Les Fausses Confidences (1737)
Publié le 15/03/2015
Extrait du document
«
F C H E S Œ U V R E S
Il -LA MACHINATION DE DUBOIS
Dans cette conjoncture, la fortune sourit aux audacieux.
C'est ce que Dubois va
s'employer
à prouver, en« homme de sang-froid», comme il se définit lui-même
(III, 1), qui ne s'embarrasse pas de scrupules.
Certes, il appartient à la grande fa
mille des valets intrigants présents dans de nombreuses comédies.
Mais il s'en
détache par le mystère qui l'entoure et lui donne une inquiétante profondeur.
Du
bois, en effet, est animé d'une ambition bien plus exigeante que celle qui pousse
ses semblables à tromper leurs maîtres.
Pour lui, il ne s'agit plus de gruger de
vieux pères avares, comme Scapin, ou de contrer les projets de son patron, comme
plus tard Figaro.
Il lui faut s'insinuer au plus secret du cœur
d' Araminte, afin d'en
manipuler les sentiments.
La complexité du stratagème qu'il a conçu est un chef
d'œuvre où la lucidité de dispute à la cruauté.
Entre ses mains, Dorante, son an
cien maître, n'est qu'un fantoche, et Araminte est piégée par la savante séduction
de son langage.
« Fausses confidences », réticences feintes, allusions à mots cou
verts, tiennent la jeune femme en haleine et la mettent aux abois.
Car Dubois com
pare volontiers son entreprise à
une partie de chasse (l, 3 : « elle se débattra tant,
elle deviendra si faible
...
», et III, 1 : «point de quartier.
Il faut l'achever tant
qu'elle est étourdie
...
») dont sa patronne est le gibier.
À travers cette machination, Dubois assouvit sa volonté de puissance.
Mais
l'esprit de revanche
n'est pas seul à dicter sa conduite.
Plus subtilement, il goûte
!'intime satisfaction de voir se vérifier ses hypothèses sur les « caprices » du cœur
humain.
À aucun moment il n'est dupe des protestations ou des élans d'indigna
tion
d' Araminte, dont il dissèque les désirs avec une effrayante lucidité.
En cela, il
apparaît comme
un double du dramaturge lui-même, dont il partage « le senti
ment triomphant de comprendre parfaitement autrui
» (W.
Ince, « L'Unité du
double registre chez
Marivaux», dans Les Chemins actuels de la critique, 1969).
Ill -L'ÉPREUVE DE LA SINCÉRITÉ
Les noces de Dorante et d' Araminte ne signent pas seulement le triomphe des
mensonges de Dubois.
Elles sont aussi la marque éclatante de la victoire de la sin
cérité.
«Dans tout ce qui s'est passé chez vous, avoue enfin l'intendant, il n'y a
rien de vrai, que ma passion, qui est infinie ...
»(III, 12).
En révélant à sa maîtresse
les menées de Dubois, Dorante sait
qu'il peut tout perdre : la fortune et surtout le
cœur d' Araminte.
Cet acte courageux, par lequel il se déprend de l'emprise de son
ancien domestique, lui permet d'atteindre à une véritable grandeur morale, en
assumant le
risque de la vérité.
Mais
Araminte est prête à entendre pareil aveu.
L'amour qu'elle éprouve pour
son subalterne, amour d'autant
plus« scandaleux» qu'il a pour origine une simple
attirance physique
(1, 6), a été pour elle une école de vérité.
En s'arrachant au car
can des préjugés sociaux, la
jeune femme ne conquiert pas seulement sa liberté,
elle accède à sa propre vérité.
Le généreux pardon
qu'elle accorde à Doran te té
moigne du long chemin qu'elle a parcouru pour parvenir au point où, au mépris de
toutes les conventions, triomphent la loi du sentiment et celle de la nature, enfin
réconciliées.
MA.ÎTRESET VALETS~.
»
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