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La schizophrénie en psychanalyse

Publié le 07/04/2015

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psychanalyse

 n.f. (angl. Schizo-phrenia ; allem. Schizophrenie). Selon S. Freud, entité clinique qui se distingue, à l'intérieur du groupe des névroses narcissiques (psychoses), par une localisation de la fixation pré-disposante à un stade très précoce du développement de la libido et par un

 

Imaginaire

 

 

 

Figure 4. Modification du dispositifoptique dans le Séminaire l'Angoisse«. Le cross-cap remplace l'image du vase et des fleurs.

 

mécanisme particulier de formation des symptômes: le surinvestissement des représentations de mot (troubles du langage) et des représentations d'objet (hallucinations).

De toutes les grandes entités cli¬niques dont Freud a reconnu l'unité à partir de sa conception de l'appareil psychique, de sa référence à la théorie de la libido et aux mécanismes du refoulement, la schizophrénie est cer¬tainement celle à laquelle il a consacré le moins de travaux théoriques. Les principaux et les plus développés d'entre eux ont été néanmoins produits au cours de deux étapes importantes de l'élaboration de la théorie psychanaly¬tique: la reconnaissance de la fonction essentielle du narcissisme (investisse-ment érotique de la forme du corps propre) dans l'édifice de la théorie et la reprise par Freud, en 1915, de ses conceptions antérieures dans divers articles réunis en français sous le titre de Métapsychologie. L'absence d'une reprise conséquente des thèses sur la schizophrénie à partir de la mise en place par Freud de la deuxième topique accentue le caractère lacunaire que revêt cette question clinique dans son oeuvre.

Pour ce qui concerne J. Lacan, il convient de noter que, s'il a conservé le terme tel quel, reconnaissant par là même l'entité clinique, il n'a consacré à la schizophrénie que quelques brèves remarques, dont nous verrons cepen-dant l'importance et l'utilité à partir de son repérage structural des psychoses.

UN TERME BLEULÉRIEN,

UNE ENTITÉ CLINIQUE FREUDIENNE

Dans son travail sur «le président Schreber«, Freud sera amené à discuter la pertinence du terme de schizophrénie, introduit par Bleuler dans la nosogra¬phie psychiatrique, la même année (1911). Il le juge aussi mal choisi que celui de démence précoce pour désigner l'unité clinique qu'ils recouvrent. Il ira 

 

même jusqu'à proposer lui-même un terme, celui de paraphrénie. Mais ce qui intéresse Freud, c'est moins de nom-mer tel ou tel tableau clinique que de repérer comment des mécanismes qui appartiennent à la vie psychique nor-male peuvent se combiner pour donner sa structure à une entité clinique.

C'est en effet pour des raisons de structure que Freud est amené à conserver son unité clinique à la schi-zophrénie dans le champ des psycho¬ses et aussi pour la distinguer de la paranoïa. Le mécanisme du refoule-ment est identique dans les deux cas et différencie le champ des psychoses de celui des névroses, sa caractéristique essentielle étant le détachement de la libido du monde extérieur et sa régres-sion vers le moi (et non vers un objet de substitution fantasmatique comme dans la névrose). Quant aux caractères qui distinguent la schizophrénie de la paranoïa, Freud les rapporte d'une part à une localisation différente de la fixa-tion prédisposante, et d'autre part à un mécanisme différent du retour du refoulé (formation des symptômes). Qu'entend-il par là? Au départ, il y a toujours investissement par le sujet d'un objet sexuel, attachement de la libido à l'objet. C'est donc dans une perspective phallique imaginaire que le sujet aborde la réalité, le monde exté-rieur; la satisfaction qu'il en obtient, fût-elle toujours limitée, dépend en revanche de déterminations symbo-liques inconscientes. Lorsque celles-ci correspondent à une situation d'ina-chèvement du complexe d'CEdipe, de non-assomption de la castration par le sujet, un conflit se déclenche. Il met en opposition l'investissement de l'objet sexuel par le sujet à une instance tierce, oedipienne, une référence paternelle, c'est-à-dire à la réalité elle-même puisque ce sont cette instance et cette référence qui la soutiennent, qui en sont les éléments organisateurs. Ce conflit entraîne un échec, une frustra 

 

tion (allem. Versagung) dans la réalité et oblige le sujet à détacher sa libido de l'objet dans le monde extérieur. Un mécanisme essentiellement actif, le refoulement, permet ce détachement. C'est à cette étape que Freud fait inter-venir ce qu'il appelle la fixation pré-dispo¬sante, qui constitue la dimension passive du refoulement et qui réside dans le fait qu'une composante de la libido n'accomplit pas avec l'ensemble l'évolution normale prévue et demeure, en vertu de cet arrêt de déve¬loppement, immobilisée à un stade infantile. C'est de cette localisation de la fixation prédisposante, variable, que va dépendre l'importance de la régres¬sion de la libido: celle-ci, détachée de l'objet par le processus du refoulement actif, se trouve en quelque sorte libre, flottante et sera amenée à venir renfor-cer la composante de la libido restée en arrière et à «rompre les digues au point le plus faible de l'édifice «. Freud voit dans cette rupture, cette irruption, qu'il appelle retour du refoulé, la manifesta-tion de l'échec du refoulement et la possibilité de restituer la libido aux objets dont elle se trouvait détachée par le refoulement; mais sous la forme de manifestations symptomatiques qui vont revêtir des propriétés corres-pondant au stade où la libido s'est trou-vée fixée dans l'enfance. Ce sont ces manifestations symptomatiques, que l'on prend habituellement pour la maladie, qui constituent pour Freud des «tentatives de guérison«. Dans la schizophrénie, tenant compte de l'évo-lution moins favorable que dans la paranoïa, Freud en déduit: «La régres-sion ne se contente pas d'atteindre le stade du narcissisme (qui se manifeste dans le délire des grandeurs); elle va jusqu'à l'abandon complet de l'amour objectal et au retour à l'autoérotisme infantile. La fixa tion prédisposante doit, par suite, se trouver plus loin en arrière que dans la paranoïa, être située quelque part au début de l'évolution 

 

primitive qui va de l'autoérotisme à l'amour objectal.«

LE MÉCANISME HALLUCINATOIRE

ET LES TROUBLES DU LANGAGE:

L'AVANCÉE LACANIENNE

Le second critère qui distingue, selon Freud, la schizophrénie de la paranoïa concerne la nature du mécanisme mis en jeu dans le retour du refoulé, c'est-à-dire la formation des symptômes. Dans la schizophrénie, la tentative de guérison n'utilise pas le mécanisme de la projection et le délire comme dans la paranoïa pour tenter de réinvestir les objets, mais celui de l'hallucination, rapproché ici du mécanisme mis en jeu dans l'hystérie (condensation, surin-vestissement). En 1915, dans l'article qu'il consacre à l'inconscient, Freud propose quelques apports et précisions concernant les mécanismes mis en jeu dans la formation des symptômes au cours de la schizophrénie. Au méca-nisme de l'hallucination, qui lui paraît correspondre à une phase relativement tardive, il ajoute un autre mécanisme, qui serait mis en jeu plus précocement, le surinvestissement non plus des représentations d'objet, comme dans l'hallucination, mais des représenta¬tions de mot, auquel correspondraient cliniquement les troubles du langage que l'on observe dans la schizophré¬nie: le caractère recherché et maniéré de l'expression verbale, la désorganisa¬tion syntaxique, les néologismes et les bizarreries. Freud rapporte l'exemple clinique, emprunté à Tausk, de cette patiente qui se plaint «que les yeux ne sont pas comme il faut, ils sont tournés de travers« et qui ajoute que son bien-aimé «lui semble à chaque fois dif-férent, c'est un hypocrite, un tourneur d'yeux, il lui a tourné les yeux, mainte-nant elle a les yeux tournés, ce ne sont plus ses yeux, elle voit maintenant le monde avec d'autres yeux «. Il en conclut que «ce qui confère à la forma-tion de substitut et au symptôme dans

 

la schizophrénie son caractère surpre¬nant, c'est la prédominance de la rela¬tion de mot sur la relation de chose «. Autrement dit, le mot est à entendre dans son sens propre; il a perdu son pouvoir métaphorique ou est à l'ori¬gine d'une métaphore impropre, voire d'une métaphore délirante. Si l'on ajoute que, dans l'article sur l'in¬conscient, la schizophrénie et ses mécanismes sont mis en avant pour «approcher de plus près l'énigmatique inconscient et nous le rendre pour ainsi dire saisissable «, nous pourrons dire qu'il était difficile d'aller plus loin que Freud sans posséder les éléments qu'apporte la linguistique moderne.

L'avancée de Lacan, qui la prend en compte avec la référence à la chaîne signifiante et la thèse de l'inconscient structuré comme un langage, apparaît ainsi presque naturelle, de même que les aménagements théoriques qu'elle entraîne. Ainsi, par exemple, la perte du pouvoir métaphorique des mots pourrait-elle être rapportée à une carence primordiale qui constitue la définition structurale de la psychose : le défaut de la métaphore paternelle, du Nom-du-Père. Seule cette métaphore permet en effet l'effacement de la chose précisément et donne ainsi son pouvoir au symbole, sa capacité à « irréaliser «, c'est-à-dire à transposer les choses de l'ordre réel à l'ordre sym¬bolique en nous rendant capables de traiter avec leur absence, c'est-à-dire avec leur présence symbolique. C'est ce pouvoir d'« irréalisation « qui, même s'il n'est pas tout dans le symbole à l'état normal, fait défaut dans la psy¬chose. La schizophrénie venant l'illus¬trer de manière exemplaire par l'importance de l'irruption du symbole dans le réel sous forme de chaîne bri¬sée, hallucinatoire ou néologique. C'est ce qui a pu faire dire, nous semble-t-il, à Lacan en 1954, dans sa Réponse au commentaire de Jean Hypolite, que, pour le schizophrène, « tout le 

 

symbolique est réel«. Définition dont les conséquences restent cependant encore à tirer.

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