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L'Île des Esclaves (1725)

Publié le 15/03/2015

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L'Île des Esclaves (1725)
 
 
UM
Deux aristocrates athéniens, Iphicrate et Euphrosine, échappent à un nau­frage en compagnie de leurs serviteurs, Arlequin et Cléanthis. L'île sur la­quelle ils échouent a la particularité d'être gouvernée par d'anciens esclaves qui contraignent maîtres et domestiques à échanger leurs places. Les nou­veaux maîtres ne se privent pas de se venger de leurs années de servitude en infligeant à leurs esclaves les vexations qu'ils ont jadis subies. Mais en même temps qu'ils découvrent l'ivresse du pouvoir, Arlequin et Cléanthis font l'apprentissage de la générosité. Ils finissent par avoir pitié de leurs an­ciens maîtres et insistent pour que chacun retrouve sa place. Satisfait du pro­grès moral accompli par les naufragés, Trivelin, « le meneur de jeu «, laisse repartir vers Athènes les deux couples réconciliés, en espérant que les maîtres sauront se souvenir de ce salutaire séjour dans « l'île des esclaves «.

« F C H E S Œ U V R E S Mais cette parodie n'est pas seulement une farce; elle est aussi une âpre satire de la société des maîtres.

Contrefaite par les domestiques, la « qualité » des gens dits « de qualité » se révèle une pure apparence.

Dans cet univers policé, les «mines» ne sont qu'hypocrisie et l'on n'y aime que« par coquetterie».

Le ma­ nège des serviteurs met à nu la fausseté du« grand monde», car ils n'en sont pas les dupes.

Bien au contraire, ils ont pu observer les coulisses de la comédie mon­ daine, et comprendre que la différence des conditions n'est fondée sur rien : « nous autres esclaves, nous sommes doués contre nos maîtres d'une pénétration ...

Oh! ce sont de pauvres gens pour nous» (se.

3).

Le jeu des valets est donc ambigu, car sous la satisfaction de dominer la situation l'amère conscience de la servitude pas­ sée ne cesse d'être présente et donne à certains des divertissements l'allure d'une profanation.

Euphrosine devra endurer les avances d' Arlequin, qui, à l'instar de bien des maîtres, prend de coupables libertés avec une simple servante.

« Tu es de­ venu libre et heureux, cela doit-il te rendre méchant?» lui demande-t-elle ...

Et Ar­ lequin, devant la justesse de la remarque, reste sans voix, « abattu et les bras abais­ sés », ainsi quel 'indique la didascalie (se.

9).

Ill -« LE CHARITABLE NATUREL » Le souvenir des vexations subies ne doit pas seulement nourrir un désir de ven­ geance.

Il doit permettre de comprendre la souffrance d'autrui.

La vertu pédago­ gique de l'expérience faite dans L 'Île des Esclaves est double : elle révèle aux maîtres combien ils furent odieux et elle apprend la générosité aux serviteurs.

« Ce qu'Arlequin découvre dans sa conscience, c'est qu'il n'est pas fait pour imiter son maître, vocation de domestique, mais pour être bon, vocation d'homme, écrit Henri Coulet.

À la scène suivante, le valet avoue à son patron : «je n'aurais point le courage d'être heureux à tes dépens».

La dernière partie de la pièce est ponctuée de didascalies précisant le climat d'attendrissement généralisé qui gagne tous les personnages (lphicrate « embrasse » Arlequin, qui parle « tendrement », et Eu­ phrosine s'adresse à Cléanthis «avec attendrissement»; ni la grande dame, ni le domestique ne retiennent leurs larmes, scène 10).

Le « cœur » triomphe de la rancune.« Ah! le charitable naturel! »,s'écrie Arlequin en voyant que Cléanthis rivalise de générosité avec lui.

Pour Marivaux, en effet, l'homme est bon naturelle­ ment.

Seule la « civilisation » pervertit son penchant inné pour le bien.

Le détour par l'utopie insulaire permet à chacun de retrouver sa vraie nature.

IV -UN LIEN AMBIGU L'Îie des Esclaves laisse aussi entrevoir l'ambiguïté du lien maître/serviteur.

Ce dernier est certes totalement dépendant de celui qu'il sert.

Mais, avec une acuité re­ marquable, Marivaux montre que la force des puissants, et leur existence même, ne dépendent que de leurs inférieurs.

« Doucement, dit Arlequin à Iphicrate, tes forces sont bien diminuées, car je ne t'obéis plus» (se.

1).

Et Cléanthis, un peu plus tard, déclare, à propos de leurs « domestiques » : « pouvons-nous être sans eux » (se.

6).

S'esquisse ici, de manière discrète mais troublante, cette« dialectique du maître et del' esclave », que définira Hegel (1770-1831 ).

Si le maître possède l'esclave, l'esclave, pour sa part « fait » le maître, le justi­ fie à !'existence et finit par lui être indispensable.

MAÎTRES RTVAL'.ETS~. »

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