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LITTÉRATURE de 1995 à 1999 : Histoire

Publié le 24/12/2018

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La littérature n’échappe pas à la grande vague de la mondialisation qui submerge les dernières années du siècle. Mais elle s’y soumet à sa manière, puisque aussi bien la « grande » littérature a toujours eu, par définition, une prétention universelle. Il y a longtemps que les grands écrivains consacrés sont traduits dans pratiquement toutes les langues de la planète, et étudiés dans toutes les universités importantes des cinq continents. L’espace de la littérature est mondial, ce qui veut aussi dire qu'il est profondément inégalitaire. Un écrivain de talent n'a pas les mêmes chances de consécration internationale selon qu’il écrit en anglais, en français, en espagnol ou en tchèque, en urdu ou en swahili. Même le prix Nobel n’y suffit pas. Celui de 1996, attribué au poète polonais Wislawa Szymborska, n’a suscité aucune traduction dans les grandes maisons d’édition, à Paris, à New York ou à Francfort.

 

Les impératifs du marché

 

En revanche, nous assistons depuis cinq ans à une mondialisation accélérée de l’édition dont les conséquences se font sentir non seulement sur le marché du livre mais aussi sur l’autonomie de la création littéraire. Traditionnellement aux mains d’entrepreneurs indépendants, petits et moyens, l’édition a connu au cours de ces dernières années un phénomène de concentration sans précédent qui l'a placée sous la dépendance de grandes chaînes internationales de communication de masse. Aux Etats-Unis, le groupe allemand Bertelsmann a absorbé de nombreuses maisons littéraires indépendantes pour devenir le premier éditeur américain. Au Royaume-Uni, c’est le groupe de communication Murdoch qui a pris le contrôle du prestigieux éditeur Harper & Collins. En France, Hachette-Matra et Vivendi-Havas représentent à eux seuls plus de 60 % du chiffre d’affaires de l’édition. La production de livres de littérature est devenue l’un des métiers de la communication. Avec des exigences de rentabi

 

lité du même ordre, sinon identiques. Aux États-Unis, le taux de rentabilité a été fixé, selon les maisons, entre 12 et 15 %. À titre de comparaison, celui d’une maison d’édition française comme Gallimard, dotée d’un fonds littéraire considérable, tourne autour de 3 %.

 

Il est difficile de mesurer les effets négatifs immédiats d’un tel bouleversement. Les livres refusés pour promesses commerciales insuffisantes demeurent, par nature, inconnus. En revanche, la montée en puissance du pôle économique et commercial dans la production littéraire a déjà des conséquences visibles, et spectaculaires.

 

L’ÈRE DE LA MÉDIATISATION

 

La première de ces conséquences est la création d’une littérature internationale ou - pour employer la langue du producteur dominant - d’une world literature ou d’une world fiction. Il s’agit de « produits », souvent de commande, destinés à une large diffusion. Soit ils s’appuient sur les canons, désormais mondialement reconnus, de l’esthétique narrative hollywoodienne - John Grisham, Tom Clancy, Patricia Cornwell, Allan Folsom. Soit ils remettent au goût du jour les inusables procédés du roman populaire et sentimental inventés au xixc siècle - Danièle Stcele, Jeffrey Archer -, ceux du roman exotique - Vikram Seth -, ou de la bluette mystique : le succès mondial de Paolo Coelho et de son Alchimiste (1995) est significatif de cette nouvelle tendance où les recettes commerciales les plus éprouvées - mythologie exotique, didactisme du bonheur, victoire du Bien sur le Mal, transparence totale de l’écriture - parviennent à passer pour l’expression de la modernité littéraire et intellectuelle.

 

Cette introduction de la « littérature » dans la production éditoriale de masse a pour effet de transformer les conditions de vie des écrivains. Les années 1995-1999 ont été celles des surenchères et des records dans les avances consenties par les groupes d’édition à quelques écrivains-vedettes dont on attend d’énormes succès de vente. Le dernier roman de Tom Wolfe, Un homme, un vrai, a été présenté par la presse comme un événement, en raison des trois millions de dollars d'avance que les agents de l’auteur avaient exigés, avant même que son éditeur américain ait pu en lire une ligne. Reste ensuite à l'éditeur d’origine à rentabiliser son investissement par les multiples ressources du marketing, à l’intérieur des États-Unis -1 260 (X)O exemplaires vendus en un mois - et à l’extérieur, où seules les grandes maisons d’édition peuvent accéder aux enchères et essayer, à leur tour, de rentrer dans leur mise. Encore Tom Wolfe

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« LITTÉRATURE: LA N OU VELLE DONNE.

C'est en dress am la radioscopie d'tme Amérique ntrale qu'une poignée d'écrivains, IOLLÇ résidant dans le Montana, ont délimité leur territoire lifléraire.

Mais James Crumley ou Thomas McGuane conduisent /es lecteurs sur 1111 tout autre c·hemin que la seule exploration des grands espaces ...

Né dans le Midrigan, Jim Harrison (ci-contre) est emblématique de ce courant, qui emporte dons son sillage le lyrisme d'un Whitman et le désenchamement d'un Faulkner.

© David Bumeii-Contact Press Images LITIÉRATURE : LA NOUVELLE DONNE.

LITIÉRATURE : LA NOUVELLE DONNE.

Audace dans le cho ir des motifs, reJtOIIwdlement des paramètres du récit, variation des points de I'Ue, l'écriture au fémin in prend une am re dimension SOIIS le signe d'une écriture du désir ou du refus.

Comme Christine Angot, Marie Desplechin 011 Alina Reyes, Virginie Despemes (ci-dessus) met en œuvre celle esthétique du dévoilement dont les titres mêmes de ses romans, les Chiennes ou Baise-moi !, disent assez toute la violence.

© J.

-C.

Bourcart-Rapho Depuis la mise en place du livre de poche dans les rayons tles librairies françaises eJt 1953, aucwr Mireur n'avait renouvelé la formule.

C'est chose faite grâce aux Italiens Nara Rompazzo et Maurizio Medico (ci-contre), cofondareurs des éditions Mille et Une Nuits, et pionniers en France des livres à JO fran cs dont le succès 11e se démem pas.

© Leynse-Rea est-il un écrivain déjà coté dont le roman précédent, le Bûcher des vanités avait conquis un vaste public.

Mais les phénomènes de média­ tisation de masse et de production internationale atteignent désormais des premiers romans dont les auteurs n'ont encore aucune légitimité littéraire.

Ainsi, Retou r à Cold Mowr ta i n , roman d'aventures d'un cer­ tain Charles Frazier acheté sur synopsis, s'est vendu à deux millions d'exemplaires aux �lats-Unis, avant de poursuivre sa carrière dans le reste du monde.

On comprendra aisément que ces modifications pro­ fondes dans la demande des éditeurs a des conséquences elles-mêmes profondes et durables sur l'offre des écrivains et sur le paysage litté­ raire international.

En premier lieu-ct on le voit bien pour la France, mais aussi pour l'Allemagne ou pour l'Italie -ce système amène à écarter des grands réseaux de diffusion internationale les écrivains qui persistent à rechercher la reconnaissance dans le cadre qui leur paraît être littérairement le plus approprié, celui de leur aire linguistique.

Jusqu'au milieu des années quatre-vingt-dix, la consécra­ tion que pouvait obtenir un écrivain à l'échelon international obéissait à un schéma en chaîne : un auteur, italien par exemple, publiait un roman à Milan, à Rome ou à Turin.

La renommée qu'il avait acquise lui valait en général une traduction française, laquelle avait valeur de label littéraire et lui ouvrait l'éventail des traductions, en Europe continentale, en Grande-Bretagne, au Japon, puis aux États-Unis.

Depuis 1995, si l'on excepte une petite poignée de titres, celte chaîne est pratiquement coupée.

Si les livres de langue anglaise continuent à se déverser sur les marchés nationaux des autres continents, la littéra­ t}!re en langues étrangères a pratiquement cessé d'être traduite aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

La part des traductions, en 1996, représentait 3, 1.

% des titres produits en Grande-Bretagne, contre 16% pour la France et 18% pour l'Allemagne.

L'un des effets para­ doxaux de la mondialisation est la fermeture des marchés littéraires anglo-saxons et la crise d'isolement dont se plaignent les vieilles cul­ tures européennes et les cultures émergentes africaines ou asiatiques dès lors qu'elles ne choisissent pas de s'exprimer en anglais.

On ne s'étonnera donc pas si la liste des grandes révélations littéraires de ces cinq dernières années est assez courte et si les écri­ vains de langue anglaise s'y taillent la part du lion.

Citons Uwe Johnson pour l'Allemagne, Javier Marias pour l'Espagne, Antonio Lobo Antunès pour le Portugal, Daniele Del Giudice pour l'Italie.

Et, parmi les écrivains anglophones, le Japonais Kazuo lshiguro, le Sri­ Lankais Michael Ondaatje, le Nigérian Ben Okri, les Indiens Salman Rushdie et Bharati Mukherjee.

Quant aux grands écrivains américains confirmés au cours de ces dernières années, Philip Roth, John Edgar Wideman, Don DeLillo, Paul Austcr ou Coleman DoweU, on remar­ quera qu'ils doivent la plus grande part de leur réputation à l'accueil qui leur a été fait en Europe, et notamment en France.

UNE THÉMATIQUE DE CRISE C'est un second paradoxe de la mondialisation éditoriale.

La France, pour des raisons historiques et culturelles multiples et par la place centrale qu'elle continue à attribuer au livre et à la lecture dans la formation et 1 'information, continue à jouer un rôle capital dans la consécration littéraire internationale.

Mais elle ne semble plus pouvoir le faire, comme par le passé, pour ses propres écrivains.

D'où la thé­ matique de crise qui s'est développée et ampli liée au cours de ces der­ nières années et qui domine encore notre vie littéraiie, du côté de la critique comme du côté des créateurs.

Pour certains, la messe est dite.

La France est définitivement un vieux pays, empêtré dans une tradition si glorieuse et si puissante qu'il lui est impossible de trouver les chemins de la modernité.

Il faut prendre ses modèles ailleurs, c'est-à-dire dans la littérature nord­ américaine, la seule à offrir un reflet crédible et critique du monde tel qu'il est.

Dans le sillage de Philippe Djian, une génération de jeunes romanciers inspirés par Kerouac, Charyn ou Coover, adeptes du réalis­ me de la rue, de la culture rock et des jeux informatiques, se sont lan­ cés dans l'aventure, rencontrant un certain succès (Lorette Nobécourt, Patrick Dantec) auprès des jeunes lecteurs- mais sans pouvoir rivaliser avec les modèles d'outre-Atlantique.

D'autres font le même constat d'une littérature française enfermée dans le nombrilisme culturel et le formalisme esthétique, mais en tirent une pratique opposée.

C'cstle cas de Michel Houellebccq dont le livre, les Particules élémemaires, nour­ rit depuis sa parution, à l'automne 1998, une ardente controverse.

Selon Houellebecq, la littérature française s'étiole parce qu'elle a perdu le contact avec le monde du XX' siècle- celui de la révolution scientifique et technique qui a tout changé à notre savoir sur l'homme- et avec la pensée d'une morale adaptée aux nouvelles conditions d'existence.

Même si le discours romanesque de l'auteur n'est pas à la hauteur de sa réflexion, même si un retour à l'esthétique naturaliste d'Émile Zola n'est guêre novateur, l'accueil réservé aux Particules élémentaires montre que l'idée d'une crise du roman français est désormais partagée par un vaste public.

Autre phénomène, peut-être davantage sociologique que littéraire, 1 'irruption violente sur la scène romanesque de jeunes. »

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