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Lettres portugaises traduites en français de Gabriel-Joseph de La Vergne, comte de Guilleragues

Publié le 22/10/2018

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Lettres portugaises traduites en français. Roman de Gabriel-Joseph de La Vergne, comte de Guilleragues (1628-1685), publié à Paris chez Claude Barbin en 1669.

Le libraire présente ce recueil de lettres comme un document authentique, dont il ne connaît ni l'auteur ni le traducteur : cette fiction accréditera longtemps l'idée que ces lettres ont réellement été écrites par une religieuse portugaise, que les érudits du XIXe siècle identifièrent comme une certaine Mariana da Costa Alcoforado (1640-1723), religieuse d'un couvent de Beja. Son mystérieux correspondant aurait été un gentilhomme du nom de Chamilly (1635-1715), qui aurait participé à l'expédition française envoyée pour aider le Portugal à conquérir son indépendance entre 1663 et 1668. L'illusion d'un réfèrent réel n'a été dévoilée que par les travaux de la critique moderne (F. C. Green en 1926, puis J. Rougeot et F. Deloffre en 1962) : l'auteur fut identifié comme étant le comte de Guilleragues, gentilhomme proche de Mme de Sablé et alors bien en cour (il sera ambassadeur à Constantinople de 1677 jusqu'à sa mort).

 

Le roman se compose de cinq lettres, écrites par une religieuse portugaise, Mariane, à un gentilhomme français qui avait servi au Portugal. L’histoire de la jeune femme séduite et abandonnée transparaît au fil de ces lettres qui font l’analyse de la déception : la première lettre, encore toute pleine du sentiment d’abandon, conserve les traces d’un enthousiasme amoureux et d’un espoir de revoir le jeune homme. La deuxième lettre, qui donne lieu à l’introspection des sentiments passés et présents, espère toujours, à la nouvelle de la paix en France, qu’un retour est possible, mais le soupçon d’une séparation définitive la clôt La troisième lettre commence par le reproche de ne pas recevoir de réponse : le sentiment de la solitude s’affermit d’instant en instant; l’image de la mort est même entrevue, mais l’aveu de la passion subsiste. Une longuequatrième lettre commence par rappeler les transports dont le gentilhomme semblait animé lorsqu'il l'a séduite, avant de brosser le tableau de son état (et les réactions des religieuses qui l'entourent) : la passion est réaffirmée avec fonce, presque au rebours des lettres précédentes, et une pointe de jalousie à l'égard de quelque rivale lui fait souhaiter jusqu'à l'aveu d'une infidélité. La cinquième lettre est celle de la déchirure et du désespoir : Mariane adresse un adieu définitif, teinté de colère et d'amertume à l'idée qu'elle connaît désormais les « méchantes qualités » de celui qu’elle a aimé passionnément

Un des traits frappants de l'œuvre est sans conteste la vigueur et la finesse de l'analyse morale, que l'on a pu mettre en rapport avec la réflexion alors à l'honneur dans l’entourage de La Rochefoucauld et de Mme de Sablé ; le choix même du genre épistolaire, grand genre mondain par excellence et lieu idéal de l'expression de soi, confirmerait cette filiation. Le monologue que constitue ce volet unique d'une correspondance sans réponse va dans le sens de cette remarque de La Rochefoucauld, qui a été volontiers mise en rapport avec les Lettres portugaises : « Il y a des gens si remplis d'eux-mêmes, que lorsqu'ils sont amoureux ils trouvent moyen d'être occupés de leur passion sans l'être de la personne qu'ils aiment. » Que l'ouvrage soit une pure fiction prouve en tout cas le degré de perfection auquel était parvenue l'analyse des sentiments, affinée par la préciosité, puis nuancée et vigoureusement formulée par les moralistes mondains. On n'est jamais loin de la puissance de Racine, dont Guilleragues était justement l'ami : «Je connais, dans le moment que je vous écris, que j'aime bien mieux être malheureuse en vous aimant que de ne vous avoir jamais vu ; [...] je vous remercie dans le fond de mon cœur du désespoir que vous me causez, et je déteste la tranquillité où j'ai vécu avant que je vous connusse » (lettre III).

Tout le lexique de la passion, modulé avec tant de soin par la poésie, le roman ou le théâtre, se retrouve utilisé, en situation, dans ce splendide monologue en prose de Mariane. 

« quatrième lettre commence par rappe ler les transports dont le genti lhomme sembla it animé lorsqu 'il l'a séduite, avant de brosser le tableau de son état (et les réactions des religieuses qui l'entourent) : la passion est réaffirmée avec force, presque au rebours des lettres précédentes.

et une poin te de jalousie à l'égard de que lque riva le lui fait souha iter jusqu'à l'aveu d'une infidél ité.

La cinquième lettre est celle de la déch irure et du désespoir : Mariane adresse un adieu définiti f, teinté de colère et d'amertume à l'idée qu'e lle connaît désormais les « méchantes qualités » de celui qu'elle a aimé passionnément.

Un des traits frappants de l'œuvre est sans conteste la vigueur et la finesse de l'analyse morale, que l' on a pu mettre en rapport avec la réflexion alors à l'honneur dans l'entourage de La Rochefoucauld et de Mme de Sablé ; le choix même du genre épistolaire, grand genre mondain par excellence et lieu idéal de l'expression de soi, confirmerait cette filiation.

Le monolo­ gue que constitue ce volet unique d'une correspondance sans réponse va dans le sens de cette remarque de La Rochefoucauld, qui a été volontiers mise en rapport avec les Lettres portu­ gaises : « Il y a des gens si remplis d'eux -même , s, que lorsqu'ils sont amoureux ils trouvent moyen d'être occupés de leur passion sans l'être de la personne qu'ils aiment.

» Que l'ouvrage soit une pure fiction prouve en tout cas le degré de perfection auquel était parvenue l'analyse des sentiments, affinée par la préciosité, puis nuancée et vigoureusement for­ mulée par les moralistes mondains.

On n'est jamais loin de la puissance de Racine , dont Guilleragues était juste­ ment l'ami : «Je connais, dans le moment .

que je vous écris, que j'aime bien mieux être malheureuse en vous aimant que de ne vous avoir jamais vu; [ ...

] je vous remercie dans le fond de mon cœur du désespoir que vous me causez, et je déteste la tranquillité où j'ai vécu avant que je vous connusse» (lettre III).

Tout le lexique de la passion, modulé avec tant de soin par la poésie, le roman ou le théâtre, se retrouve utilisé, en situation, dans ce splendide mono­ logue en prose de Mariane.

Point d'artifice excessif dans un genre que les « secrétaires ,,, ces manuels de bien­ écrire, avaient fortement codifié : le langage de l'amour galant s'apprenait de toute fa çon dans les romans, et l'on n'y craignait pas les figures audacieu­ ses.

À ce titre, Guilleragues opte même pour un e certaine sobriété dans l'expression.

Le cri est latent, au fil des nombreus es exclamations, et de toutes ces interrogations qui attendent en vain une réponse ; mais, comme chez Racine, il demeure · stylisé, dans la « tristesse majestueuse » qui est le pro­ pre de ce pathétique maîtrisé : " Ah ! j'en meurs de honte : mon désespoii: n'est -il que dans mes lettres ? Si je vous aimais autant que je vous l'ai dit mille fois, ne serais-je pas morte il y a long­ temps? je vous ai trompé, c'est à vous à vous plaindre de.

moi.

Hélas! pour­ quoi ne vous en plaignez-vous pas? je vous ai vu partir, je ne puis espérer de vous voir jamais de retour, et je respire cependant : je vous ai trahi, je vous en demande pardon.

Mais ne me l'accor­ dez pas ! Traitez-moi sévèrement ! Ne trouvez point que mes sentiments soient assez violents ! Soyez plus diffi­ cile à contester ! Mandez-moi que vous voulez que je meure d'amour pour vous ! » (III).

La fascination du xvue siècle pour l'exploration, par le langag e, des replis du cœur humain atteint ici l'un de ses sommets.

Le désordre de la passion, qui favorise les phrases accumulatives, qui ro mpt par­ fois la syntaxe, se retrouve même, à une autre échelle, dans la str ucture du recueil : tell es qu'elles ont paru, les Let­ tres ont fait difficulté pour la critique, et l'on a souvent envisagé un autre. »

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