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miroir (stade du)

Publié le 07/04/2015

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miroir (stade du) [angl. Mirror Phase; allem. Spiegelstadium]. Con­cept élaboré par J. Lacan pour rendre compte du narcissisme primaire, pre­mière ébauche du moi, et des identifi­cations secondaires.

Lacan parle pour la première fois du «stade du miroir« en 1936, dans son article «la Famille« de l'Encyclopédie française. Il reprendra ce thème, qu'il développera au cours de son enseigne­ment, car le stade du miroir est une tentative d'élaboration d'une théorie qui rend compte de la mise en place de la première ébauche du moi, qui se constitue d'emblée comme moi idéal et souche des identifications secondaires.

Le stade du miroir est l'avènement du narcissisme primaire, narcissisme dans le plein sens du mythe car il indique la mort, mort liée à l'insuffi­sance vitale de la période dont ce moment est issu. En effet, c'est une phase de la constitution de l'être humain qui se situe entre six et dix-huit mois, période caractérisée par l'imma‑

turation du système nerveux. Cette prématuration spécifique de la nais­sance chez l'homme est attestée par les fantasmes de corps morcelé que l'on retrouve dans les cures psychanaly­tiques. C'est la période que Melanie Klein a appelée « schizoïde « et qui pré­cède le stade du miroir.

L'enfant, donc, au temps préspé - culaire, se vit comme morcelé ; il ne fait aucune différence entre, par exemple, son corps et celui de sa mère, entre lui et le monde extérieur; or l'enfant porté par sa mère va reconnaître son image. En effet, on peut le voir s'observer dans le miroir, se retournant pour regarder l'environnement reflété (c'est le pre­mier temps de l'intelligence): sa mimique et sa jubilation attestent d'une sorte de reconnaissance de son image dans le miroir. Il va alors éprou­ver ludiquement la relation de ses mouvements avec son image et l'envi­ronnement reflété.

Il faut comprendre le stade du miroir comme une identification, c'est-à-dire la transformation produite chez un sujet quand il assume une image. Que cette image soit capable d'effet forma­teur est attesté par l'observation étho­logique. En effet, la maturation de la gonade chez la Pigeonne a pour condi­tion nécessaire la vue d'un congénère ; il suffit d'ailleurs de sa réflexion dans un miroir. De même, le passage du Criquet pèlerin de la forme solitaire à la forme grégaire est obtenu en exposant l'individu, à un certain stade, à l'action exclusivement visuelle d'une image similaire, pourvu qu'elle soit animée de mouvements d'un style suffisam­ment proche de ceux propres à son espèce. Ces faits s'inscrivent dans un ordre d'identification homéomor-phique. On peut repérer dans le même temps la capacité de leurre de l'image indiquant déjà la fonction de méconnaissance du moi.

On peut donc dire que c'est l'image spéculaire qui donne à l'enfant la forme

intuitive de son corps ainsi que la rela­tion de son corps à la réalité environ­nante (de l'Innenwelt à l'Umwelt). L'enfant va donc anticiper imaginaire-ment la forme totale de son corps: «Le sujet, lui, se voit redoublé — se voit comme constitué par l'image reflétée, momentanée, précaire, de la maîtrise, s'imagine homme seulement de ce qu'il s'imagine.« (Lacan, in le Séminaire, XI, 1964, «les Quatre Concepts fonda­mentaux de la psychanalyse « ; 1973).

Mais ce qui est essentiel dans le triomphe de l'assomption de l'image du corps au miroir, c'est que l'enfant porté par sa mère, dont le regard le regarde, se tourne vers elle comme pour lui demander d'authentifier sa découverte. C'est la reconnaissance de sa mère : « Oui c'est toi Pedro mon fils «, qui, d'un «c'est toi«, donnera un «c'est moi«.

L'enfant peut assumer une certaine image de lui en parcourant des proces­sus d'identification, mais il est impos­sible de réduire à un plan purement économique ou à un champ purement spéculaire (quelle que soit la préva-lence du modèle visuel) ce qu'il en est de l'identification au miroir, car ce n'est jamais avec son propre oeil que l'enfant se voit mais toujours avec l'oeil de la personne qui l'aime ou le déteste. Nous abordons là le champ du narcissisme comme fondant l'image du corps de l'enfant à partir de ce qui est amour de la mère et ordre du regard porté sur lui. Pour que l'enfant puisse s'approprier cette image, pour qu'il puisse l'intério­riser, cela nécessite qu'il ait une place dans le grand Autre (là, en l'occurrence, incarné par la mère). Ce signe de reconnaissance de la mère, avec droit (ou défense d'ailleurs) de s'appeler Pedro, va fonctionner comme trait* unaire à partir de quoi va se constituer l'idéal du moi. C'est en cela que «même l'aveugle y est sujet de se savoir objet du regard «.

Mais, si le stade du miroir est l'aven­ture originelle par où l'homme fait

pour la première fois l'expérience qu'il est homme, c'est aussi dans l'image de l'autre (l'autre miroir) qu'il se reconnaît. C'est en tant qu'autre qu'il se vit tout d'abord et s'éprouve.

D'ailleurs, parallèlement à la reconnaissance de soi dans le miroir, on observe chez l'enfant un comporte­ment particulier à l'égard de son homo­logue en âge. L'enfant mis en présence d'un autre l'observe curieusement, l'imite en tous gestes, tente de le séduire ou de s'imposer à lui en un véritable spectacle. Il s'agit là plus que d'un simple jeu. L'enfant, dans ce comportement, devance la coordina­tion motrice encore imparfaite à cet âge, et cherche à se situer socialement en se comparant à l'autre. Il importe de reconnaître celui qui est habilité à le reconnaître lui-même, il importe bien plus de s'imposer à lui et de le dominer.

Ces comportements des jeunes enfants mis face à face sont marqués du transitivisme le plus saisissant, véri­table captation par l'image de l'autre : l'enfant qui bat dit avoir été battu, celui qui voit tomber pleure. Et on reconnaît ici l'instance de l'imaginaire, de la rela­tion duelle, de la confusion entre soi et l'autre, l'ambivalence et l'agressivité structurale de l'être humain.

Le moi, c'est l'image du miroir en sa structure inversée. Le sujet se confond avec son image, et, dans ses rapports à ses semblables, se manifeste la même captation imaginaire du double. Il s'aliène aussi dans l'image qu'il veut donner de lui; de plus, le sujet ignore son aliénation, et, ainsi, prend forme la méconnaissance chronique du moi; il en sera de même pour son désir: il ne pourra le repérer que dans l'objet du désir de l'autre.

Le stade du miroir est un carrefour structural qui commande : 1. le forma­lisme du moi, c'est-à-dire l'identifica­tion de l'enfant à une image qui le forme mais qui l'aliène primordiale-ment, le fait « autre « qu'il n'est dans un

transitivisme identificatoire dirigé sur autrui ; 2. l'agressivité de l'être humain, qui doit gagner sa place sur l'autre et s'imposer à lui sous peine d'être lui-même anéanti; 3. la mise en place des objets du désir, dont le choix se réfère toujours à l'objet du désir de l'autre.

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