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SATYRE MÉNIPPÉE [1594]. Fiche de lecture

Publié le 13/10/2018

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SATYRE MÉNIPPÉE [1594]. « Immortel pamphlet » (Gustave Lanson) ou épopée bourgeoise qui marque une date dans l'histoire de la conscience nationale en France, la Satyre Ménippée, publiée en 1594, apparaît comme une marqueterie de pièces rapportées et jointes après coup. Œuvre collective due aux chanoines Jacques Gillot et Pierre Leroy, à l’humaniste Jean Passerat, à l’érudit helléniste Florent Chrestien, aux hommes de loi Gilles Durant, Nicolas Rapin et Pierre Pithou, elle reprend dans
son mode de composition des formules qui paraissent héritées de la tradition scénique médiévale, alors que certaines des harangues qu’elle contient annoncent l’éloquence classique du siècle suivant. Œuvre charnière entre toutes, la Ménippée fonde la doctrine de la légitimité absolutiste, tout en recourant pour cela à la veine carnavalesque et populaire rénovée par Rabelais.
 
Une œuvre de circonstance
 
La Ménippée, qui se recommande du patronage de Lucien de Samosate — dont elle reflète bien souvent l’ironie cynique —, naît dans le Paris des guerres civiles, au moment où la Sainte Ligue, sous l’égide du duc de Mayenne, vient de convoquer des états généraux « pour élire un roi » qui évincerait Henri de Navarre, héritier légitime du trône, mais chef du parti protestant (1593). L’Assemblée voit très vite l’affrontement de deux tendances adverses : aux catholiques ligueurs, ou « zélés », hostiles à tout compromis et stipendiés par Philippe II, qui leur verse à profusion l’or de la Nouvelle-Espagne, s’opposent les « politiques », catholiques modérés issus, pour la plupart, du milieu de robe et favorables à un rapprochement avec les huguenots.

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« Macédoine et bigarrure Le terme de« satyre» ne souligne pas seulement l'in­ tention évidemment polémique de l'œuvre; il signifie aussi, comme le veulent ses auteurs, un écrit « rempli de diverses choses », une sorte de macédoine littéraire mêlant la prose aux vers et la gravité à la farce.

Compo­ sée sur le mode de ces « entremets de langues de bœuf salées » chers à Rabelais, la Ménippée présente de toute évidence un plan des plus lâches.

Elle s'ouvre sur la parade de deux charlatans qui vantent les vertus prodi­ gieuses du « catholicon », cactée mexicaine et panacée merveilleuse, qui transmue en vertus les vices des ligueurs.

Vient ensuite une procession burlesque, rappor­ tée dans l'« Abrégé des estats » : les moines y revêtent l'armure par-dessus le fros, brandissent pistolets et halle­ bardes.

Dans la salle des Etats, où va s'ouvrir la séance, les tapisseries qui ornent les murs décrivent en termes allégoriques les crimes et les bassesses de la Ligue.

A ce triple prélude, théâtral, belliqueux et plastique, succède la séance proprement dite, comportant au total sept harangues, livrées in extenso.

Les six premières sont franchement parodiques : tour à tour, le lieutenant géné­ ral Mayenne, le légat pontifical - qui mêle à son italien maternel des bribes de latin macaronique -, le cardinal de Pelvé, l'archevêque de Lyon, le recteur Roze, «fol» invétéré, et le soudard Rieux, député de la noblesse, parlent dans le brouhaha de cris divers et de bruits de corps mal contrôlés.

Enfin, dans le silence revenu, s'élève la voix solitaire de D'Au bray, dont le discours occupe à lui seul la moitié de l'œuvre et s'achève en un hymne à la monarchie.

Cette harangue solennelle et quelque peu emphatique, qui n'est pas sans évoquer Guillaume du Vair, n'était nullement préparée par les facéties initiales.

D'emblée, elle porte le pamphlet à la hauteur d'un morceau de bravoure illustrant ce style grave et volontiers pathétique que cultive 1' éloquence judiciaire de l'âge baroque.

Le rythme de la Satyre se brise dans cet élan unique d'une voix qui prétend incar­ ner la totalité nationale.

Théâtre et Histoire Deux modes de la durée et, à travers eux, deux conceptions de l'Histoire rigoureusement antagonistes se font jour dans le contraste des six premiers discours et du septième.

Les harangues de la Ligue obéissent à une stricte répétition.

De l'une à l'autre, et en dépit de varian­ tes personnelles attachées au type incarné par les prota­ gonistes successifs - Mayenne, le «roi de cartes »; Roze, le pédant insensé; Rieux, le matamore cruel -, le même procédé de la franchise systématique qui fait avouer à chacun ses pensées les plus coupables engendre une manière d'itération burlesque.

La Ligue, à travers ses représentants, apparaît vouée à un psittacisme débile, à un constant radotage par lequel elle achève de se rendre ridicule.

Le temps où elle se meut est celui, itératif et cyclique, du Carnaval.

Immanquablement, toux, rires et pets ponctuent la fin de chacune de ces harangues bouf­ fonnes qui ne font guère progresser la situation.

Il s'agit bien d'une « mommerie d'états», et, comme l'indique Pelvé, les orateurs ne cessent de célébrer, de bégaiement en redondance, la «fête des Innocens ou le jour des Roys ».

Tout change avec d'Au bray, qui, brusquement, impose la logique d'une progression pensée dans les termes de l'Histoire dynastique et nationale.

Reprenant le conflit des guerres de Religion depuis le début, il en reconstitue en toute rigueur la trame, pour aboutir en conclusion à une résolution politique précise : « Allons avec les François exposer nostre vie et ce qui nous reste de bien pour assister nostre roy, nostre bon roy, nostre vray roy».

L'espace ludique du cercle s'est donc brisé pour faire place à l'enchaînement irréversible d'une histoire en actes.

Aux gestes impuissants de pantins désarticulés, la voix de D' Aubray substitue l'efficace d'un discours politique immédiatement traduisible en événements.

La dynamique interne de cette longue harangue prononcée d'une traite est celle-là même de l'Histoire en train de se faire.

Par contrecoup, le rituel spectaculaire dans lequel s'insèrent les acteurs de la Ligue- et l'on sait le rôle éminent dévolu, dans le Paris ligueur de l'époque, aux processions solennelles, aux parades et aux grands­ messes - fait figure de parodie honteuse.

Balayée en pleine confusion au terme de la séance, la suite carnava­ lesque de Mayenne finit dans les poubelles de l'Histoire.

L'affirmation d'un destin national se révèle incompatible avec cette parade d'histrions vantant leur drogue sur les tréteaux de la foire.

Le monde renversé et le retour au bon sens Le registre du « bas matériel grossier », pour repren­ dre le concept clé de Mikhaïl Bakhtine, occupe une large place dans la Ménippée.

Les acteurs, d' Aubray excepté, y sont ramenés à leur bruyante épaisseur physique.

Mayenne est une «belle pièce de chair», les assistants sont pris de quintes de toux et de brusques borborygmes.

Il échappe au bien nommé recteur Roze « quelques rots odoriférants de l'estomac qui sentaient le parfum de sa colère».

Les grandes dames présentes émettent des « vents pseudo-catholiques », au risque de « conchier les états ».

Mais ce recours au style en apparence débridé de la farce n'est là que pour attester l'énormité d'un scandale.

La grossièreté est destinée à rabaisser 1' adversaire, à le ravaler juste au niveau de son ventre, mais, simultané­ ment, elle témoigne d'une flagrante anomalie.

La solen­ nité royale, à laquelle prétend se hausser Mayenne, se travestit en une dérisoire mascarade.

Les plus hautes institutions de la monarchie sont bafouées par l'indignité fondamentale de ceux qui en ont usurpé la charge : bou­ chers, bordeliers et cureurs de fosses.

Dès lors, la Ménip­ pée va développer de manière systématique le vieux topos du «monde à l'envers».

La monstrueuse réalité engendrée par le règne de la Ligue est la figure inversée, l'antithèse, le négatif de ce qui devrait être dans l'ordre normal des choses.

L'archevêque de Lyon s'extasie devant cette complète métamorphose : «Car qu'y a-t-il au monde de plus admirable, et que peut Dieu mesme faire de plus estrange, que de veoir tout en un moment les valets devenus maistres; les petits estre faicts grands; les pauvres riches; les humbles, insolents et orgueilleux; veoir ceux qui obéissaient, commander ...

».

Cette sub­ version généralisée touche même les simples objets, sou­ dain détournés de leur usage habituel.

C'est ainsi que les écritoires deviennent des mousquets, les bréviaires des rondaches, les capuchons des moines des casques et des salades.

Par là même, la Ligue se révèle pécher à la fois contre la nature et contre l'usage.

Elle définit une diabolique et perverse contre-nature, où tout va cul par­ dessus tête.

Bien plus, en posant l'équivalence instanta­ née des termes les plus contradictoires, elle détruit toute logique du sens.

En particulier, elle nie ce processus historique que, pour sa part, d'Au bray, le porte-parole du Tiers, s'attache à reconstituer.

A la pensée magique des Ligueurs, qui raisonnent en termes d' impossibilia, celui-ci oppose la logique d'un processus lent, calqué sur la maturation végétale : « Le roy que nous demandons est déjà fait par la nature».

Par cet appel décisif au principe naturel, la bourgeoisie incarnée en d' Aubray comprend son destin particulier comme celui de la nation tout entière, et ses intérêts privés s'identifient à l'universel.. »

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