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psychose

Publié le 07/04/2015

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psychose n.f. (angl. Psychosis; allem. Psychose). Processus morbide qui se développe au lieu et à la place d'une symbolisation non réalisée.

Il n'y a pas de définition proprement psychanalytique de la psychose. Mais il revient à la psychanalyse de s'être efforcée à travers ses théories de mettre au jour les mécanismes psychiques conduisant à la psychose et de délimi­ter par là son champ par rapport à celui de la névrose.

Si Freud reste le chef de file incontes­table et incontournable des avancées théoriques en matière de psychose, il a

été diversement suivi dans les déve­loppements théoriques ultérieurs de ces autres chefs de file que sont deve­nus Lacan, M. Klein et, avec elle, D. W. Winnicott.

LA CONCEPTION DE FREUD

Freud, comme Kraepelin, à cette épo­que, voyait un lien entre paranoïa et catatonie (schizophrénie de E. Bleuler, leur élève commun) mais, contraire­ment à celui-ci, n'acceptait pas l'orga­nogenèse qui leur était supposée. Il s'est donc efforcé à partir de sa propre théorie de la libido de mettre en évi­dence le fondement sexuel de toute psychose donnant la clef des différents types de délire dans une magistrale étude linguistique.

C'est dans l'analyse des Mémoires d'un névropathe, publiées en 1903 par le président de la cour d'appel de Saxe, le docteur en droit P.-D. Schreber, qu'il a trouvé les fondements de sa théorie des psychoses (1911), alors qu'il venait d'explorer la libido infantile (1907­1910) et juste avant d'élaborer sa conception du narcissisme (1914).

La psychose du président Schreber se déclencha lorsqu'il fut nommé pré­sident de la cour d'appel. De sa vie, il a été fait mention d'un véritable terro­risme pédagogique exercé par son père, qui était médecin (M. Mannoni, Éducation impossible, 1973). Ce père est l'auteur d'un traité d'éducation où une part majeure est faite au dressage avec le concours d'une «gymnastique théra­peutique« dont le but était d'éradiquer tout ce qu'il y a de mal chez l'enfant et de réprimer tout ce qui pouvait être de l'ordre du désir. Il eut un frère qui se suicida à l'âge de trente-huit ans. Sa vie conjugale, heureuse, fut ternie par l'ab­sence d'enfant au foyer. Ces quelques éléments présentent un très grand inté­rêt dans la logique de son processus morbide. La maladie de Schreber débute en 1893 par quelques rêves où des symptômes, éprouvés neuf ans

auparavant (hypocondrie grave, a-t-on dit), se répètent et où s'impose l'idée subite et saugrenue «qu'il serait beau d'être une femme subissant l'accouple­ment«. Les malaises physiques sont interprétés comme des persécutions exercées par le docteur Flechsig, accusé d'assassinat d'âme, celui-là même qui l'avait soigné et guéri antérieurement. Le président Schreber restera en mai­son de santé jusqu'en 1902 et le juge­ment qui lui rendit la liberté, rapporte Freud, contient le résumé de son sys­tème délirant dans le passage suivant: «Il se considérait comme appelé à faire le salut du monde et à lui rendre la félicité perdue mais il ne le pourrait qu'après avoir été transformé en fem­me.« Schreber estimait qu'au prix de son émasculation il avait un rôle rédempteur à jouer en devenant la fem­me de Dieu et en procréant un monde schrébérien. Car ce Dieu, substitut du docteur Flechsig, n'était entouré que de cadavres.

Freud, remarquant que le persé­cuteur désigné, le docteur Flechsig, avait été tout d'abord objet d'amour de Schreber (et de sa femme même, qui, en signe de reconnaissance, avait gardé des années sa photo sur son bureau), émet l'hypothèse d'une poussée de libido homosexuelle comme point de départ de toute la maladie. Il s'appuie sur le fait que Flechsig a été pour le patient un substitut de ses objets d'amour infantiles, à savoir le père et le frère, tous deux décédés, au moment de l'explosion du délire, «le fond même du fantasme de désir devient le con­tenu de la persécution« écrit Freud.

Les avancées théoriques de Freud sur la libido infantile lui font porter le point faible des paranoïaques sur la fixation au stade de l'autoérotisme, du narcis­sisme et de l'homosexualité, étape obligée de toute construction libidinale où l'enfant prend pour objet d'amour le détenteur d'organes génitaux sem­blables aux siens, car il s'est d'abord

aimé lui-même avec ses propres orga­nes génitaux.

Freud ajoute qu'il en est exactement de même dans la schizophrénie : les psychosés ont une libido essentielle­ment tournée sur le corps propre.

La libido, d'une façon générale, est sublimée dans les rapports sociaux mais elle est d'un exercice périlleux pour le psychosé qui, chez tout autre quel qu'il soit, n'a affaire qu'à une duplication de lui-même qu'il méconnaît. Le génie de Freud a été de faire remarquer que, dans les différents délires qui se constituent, tout revenait à contredire une proposition unique «moi un homme, je l'aime lui un homme «, les différentes formes cli­niques des délires épuisant toutes les manières possibles de formuler cette contradiction.

L'analyse linguistique qu'il en fait montre trois façons de contredire la proposition: contradiction du sujet, du verbe et de l'objet. Le délire de persé­cution opérera un renversement du verbe : «je ne l'aime pas, il me hait, je le hais parce qu'il me persécute «; l'éroto­maniaque refusera l'objet: «ce n'est pas lui que j'aime, c'est elle que j'aime «, qui se transformera en un «c'est elle que j'aime parce qu'elle m'aime «; enfin, le jaloux délirant ne reconnaîtra pas le sujet et transformera la proposition en «ce n'est pas moi qui aime l'homme, c'est elle qui l'aime; ce n'est pas moi qui aime les femmes, c'est lui qui les aime «.

La proposition, ajoute Freud, peut même être rejetée en bloc : «je n'aime personne, je n'aime que moi«, et il s'agit là du délire de grandeur.

Le problème théorique à résoudre pour Freud est alors de mettre au jour les liens entre projection et refoule­ment puisque, dans l'économie libidi­nale du psychosé, une perception interne est réprimée et, en ses lieu et place, parvient une perception venue de l'extérieur.

Il se pose ainsi la question d'un mécanisme qui serait propre à la psy­chose. S'appuyant sur la conviction de Schreber d'une imminence de la fin du monde, conviction rencontrée très sou­vent dans la paranoïa, Freud estime que le refoulement consisterait en un retrait des investissements libidinaux portés sur les personnes ou objets auparavant aimés et que la production morbide délirante serait une tentative de recons­truction de ces mêmes investisse­ments, sorte de tentative de guérison; alors, il fait cette remarque extrême­ment importante que ce qui a été aboli du dedans (Verwerfung) revient du dehors; mais, en ajoutant que le déta­chement de la libido doit être le méca­nisme essentiel et régulier de tout refoulement, il laisse en suspens le pro­blème même du détachement de la libido.

Après avoir élaboré sa seconde topique, Freud délimitera le champ de la psychose en un conflit entre le moi et le monde extérieur et celui de la névrose en un conflit entre le moi et le ça (Névrose et Psychose, 1924).

La perte de la réalité, conséquence de ces conflits que l'on voit aussi bien dans l'un et l'autre cas, serait un donné au départ dans la psychose, où il vaudrait mieux alors avancer qu'un substitut de réalité est venu à la place de quelque chose de forclos, alors que, dans la névrose, la réalité est remaniée dans un registre symbolique.

LES PERSPECTIVES DE LACAN

Lacan, dans le droit fil de la démarche freudienne, reprendra ses vues sur le narcissisme de 1914 et la question de la forclusion (allem. Verwerfung) pour construire sa théorie de l'échec de la métaphore paternelle, à la base de tout procès psychotique. Le narcissisme n'est pas seulement la libido investie sur le corps propre, mais c'est une rela­tion imaginaire centrale dans les rap­ports interhumains : on s'aime dans

l'autre et c'est là que se fait toute identi­fication érotique et que se joue toute tension agressive (Lacan, le Séminaire III, 1955-56, «les Psychoses «; 1981).

La constitution du sujet humain est inhérente à la relation à sa propre image; c'est ce que Lacan a conceptua­lisé par le stade du miroir, étape où l'enfant s'identifie à sa propre image. Cette image est son moi pour peu qu'un tiers le reconnaisse comme tel. Ainsi, d'une part, elle lui permet de différencier sa propre image de celle d'autrui; elle lui évite d'autre part la lutte érotique ou agressive que pro­voque la collusion non médiatisée d'un autre à un autre, où le seul choix pos­sible est «lui ou moi «. Dans cette ambi­guïté essentielle où peut être le sujet, la fonction du tiers est donc de réguler cette instabilité fondamentale de tout équilibre imaginaire à l'autre. Ce tiers symbolique est ce que Lacan appelle le « Nom-du-Père « et c'est pourquoi la résolution du complexe d'CEdipe a une fonction normative.

Pour comprendre ce mécanisme, il faut se référer au jeu du désir inhérent au psychisme humain d'emblée pris dans un monde symbolique du fait que le langage lui préexiste. Le jeu du désir pris dans les filets du langage consistera à l'acceptation par l'enfant (allem. Beja-hung) du fait du symbolique, qui l'écar­tera à jamais des signifiants pri­mordiaux de la mère (refoulement originaire), ce qui permettra au mo­ment de l'cedipe la métaphore pater­nelle : la substitution aux signifiants liés au désir d'être le phallus maternel des signifiants de la loi et de l'ordre symbo­lique (l'Autre). La pérennisation du désir se portant sur tout objet autre que la mère se trouvera assurée. S'il y a échec du refoulement originaire, il y a forclusion, rejet du symbolique, qui alors resurgira dans le réel, dit Lacan, au moment où le sujet sera confronté au désir de l'Autre dans une relation sym­bolique. L'Autre aussi bien que l'autre,

le semblable, sera alors rejeté dans le jeu spéculaire.

Lacan indique que, dans tout le délire de Schreber, on repère la dissolu­tion de l'autre en tant qu'identité dans une subjectivité spéculaire en dissolu­tion. C'est ainsi que l'homosexualité de Schreber n'a rien à voir avec une perversion mais s'inscrit dans le procès même de la psychose. Le persécuteur n'est en effet qu'une simple image d'un autre avec qui la seule relation possible est l'agressivité ou l'érotisme, sans médiation du symbolique. Ce qui n'a pas été symbolisé chez Schreber est le signifiant père, la relation à la femme dans le symbole de la procréation, et l'échec de la métaphore paternelle pourrait bien être le fait que le père réel de Schreber se serait instauré en figure de la loi du désir et non en représentant de cette même loi, bloquant ainsi toute substitution signifiante.

Dans le champ de la névrose, il n'y a jamais perte de la relation symbolique. Tout symptôme est une parole qui s'articule ; le rapport à la réalité n'est pas obturé par une forclusion mais par une dénégation (allem. Verneinung).

LA CONCEPTION DE Mafflu KLEIN ET DE DONALD WOODS WINNICOTT

Tout autre est la position de Melanie Klein. Elle donne un rôle essentiel à la mère comme pourvoyeuse de bons et de mauvais objets et, comme telle, génératrice de tous les maux comme de tous les bienfaits; dans les différentes étapes qui mènent à la résolution du conflit oedipien, la notion de clivage est fondamentale dans le système de concepts qu'elle a forgé pour tout le développement libidinal; le clivage consiste en une oscillation perpétuelle entre agressivité et angoisse où les objets de désir jouent à la fois à l'ex­térieur et à l'intérieur du corps; Lacan, admiratif de ses expériences, la dé­nommait «tripière de génie« tout en n'adhérant pas à sa façon de théoriser.

Pour Klein, dans le jeu perpétuel d'in­trojection de bons et de mauvais objets à l'intérieur du corps sous-tendu par l'agressivité et l'angoisse inhérentes à la libido, qu'elle désigne de position schizoparanoïde, la psychose est la fuite vers le bon objet intérieur et la névrose la fuite vers le bon objet exté­rieur.

 

Se démarquant légèrement de Klein, Winnicott, faisant toujours la part aussi belle à la mère, dénonce le procès psychotique comme une maladie de la faillite de l'environnement; le désin­vestissement prématuré de la mère, ne permettant pas la substitution de bons objets, fixe l'enfant dans la position schizoparanoïde, d'où l'importance de l'objet transitionnel dans la conquête de l'indépendance du jeune enfant. Klein et Winnicott ont été à l'origine de tout le mouvement de l'antipsychiatrie (R. Laing et F. Cooper) et ont une large audience dans les pays anglo-saxons. L'influence de Lacan est prépondérante dans les pays francophones avec une large pénétration outre-Atlantique, notamment en Amérique latine.

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