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C’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir. Jean Anouilh in Antigone

Publié le 19/03/2020

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anouilh

«Et voilà. Maintenant le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre, rien, un regard pendant une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la rue, une envie d’honneur un beau matin, au réveil, comme de quelque chose qui se mange, une question de trop qui se pose un soir... C’est tout. Après, on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C’est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats, et les orages, et les silences, tous les silences : le -silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l’un en face de l’autre pour la première fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris de la foule éclatent autour du vainqueur — et on dirait un film dont le son s’est enrayé, toutes ces bouches ouvertes dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n’est qu’une image, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence...

C’est propre, la tragédie. C’est reposant, c’est sûr... Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d’espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, — pas à gémir, non, pas à se plaindre, — à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir. C’est ignoble, c’est utilitaire. Là, c’est gratuit. C’est pour les rois. Et il n’y a plus rien à tenter, enfin ! »

«Et Créon avait raison, c’est terrible, maintenant, à côte de cet homme (le garde), je ne sais plus pourquoi je meurs. J’ai peur... »

anouilh

« 45 • TRAGÉDIE / 341 Le Chœur prélude, par ses commentaires, à la venue d'Antigone, dont le garde nous apprend qu'elle vient de récidiver.

Déjà le Prologue nous avait avertis, en guise de préambule à l'action proprement dite, que la jeune fille s'apprêtait à devenir elle-même («Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout»).

Les propos du Chœur signalent donc que la crise tragi­ que est sur le point de se nouer.

C'est le Chœur qui, par sa présence constante, main­ tient l'unité de la pièce de Sophocle.

Anouilh emprunte au dramaturge grec le Chœur et le Prologue, auxquels il ne confie cependant qu'un rôle limité de témoins.

Antigone, chez Sophocle, est investie d'un devoir sacré, jugé supé­ rieur au devoir purement humain de Créon.

Comme l'indique le Chœur, la« vraie fille de l'intraitable Œdipe » entre en conflit avec le tyran Créon, qui se veut le gardien inflexible des lois de la Cité.

Le duel des deux personnages revêt ainsi, chez Sophocle, le caractère d'un drame religieux qui met en cause le ciel et la terre.

Se considérant comme «saintement criminelle», dans le Prologue, Antigone «brave l'ordre de la cité», comme le constate sa sœur Ismène et, de ce fait, la désobéissance d'Antigone envers son oncle se trouve justifiée.

L'héroïne ne meurt pas désespérée car elle dénonce, par sa mort, l'injustice des hommes.

Ce serait, à ses yeux, un sacrilège inexpiable que de laisser son frère Polynice sans sépulture.

Quant à Créon, n'est-il pas condamné par les dieux? Sa punition est, en tout cas, annoncée par le devin Tirésias, dont la cécité est, symboliquement, le signe d'une clair­ voyance surnaturelle.

Créon fait machine arrière, mais trop tard.

Le Chœur tire la leçon des événements, à la fin de la pièce, en condamnant l'orgueil et la démesure des hommes.

Anouilh donne une tout autre signification à la tragédie d' Antigone, dans la mesure où il se passe de toute réfé­ rence significative au sacré.

Si le Chœur invoque le ciel («on est pris avec tout le ciel sur son dos», par exemple) ce n'est que par métaphore car c'est avant tout l'absurdité du comportement d'Antigone qui confère à cette pièce son caractère tragique.. »

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