, à sa "faim", à ses pulsions agressives et cruelles: son discours est plein de menaces - "Tu seras châtié" (9) -, d'affirmations sans fondement parce qu'il est le plus puissant. Il représente les grands du royaume auxquels la monarchie absolue donne un pouvoir arbitraire dont ils abusent. L'Agneau quant à lui est un être tout d'innocence - ne dit-on pas "doux comme un agneau "? -, de bonne foi et de douceur qui s'exprime sur un ton déférent et respectueux. Le lecteur a d'autant moins de peine à passer du monde animal au monde humain que La Fontaine nous y prépare quand l'Agneau s'adresse au Loup comme un modeste sujet à son roi ("Sire", "Votre Majesté"). L'Agneau est le symbole de tous les "petits" du royaume, soumis à la loi arbitraire des plus puissants sans espoir de justice et La Fontaine s'assure qu'il aura la sympathie du lecteur. Ainsi le lecteur du XXIe siècle dépasse ce contexte historique, transpose ce récit dans le monde contemporain : il reconnaît derrière le Loup et l'Agneau des individus qu'il côtoie, élargit la fable à des situations qui dépassent les simples rapports individuels, pour y retrouver le reflet des relations internationales lorsque des superpuissances agressent de petits états dont les richesses naturelles les rendent aussi appétissants qu'un agneau dodu... Pour conclure, il s'agit donc dans cette fable de déployer une histoire dont l'issue est connue d'emblée. L'argumentation logique et sincère de l'agneau est broyée par la mauvaise foi du loup et la morale initiale prend tout son sens. La raison du plus fort ne représente pas la logique du plus brillant mais les motifs ultimes du puissant qui ne sont pas littéralement les meilleurs mais qui triomphent de tout. Cette démonstration est non seulement valable pour l´époque de La Fontaine, où la monarchie absolue favorisait ce genre de rapport de force, mais aussi pour notre propre époque où le pouvoir politique ou financier est encore souvent arbitraire et souverain.

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