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Publié le 14/10/2013

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Séquence 1 L'argumentation 5 Corpus : Doc. 1 : Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1772. Doc. 2 : Bougainville, Voyage autour du monde, chapitre 9, 1771 Doc. 3 : Jean-François Revel. La connaissance inutile. 1988. Doc. 4 : Claude Levy-Strauss, Tristes Tropiques, 1955 Doc. 5 : Gauguin, Les seins aux fleurs rouges , 1899 The Giant book , 1934 10 Document 1 15 Diderot est un des très grands penseurs du XVIII° siècle, animateur du projet de l'Encyclopédie, et d'essais dans lesquels il développe une philosophie athée et matérialiste. Il a publié une suite imaginaire au Voyage de Bougainville dans laquelle il blâme le projet de coloniser Tahiti et de vouloir « civiliser « ses habitants. Son porte-parole est un vieillard tahitien. Puis, s'adressant à Bougainville, il ajouta : «Et toi, chef des brigands qui t'obéissent écarte promptement ton vaisseau de notre rive; nous sommes innocents, nous sommes heureux et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous; et tu prêché je ne sais 20 quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes; tu as partagé ce privilège avec nous; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. Elles sont devenues folles dans tes bras; tu es devenu féroce en leurs. Elles ont commencé à se haïr; vous vous êtes égorgés pour elles; et elles nous sont revenues teintes de votre sang. Nous sommes libres; et voilà que tu as enfoui dans : terre le titre de notre futur esclavage. Tu n'es ni un dieu, ni un démon : qui es-tu tu pour faire des esclaves ? Orou! toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis à 25 tous, comme tu me l'as dit à moi, ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal : Ce pays est à nous . Ce pays est à toi ! et pourquoi ? parce que tu y as mis le pied ? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : Ce pays appartient aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu ? Tu es le plus fort ! Et qu'est-ce que cela fait ? Lorsqu'on t'a enlevé une des méprisables bagatelles dont ton bâtiment est rempli, tu t'es récrié, tu t'es vengé; et dans le même instant tu as projeté au fond de ton coeur le vol de toute une 30 contrée ! Tu n'es pas esclave : tu souffrirais la mort plutôt que de l'être, et tu veux nous asservir ! Tu crois donc que le Tahitien ne sait pas défendre sa liberté et mourir ? Celui dont tu veux t'emparer comme de la brute, le Tahitien, est ton frère. Vous êtes deux enfants de la nature; quel droit as-tu sur lui qu'il n'ait pas sur toi ? Tu es venu; nous sommes-nous jeté sur ta personne ? avons-nous pillé ton vaisseau ? t'avons-nous saisi et exposé aux flèches de nos ennemis ? t'avons-nous associé dans nos champs au travail de nos animaux ? Nous avons respecté notre image en toi. 35 Laisse-nous nos moeurs; elles sont plus sages et plus honnêtes que les tiennes; nous ne voulons point troquer ce que tu appelles notre ignorance contre tes inutiles lumières. Tout ce qui nous est nécessaire et bon, nous le possédons. Sommes-nous dignes de mépris, parce que nous n'avons pas su nous faire des besoins superflus ? Lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger; lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir. Tu es entré dans nos cabanes, qu'y manque-t-il, à ton avis ? Poursuis jusqu'où tu voudras ce que tu appelles les commodités de la vie; 40 mais permets à des êtres sensés de s'arrêter, lorsqu'ils n'auraient à obtenir de la continuité de leurs pénibles efforts que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l'étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler ? Quand jouirons-nous ? Nous avons tendu la somme de nos fatigues annuelles et journalière la moindre qu'il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t'agiter, te tourmenter tant que tu voudras; laisse-nous reposer : ne nous entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques. 1 Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville , 1772. 45 Document 2 50 55 60 65 Au vol près, tout se passait de la manière la plus aimable. Chaque jour nos gens se promenaient dans le pays sans armes, seuls ou par petites bandes. On les invitait à entrer dans les maisons, on leur y donnait à manger; mais ce n'est pas à une collation légère que se borne ici la civilité des maîtres de maisons; ils leur offraient des jeunes filles; la case se remplissait à l'instant d'une foule curieuse d'hommes et de femmes qui faisaient un cercle autour de l'hôte et de la jeune victime du devoir hospitalier; la terre se jonchait de feuillage et de fleurs, et des musiciens chantaient aux accords de la flûte un hymne de jouissance. Vénus est ici la déesse de l'hospitalité, son culte n'y admet point de mystères, et chaque jouissance est une fête pour la nation. Ils étaient surpris de l'embarras qu'on témoignait; nos moeurs ont proscrit cette publicité. Toutefois je ne garantirais pas qu'aucun n'ait vaincu sa répugnance et ne se soit conformé aux usages du pays. J'ai plusieurs fois été, moi second ou troisième, me promener dans l'intérieur. Je me croyais transporté dans le jardin d'Eden : nous parcourions une plaine de gazon, couverte de beaux arbres fruitiers et coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieuse, sans aucun des inconvénients qu'entraîne l'humidité. Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature verse à pleines mains sur lui. Nous trouvions des troupes d'hommes et de femmes assises à l'ombre des vergers; tous nous saluaient avec amitié; ceux que nous rencontrions dans les chemins se rangeaient à côté pour nous laisser passer; partout nous voyions régner l'hospitalité, le repos, une joie douce et toutes les apparences du bonheur. Je fis présent au chef du canton où nous étions d'un couple de dindes et de canards mâles et femelles; c'était le denier de la veuve. Je lui proposai aussi de faire un jardin à notre manière et d'y semer différentes graines, proposition qui fut reçue avec joie. En peu de temps Ereti 1 fit préparer et entourer de palissades le terrain qu'avaient choisi nos jardiniers. Je le fis bêcher; ils admiraient nos outils de jardinage. Ils ont bien aussi autour de leurs maisons des espèces de potagers garnis de giraumons, de patates, d'ignames et d'autres racines. 70 Bougainville, Voyage autour du monde, chapitre 9, 1771 75 80 85 Document 3 Jean-Francois Revel est un philosophe contemporain, La connaissance inutile est un essai sur l'illusion en matière de sciences et de philosophie. Le « mensonge tahitien « naît en effet au point de rencontre de l'Europe des Lumières 2, nourrie de préjugés sur le « bon sauvage «, et d'une réalité que ses premiers observateurs étudient fort négligemment dans ce qu'elle a d'original et qui les intéresse en elle-même fort peu. Et pourtant - on pourrait presque dire : malheureusement - les expéditions vers Tahiti étaient composées à dessein d'intellectuels éminents, triés sur le volet, de savants, de fervents lecteurs de l'Encyclopédie. Ce choix donna de bons résultats en matière d'observations botaniques ou astronomiques. En revanche, dès qu'il s'agit des moeurs et de la société, les « navigateurs-philosophes «, comme on les appelle, les Anglais Samuel Wallis ~James Cook, le Français Louis-Antoine de Bougainville, se révèlent, à la lettre, incapables, trop souvent, de percevoir ce qu'ils ont sous les yeux. Ils se sont embarqués à la poursuite de l'utopie 3 réalisée, de la « nouvelle Cythère « 4, et ils font de leurs songes la matière première de leurs observations. Il leur faut un « bon sauvage « honnête : aussi passent-ils sous silence ou ne mentionnent-ils que du bout des lèvres les larcins incessants dont ils sont victimes. Le bon sauvage doit être épris de paix : ils ne s'aviseront donc qu'à regret, sans y insister, des guerres tribales qui ensanglantent sans cesse les îles au moment même 1 Éréti : nom du Tahitien chez lequel loge Bougainville. Il est le chef de la tribu. 2 Europe des Lumières : faites une recherche sur votre livre sur l 3 Utopie : rêve d'une société idéale. 4 Cythère : dans la mythologie grecque pays de l'amour heureux. 2 90 95 00 05 10 de l'expéditions. Quand des navires européens sont attaqués, des matelots massacrés les narrateurs européens effacent le plus possible de leurs récits ces épisodes déplaisants pour s'appesantir sur les périodes de réconciliation et d'amitié avec les T ahitiens. Ces moments, certes, fourmillent d'agréments, ne fût-ce qu'à cause de la liberté sexuelle régnant dans les îles, de l'absence de toute culpabilité liée au plaisir, principal sujet de la réflexion morale des contemporains. Diderot y insistera justement dans son Supplément au voyage de Bougainville. Mais, quand on lit entre les lignes certains récits de voyage, on apprend que les exquises Tahitiennes ne se prodiguaient point sans contrepartie, que le prix de leur amour, soigneusement proportionné à leur jeunesse et à leur beauté, se fixait à l'avance d'un commun accord. Usage, somme toute, point très différent de ce qui se pratiquait alors dans les jardins du Palais-Royal 5 et autres lieux de plaisir de Paris, dont Bougainville, un libertin6 mondain et cultivé, était du reste un habitué notoire et fort prisé. Le bon sauvage ne doit-il pas être un adepte de l'égalité ? Aussi les « navigateurs-philosophes « ne discernent-ils jamais volontiers la division rigoureuse en quatre classes sociales, fortement hiérarchisées, de la population tahitienne. Indemne de toute superstition, l'Océanien ne vénère aucune idole, nous rapporte-t-on : ce qui indique plutôt combien les navigateurs ont la vue basse. Le Polynésien est vaguement déiste 7, nous assurent-ils. Il a sans doute lu le Dictionnaire philosophique de Voltaire, et il adore un « Être suprême «. Le voilà précurseur de Robespierre ! À contrecoeur, les hommes éclairés, venus de la cruauté civilisée pour contempler la bonté naturelle du sauvage, concèdent néanmoins que les Tahitiens s'adonnent, malgré leurs penchants philanthropiques, aux sacrifices humains et à l'infanticide. Autre égarement regrettable : de nombreuses peuplades océaniennes sont anthropophages. Cook, d'ailleurs, le plus lucide, au demeurant, des explorateurs de ce temps, perdra tous ses doutes à ce sujet au moyen d'une ultime observation ethnographique, puisqu'il achèvera malencontreusement sa carrière dans l'estomac de quelques natifs des îles Hawaii. 15 J ean-F rançoi s Re vel. L a connais s ance i nut il e . 1988. Document 4 20 25 30 5 Claude Lévy-Strauss, né en 1908, est un ethnologue, c'est à dire un savant spécialiste de l'étude des peuples. Dans tristes tropiques il raconte diverses expériences de découvertes de peuples en voie de disparition, notamment celle des nambikwara, peuple du sud-ouest du Brésil. « Dans la savane obscure, les feux de campement brillent. Autour du foyer, seule protection contre le froid qui descend, derrière le frêle paravent de palmes et de branchages hâtivement planté dans le sol du côté d'où on redoute le vent ou la pluie ; auprès des hottes emplies des pauvres objets qui constituent toute une richesse terrestre ; couchés à même la terre qui s'étend alentour, hantée par d'autres bandes également hostiles et craintives, les époux, étroitement enlacés, se perçoivent comme étant l'un pour l'autre le soutien, le réconfort, l'unique secours contre les difficultés quotidiennes et la mélancolie rêveuse qui, de temps à autre, envahit l'âme nambikwara. Le visiteur qui, pour la première fois, campe dans la brousse avec les Indiens, se sent pris d'angoisse et de pitié devant le spectacle de cette humanité si totalement démunie ; écrasée, semble-t-il, contre le sol d'une terre hostile par quelque implacable cataclysme ; nue, grelottante auprès des feux vacillants. Il circule à tâtons parmi les broussailles, évitant de heurter une main, un bras, un torse, dont on devine les chauds reflets à la lueur des feux. Mais cette misère est animée de chuchotements 5 Le Palais Royal était un endroit de Paris où l'on rencontrait nombre de prostituées. 6 Libertin, au XVIII° siècle personne qui recherche son plaisir et néglige la morale, notamment religieuse. 7 Déisme : doctrine philosophique, très répandue au XVIII° siècle, qui imagine un Dieu (« Etre suprême «) mais efface les barrières entre les religions et ignore les obligations religieuses, source d'intolérance. 3 35 et de rires. Les couples s'étreignent comme dans la nostalgie d'une unité perdue; les caresses ne s'interrompent pas au passage de l'étranger. On devine chez tous une immense gentillesse, une profonde insouciance, une naïve et charmante satisfaction animale, et, rassemblant sentiments divers, quelque chose comme l'expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine. « 40 Claude Levy-Strauss, Tristes Tropiques, 1955. 4 Document 5 45 Gauguin - Les seins aux fleurs rouges , 1899 I. Question 50 The Giant book , 1934 /4 Quelle image du sauvage est présentée dans ces documents ? Vous prendrez en compte les particularités liées aux différents genres employés. (Vous ne traiterez pas le document 3) II. Travaux d'écriture /16 55 Dissertation 60 « Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage « (Montaigne) La littérature peut-elle, selon vous, aider à prendre conscience de la relativité de ces usages et à mieux comprendre les moeurs qui nous paraissent étrangères ? Vous répondrez en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les lectures faites en classe et sur votre culture personnelle. Écriture d'invention 65 Imaginez une réponse de Bougainville au vieillard de Supplément au voyage de Bougainville, dans laquelle le capitaine s'efforcerait de convaincre son interlocuteur des bienfaits de la civilisation et de la nécessité de l'ouverture au monde des habitants de Tahiti. Vous essaierez d'être aussi convaincant que le vieillard et de faire appel autant à la persuasion qu'à la démonstration. 70 Commentaire. Vous commenterez l'extrait du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot. (document 1) 5 6