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Haine (psy)

Publié le 04/04/2015

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Haine n.f. (angl. Hatred, Hate; aller/1. Hafl). Passion du sujet qui vise la destruction de son objet.

La haine est pour S. Freud un fait clinique fondamental. Il en cerne l'ori­gine psychique et les conséquences sociales.

UN MIT CLINIQUE FONDAMENTAL

La haine est un fait clinique dont l'évi­dence s'impose à Freud. Cette passion se manifeste particulièrement dans l'expérience du deuil à travers les symptômes ou les rêves. Freud en montre d'emblée l'importance à pro­pos de sa patiente Elisabeth (Études sur l'hystérie, 1895). La jeune fille a éprouvé une grande satisfaction à l'idée que sa soeur soit enfin décédée et lui laisse ainsi la voie libre pour un mariage avec son beau-frère. Mais elle s'est défendue contre cette représentation insuppor­table et a converti cette excitation psy­chique en symptômes somatiques —des douleurs dans la jambe. L'aveu de cette haine entraîne chez elle la dispari­tion partielle de ses symptômes. De même, l'obsessionnel peut souffrir de la perte réelle d'un proche avec une intensité que Freud qualifie de patholo­gique. Il se dédouane de sa haine ina­vouée à l'égard de ce proche en la retournant contre lui-même sous la forme d'une culpabilité autopunitive. La haine de soi est donc caractéristique de ce masochisme moral (Deuil et mélancolie, 1915). Mais Freud constate plus généralement dans l'Interprétation des rêves (1900) que l'obligation conventionnelle d'aimer ses proches provoque le refoulement des pensées haineuses et leur réapparition déguisée dans les rêves de deuil. Quand quel­

qu'un rêve que son père, sa mère, son frère ou sa soeur sont morts et qu'il en a beaucoup de peine, c'est qu'il a sou­haité leur mort à un moment donné, autrefois ou actuellement. La douleur éprouvée dans le rêve donne encore le change à la censure.

SON ORIGINE ET SES INCIDENCES

SOCIALES

Cette haine tire pour Freud son origine de la relation primordiale du sujet aux objets réels appartenant au monde extérieur. Elle n'est pas sans incidences sociales. Ainsi, le sujet hait, déteste et poursuit, avec l'intention de détruire, tous les objets qui sont pour lui sources de sensation de déplaisir. La relation au monde extérieur étranger qui apporte des excitations est donc marquée par cette haine primordiale. Font partie de ce réel étranger tous les objets sexuels dont le sujet ne maîtrise d'abord ni l'absence ni la présence. Il en est ainsi du sein maternel par exemple (Méta­psychologie, 1915). En font aussi partie les proches qui empêchent la satisfac­tion. C'est le cas des frères ou des soeurs. Ils apparaissent couramment au sujet comme des intrus dans la conquête de l'affection parentale. De même la haine peut-elle séparer la mère et la fille dans la lutte plus ou moins explicite qu'elles mènent pour être aimées, de manière exclusive, par le père. Elle oppose avec force le père au fils dans la rivalité sexuelle.

Car c'est surtout la fonction du père qui intéresse Freud. Sa présence fait obstacle pour l'enfant à la satisfaction du désir avec la mère, quel que soit son sexe au départ. Mais l'enfant mâle le hait avec une particulière vigueur, parce qu'il lui interdit de jouir de l'objet féminin que l'appétit sexuel de ce père l'engage pourtant à désirer. Freud voit dans cette rivalité haineuse le ressort de l'interdit de l'inceste, du complexe d'Œdipe et du complexe de castra­tion, voire du désir lui-même. Le des‑

tin psychique du sujet dépend pour lui de la façon dont le sujet traverse cette période. La signification symbolique de cette haine la distingue de la haine primordiale et indifférenciée à l'égard de toute source de déplaisir. En effet, la haine du père est à l'origine de la loi symbolique de l'interdit, c'est-à-dire du lien social. Pour en souligner la por­tée civilisatrice, Freud élabore le mythe du père de la horde assassiné par ses fils jaloux ou celui de Moïse tué par son peuple. Du remords ressenti de la haine et du meurtre du père naissent pour lui tous les interdits sociaux (Totem et tabou, 1912-13; Moïse et le mono­théisme, 1939).

À l'inverse, Freud insiste aussi sur la tendance native de l'homme à la méchanceté, à l'agression, à la destruc­tion et à la cruauté, qui vient de la haine primordiale. Elle a des incidences sociales désastreuses. Car l'homme satisfait son aspiration à la jouissance aux dépens de son prochain, en contournant les interdits. Il l'exploite sans dédommagement, l'utilise sexuel­lement, s'approprie ses biens, l'humi­lie, le martyrise et le tue. Comme il doit renoncer à satisfaire pleinement cette agressivité en société, il lui trouve un exutoire dans les conflits tribaux ou nationalistes. Ceux-ci permettent aux belligérants de désigner en dehors des communautés fraternelles des enne­mis bons pour recevoir les coups (Malaise dans la civilisation, 1929). Ce constat rend Freud pessimiste et peu enclin à croire au progrès de l'huma­nité. Lacan approuve ces conclusions. La volonté de faire le bien d'un point de vue moral, politique ou religieux masque toujours une insondable agres­sivité. Elle est la cause du mal (l'Éthique de la psychanalyse, 1960).

Lacan s'emploie surtout à montrer la dimension imaginaire de la haine selon deux registres distincts : la haine jalouse et la haine de l'être. L'expé­rience analytique amène parfois le

sujet à la dépasser, mais aussi à reconnaître sa fécondité symbolique.

HAINE JALOUSE ET HAINE DE 1.1111E

Le hère, la soeur et plus généralement toute personne rivale font l'objet de la haine jalouse. Pour l'illustrer, Lacan développe au long de ses séminaires le même exemple, celui de l'enfant décrit par saint Augustin dans les Confessions. Il ne parle pas encore et déjà il contemple tout pâle, et d'un regard empoisonné, son frère de lait. Le frère appendu au sein maternel présente soudain à cet enfant, au sujet jaloux, sa propre image corporelle. Mais dans cette image qu'il lui présente, le sujet se perçoit comme dépossédé de l'objet de son désir. C'est l'autre qui en jouit dans une unité idéale avec la mère, et non pas lui. Cette image est fondatrice de son désir. Mais il la hait. Elle lui révèle un objet perdu qui ranime la douleur de la séparation d'avec la mère (l'Identifica­tion, 1962). Le paranoïaque en reste à cette haine de l'image de l'autre sans accéder au désir. C'est le double, le persécuteur qu'il convient d'éliminer. Cette expérience se renouvelle pour chacun au travers de rencontres où le désir est vu dans l'autre sous la figure du rival, du traître ou de l'autre femme. Il suffit que l'autre soit supposé jouir, même si le sujet jaloux n'a pas la moindre intuition de cette jouissance.

La haine de l'être, plus intense encore, concerne Dieu ou quelqu'un au-delà de la simple jalousie (Encore, 1973). Contrairement à la précédente, elle ne relève pas du regard ou de l'image. Elle est induite par le fait que le sujet imagine l'existence d'un « être « au savoir insaisissable et surtout mena­çant pour sa propre jouissance. Il le hait alors avec violence. C'est pour Lacan la haine des Hébreux envers Yahvé. Le Dieu jaloux au savoir parfait prescrit la Loi à son peuple radicalement impar­fait, au risque d'être trahi et haï. La haine de l'être peut aussi viser l'être

d'une personne à laquelle est supposé un savoir plus parfait et dont les conduites ou les propos sont alors exé­crés. C'est par exemple le cas des juifs de la part des gentils et des adversaires de Lacan à son égard. Plus largement, c'est le cas de celui qui inquiète par son savoir et vient ainsi déranger la jouis­sance commune, les convictions bien assises. Cette haine, souvent amplifiée par les institutions, fut le lot de certains scientifiques trop audacieux pour leur temps : Galilée, Cantor, Freud et d'autres. Plus généralement, celui qui est en avance sur son époque du point de vue de la connaissance la rencontre inévitablement. Il devient l'«être «, cet objet étranger et répugnant qu'il s'agit de détruire ou d'exclure, comme dans la haine primordiale définie par Freud, voire ce père fondateur dont il convient de refouler la mémoire.

VANITÉ ET FÉCONDITÉ DE LA HAINE

La haine de l'être, comme la haine jalouse, sont en dernière instance vaines d'un point de vue psychanaly­tique. La haine de l'être divin semble pour Lacan de moins en moins justi­fiée. Les sujets ont vu cette haine revi­gorée puis étouffée par les déluges d'amour du christianisme. Ils ont fina­lement cessé de croire en la présence d'un savoir divin sur tout, d'un « tout-savoir « menaçant l'intimité de leur jouissance. De même, s'il arrive durant la cure à un analysant de faire de son analyste un dieu, il s'aperçoit plus ou moins vite que cet Autre auquel il s'adresse ne sait pas tout (Encore, 1973). L'alternance de haine et d'amour, cette « hainamoration« selon Lacan, dont l'analysant gratifie l'analyste supposé savoir, est donc dépassable. La haine s'affaiblit dès que se révèle la nature de ce savoir. Car celui dont l'analysant peut faire état à la fin de la cure n'est le savoir d'aucun être. Il est collectif, impersonnel et incomplet; il n'a rien de divin. L'athéisme conséquent du psy­

chanalyste serait donc une docte igno­rance sans haine ni amour. Quant à la haine jalouse, elle est pour Lacan aussi un symptôme (Ouverture du séminaire de Deniker à Sainte-Anne, 1978). Elle ne s'avère dépassable qu'à condition que le sujet ait pris l'exacte mesure de la jouissance qu'il convoite à son sem­blable.

 

La haine est vaine, mais ses affinités avec la figure paternelle d'une part et avec la connaissance d'autre part peuvent la rendre féconde. Sans cette expérience initiale de la haine du père, il n'y a pas d'accès pour Freud à l'ordre de la loi symbolique. Sur son autre ver­sant, la haine a un lien profond avec le désir de savoir. Pour Freud, notre plaisir et notre déplaisir dépendent en effet de la connaissance que nous avons d'un réel d'autant plus haï qu'il est méconnu. Le réel est alors surestimé pour la menace qu'il représente. La haine participe donc de l'inventivité du désir de savoir (Pulsions et destins des pulsions, 1915; les Quatre Concepts fon­damentaux de la psychanalyse, 1964; 1973).

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