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Analyse textuelle de DOM JUAN de MOLIERE

Publié le 12/01/2015

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juan
« La cinquantaine de répliques qui s'enchaînent par cou¬ples dans ce morceau de bravoure sont de longueur et de rythme changeants, mais ont toujours soin, avec des mots toujours différents, de dire les mêmes choses, sur les mêmes tons et à peu près dans le même temps. C'est donc l'implacable répétition de la forme, et non le contenu symbolique, qui frappe le spectateur. » C'est sans doute dans cette scène que Molière s'est le plus souvenu de la Commedia dell'arte. Mais ici la théâtralité est mise au service d'une idée dramatique centrée sur une conception nouvelle du personnage de Dom Juan. Si celui-ci, conformément au mythe, pousse à son comble l'art de la tromperie, c'est moins pour se dévergonder que pour vérifier d'une manière expérimentale ses convictions sur l'humanité quand celle-ci a perdu un vernis social qui n'est à ses yeux que mensonge et illusion. S'abandonnant aux impulsions du moment, Dom Juan n'en poursuit pas moins, lui aussi, comme beaucoup d'autres personnages de Molière, son idée fixe. En cela son radicalisme rejoint celui d'Alceste, le Misanthrope. Il est peut-être l'envers d'Alceste, l'idéaliste déçu, alors qu'il est, lui, le négativiste endurci. Dans ce sens, plutôt que le séducteur, définition que Jouvet récusait, on pourrait l'appeler le tentateur. Ses entreprises de séduction sont plutôt des mises à l'épreuve. Il révèle par ses manoeu-vres, par ses artifices, le fond noir de l'âme humaine. Ce chercheur d'absolu à sa manière est un chasseur de plaisirs éphémères qui lui échappent sans cesse. Là sans doute est le comique du personnage. Ce conquérant dépense plus souvent son énergie pour fuir que pour vaincre. Cet esprit positif est sans cesse séduit par des mirages de bonheur qui sans cesse lui échappent. Cet illusionniste passe son temps à courir après des voluptés qu'il sait illusoires puisque rien ne vaut l'instant où il se laisse prendre à l'image fugace d'une beauté qui le décevra dès qu'elle sera dans ses bras. PREMIER ACTE SCÈNE 1 Eloge du tabac L'entrée en matière est un modèle de fausse exposition. Se¬lon un procédé bien éprouvé, le spectateur a l'impression de surprendre une conversation déjà commencée quand le ri¬deau s'ouvre. En outre, le discours de Sganarelle porte sur un sujet, le tabac, parfaitement anodin et gratuit. Les considéra¬tions qu'il développe avec une solennité burlesque n'ont au¬cun lien avec la « matière » qu'il s'agit de présenter, comme c'est le cas d'ordinaire, dans une scène d'exposition. Cette digression renforce au contraire le sentiment de faire irrup¬tion dans une vie qui ne se limite pas au moment de la représentation. Comme un voyeur malgré lui, le spectateur est projeté par effraction dans une histoire qui a déjà un passé, une épaisseur qui lui échappent. Il semble que Sganarelle soit parfaitement conscient de l'inopportunité de son envolée lyrique sur le tabac et que son propos ne manque pas de malice. Il s'adresse, en effet, à Gusman, le valet de Done Elvire, chargé par sa maîtresse de retrouver Dom Juan. Ainsi le pédant exposé de Sganarelle sur le tabac retarde les informations attendues par Gusman, et par le public. On comprendra par la suite que Sganarelle profite de la situation pour savourer la supériorité qu'elle lui donne sur Gusman et compenser ainsi les humiliations qu'il subit quotidiennement de son maître. Il joue avec Gusman, comme un acteur joue avec le public; il exploite la dépendance dans laquelle se trouve son interlo¬cuteur pour retarder les renseignements que celui-ci attend de lui et proférer des plaisanteries parodiques sans intérêt, sauf la volupté de tenir enfin quelqu'un à sa merci. Quand il a le sentiment d'avoir atteint la limite de la patience de celui qui l'écoute, il revient aux choses sérieuses : « Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. » Tout l'entretien sera marqué par cette tendance bouffonne de Sganarelle à contrefaire son maître tout en le critiquant. Et pourtant, les futilités qu'il débite sur le tabac contien¬nent indirectement des informations plus précieuses que tou¬tes les indications concrètes qu'il pourrait donner à Gusman. Avant même de faire le portrait de son maître, Sganarelle suggère des choix dont il s'est lui-même imprégné par une identification inconsciente. Son éloge du tabac signifie d'abord la priorité donnée au plaisir, à un plaisir gratuit, sensuel, inutile, égoïste, sur le devoir. Le ton didactique et pseudo-scientifique adopté par le valet de Dom Juan exprime la satisfaction maligne de prendre le contre-pied des idées reçues. Sganarelle l'ignorant, le superstitieux, joue au savant et à l'esprit fort. Il emploie une phraséologie pompeuse pour trai¬ter d'un sujet frivole et vanter un plaisir superflu. Ce qui pourrait passer pour un truc, une astuce de l'auteur corres¬pond donc au contraire à une véritable mise en situation de l'objet réel, profond du spectacle qui s'ouvre, de ce que l'on va donner à voir et à entendre. Le ton ici compte plus que le contenu, l'esprit plus que la lettre. Le ton est celui de la provocation, l'esprit, celui du doute. Le discours dérisoire et parodique de Sganarelle introduit d'emblée à un déplacement des centres d'intérêt. Le déroule «... c'est un dessein que j'ai formé par pure politique, un strata-gème utile, une grimace nécessaire où je veux me contraindre, pour ménager un père dont j'ai besoin, et me mettre à couvert, du côté des hommes, de cent fâcheuses aventures qui pour¬raient m'arriver.» Et, dans un accès d'épanchement, Dom Juan livre un aveu d'importance qui trahit les vues qu'il a sur Sganarelle et le poids qu'il accorde à ses relations avec son valet : Je veux bien, Sganarelle, t'en faire confidence, et je suis bien aise d'avoir un témoin du fond de mon âme et des véritables motifs qui m'obligent à faire tes choses. » Sganarelle, décidément balourd, ne comprend pas que Dom Juan puisse, tout en ne croyant rien du tout, s'ériger en homme de bien. Dom Juan va alors développer un éloge de l'hypocrisie qui est un cours de morale inversée, un cours d'amoralité à l'usage des apprentis ambitieux ou des hédonistes incurables. Il appartiendrait plutôt, quant à lui, à la dernière catégorie, car il voit dans l'hypocrisie plutôt une arme pour se protéger contre la tyrannie de l'ordre moral imposé par la société que comme un moyen d'arrivisme. Dom Juan n'est pas un ambi¬tieux. Il ne voit dans le pouvoir que vaine gloire. Le mépris qu'il a manifesté devant le tombeau du Commandeur le mon¬tre suffisamment. Il est homme de plaisir. Eloge de l'hypocrisie Il justifie en quelque sorte le recours à l'hypocrisie comme une légitime défense face au péril qui le menace et dont la rupture avec son père constituait le plus grave avertissement. H a su en tenir compte. La comédie qu'il vient de jouer à Dom Louis n'est donc qu'une riposte, à ses yeux légitime, pour protéger ses droits à la liberté en amour. Il faut bien comprendre la position de Dom Juan comme une position de combat. Il juge illégitime la couverture mo¬rale sous laquelle la société oblige les individus à sacrifier leurs plaisirs à des conventions telles que le mariage, la fa¬mille, le nom, le rang, l'honneur, à des abstractions telles que la patrie, l'Etat, la religion, etc. En cela, Dom Juan pense comme un démystificateur, une sorte d'anarchiste individualiste. Dans cette lutte permanente, il se trouve, à la fin du quatrième acte, sur la défensive. Il a perdu la protection grâce à laquelle il pouvait agir impunément. C'est pourquoi il se transforme en hypocrite, sans renier, bien entendu, ses principes de vie, mais pour défendre au contraire ce qu'il estime son droit au bonheur, même s'il exerce ce droit aux dépens d'autrui. Ne reconnaissant de valeur à aucune règle morale, puisque la morale est à ses yeux un jeu de dupes destiné à museler les individus au nom d'entités illusoires, il n'a aucun scrupule à faire l'hypocrite. La fin pour lui justifie les moyens et l'hypocrisie est le moyen qui représente le plus d'avantages, car il est extrême¬ment difficile de démasquer un hypocrite. Le succès de ce stratagème est fondé sur l'habileté de celui qui l'emploie. C'est ce qui apparente l'hypocrisie à l'art du comédien; Voici comment Dom Juan présente l'hypocrisie : «C'est un art de qui l'imposture est toujours respectée, et quoi¬qu'on la découvre, on n'ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement; mais l'hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d'une impunité souveraine.» On retiendra la notion fondamentale d'« impunité ». Cette défense paradoxale de l'hypocrisie est assez générale pour garder toute sa validité, indépendamment des temps et des lieux. Mais Dom Juan se réfère à un phénomène qui caractérise les m½urs de son époque : «l'hypocrisie», dit-il, «est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertus». Il construit son argumentation en deux mouvements. D'abord il se protège derrière une généralité, emploie l'im¬personnel et le pluriel pour montrer qu'en adoptant cette méthode, il se contente de suivre l'usage. Puis il personnalise son propos et annonce son intention d'appliquer ces recettes pour son propre compte : «C'est sous un abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitu-des; mais j'aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. » Ce passage du « ils» au «je » est capital pour comprendre la démarche du raisonnement de Dom Juan et la force de ses arguments. Mais le «je » est aussitôt rattaché à un «nous» implicite, quand Dom Juan se réfère à la solidarité qui unit les hypocrites. Il convient de préciser que Dom Juan et Molière emploient le mot d'« hypocrisie » dans l'acception restreinte qu'il avait prise en fonction des moeurs du temps. L'hypocrisie, dans ce sens, signifiait un emploi particulier de l'hypocrisie, elle était devenue synonyme de la fausse dévotion. Quand on parlait alors d'un hypocrite, on ne désignait pas un hypocrite en général, mais un dévot hypocrite. C'est bien à ce jeu que Dom Juan prétend s'initier. La dévotion au service du libertinage Quand on connaît le phénomène précis et daté auquel Dom Juan fait allusion, on comprend mieux son éloge de l'hypocri¬sie. Car la dévotion hypocrite étant difficile, voire impossible, à démêler de la dévotion sincère, les hypocrites profitaient non seulement de l'appui de leurs pareils, mais aussi des «gens de bien » qui prenaient la défense de la religion. On retrouve ici le débat ouvert par Tartuffe dont ce dernier acte de Dom Juan constitue le prolongement. Tous les ingrédients de l'affaire Tartuffe sont réunis, en effet, dans cette tirade dont les allusions satiriques sont évidentes. Molière règle ici ses comptes par personnage interposé. On en déduira que la transformation de Dom Juan en Tartuffe n'est pas innocente. Mais elle est parfaitement moti¬vée sur le plan théâtral aussi bien que psychologique. La charge vise la cabale des dévots. Dom Juan décrit d'abord le phénomène dans un esprit neutre et objectif. Il démonte un procédé qui tire toute sa force de rester secret, d'où l'extrême vigilance des membres de la confrérie dès qu'on les montre du doigt, en particulier sur une scène, d'où les ennuis de Molière avec Tartuffe et avec Dom Juan. On ima¬gine la fureur de ces Messieurs du Saint-Sacrement quand un mécréant tel que Dom Juan livrait crûment leur mode d'em¬ploi en se faisant fort de s'en servir : « On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un se les jette tous sur les bras; et ceux que l'on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux-là, dis-je, sont toujours les dupes des autres; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers et appuient aveuglément les singes de leurs actions. » Molière n'avait pas de mal pour connaître le fonctionnement de ce type de machinations, il lui suffisait de penser à l'affaire Tartuffe dont il vient de définir exactement la mise en place. Son coup d'audace est d'avoir utilisé comme élément de l'intrigue le processus qui avait conduit à l'interdiction de Tartuffe et qui allait entraîner l'étouffement de Dom Juan du fait de l'alliance entre les gens de bien abusés et les faux dévots avérés. La carrière de la pièce devenait un rouage essentiel du mécanisme dramaturgique de cette même pièce. Puis Dom Juan explique les avantages qu'il compte tirer personnellement de son affiliation à la secte : « Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. » Le dévoilement qui s'opère ici tient à la convergence absolue d'intérêts entre les calculs d'un libertin et la nécessité pour la cabale d'éviter tout scandale et de couvrir indistinctement tous ses membres de par la loi de la solidarité du clan. La conclusion que tire Dom Juan de ces considérations est bien dans le style impudent et provocateur qu'il affectionne : « Enfin c'est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. » L'assimilation qui en découle entre les libertins et les dévots laissait à entendre que les hauts lieux de l'ordre clérical le plus strict étaient tout naturellement appelés à devenir des repaires où on se livrait à la dissipation, à la luxure et à toutes sortes d'abus sous le couvert de la religion et la protection de l'Église. On pouvait en déduire que plus on manifestait publique¬ment d'horreur pour le libertinage, plus on était suspect de le pratiquer en privé, dans le secret. On avait d'autant plus de facilité de s'adonner soi-même à tous les vices, qu'on les dénonçait plus hautement chez les autres. C'était pour Molière une bonne occasion de mettre en cause ceux qui l'avaient censuré : «Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d'impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d'injures, et les damneront hautement de leur auto¬rité privée. » Voilà dûment portraiturés Rochemont et les auteurs des nom-breux libelles qui prenaient Molière pour cible. La décision de Dom Juan de rallier le parti dévot était parfaitement motivée par le déroulement de l'intrigue, de façon à surmonter les difficultés qu'il rencontrait sur la voie de son bon plaisir. Mais l'hypocrisie conciliait également la liberté d'idées et la liberté de m½urs. Elle permettait de professer impunément l'une et l'autre, mais elle contenait également, dans sa démar¬che les deux attitudes par la transgression et la perversion qu'elle accomplissait spontanément. Il y avait dans ce raffinement de tromperie une source secrète et délicieuse de volupté. Sans être une fin en soi, la fausse dévotion, en unissant le sacrilège à la licence, apparaissait donc comme un aboutisse-ment logique dans la carrière de Dom Juan. Mais la recherche de la sécurité apparaît pourtant comme un facteur dominant. Au siècle suivant, l'une des héroïnes des Liaisons dangereuses, la Merteuil perpétrera les plus noi¬res infamies en se donnant les dehors d'une femme de bien, d'une prude. Elle s'inscrit dans la postérité de Dom Juan, elle est un Dom Juan femelle. Dom Juan concluait sa démonstration par une péroraison qui tout en parodiant subtilement l'art des grands orateurs sacrés exprimait la sagesse lucide et désabusée des meilleurs moralistes de ce temps, un La Rochefoucauld, un La Bruyère : « C'est ainsi qu'il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu'un sage esprit s'accommode aux vices de son siècle.» A ce tournant de la pièce le personnage subit une mutation qui le fait passer de l'usage virulent de la provocation à un conformisme apparent qui n'est qu'un degré supérieur de son amoralisme. Mais il traduit un élargissement qui mérite l'at-tention, car de cas particulier, exceptionnel, il devient cas d'espèce. Dans ce sens, Molière retourne aux sources du mythe, mais il l'actualise. Un fait d'époque et de société Le personnage de Dom Juan ne pouvait manquer de passer par une évolution qui entraînait une distorsion de ses traits initiaux. Atypique, de par son individualisme forcené, il ap¬paraissait à ce stade, comme un portrait synthétique repré¬sentant un fait d'époque et de société. Il s'ensuit une tension interne qui accroît l'ambiguïté du caractère et lui donne une épaisseur supplémentaire. On a, d'ailleurs, reconnu dans maints passages de ce dis¬cours démystificateur des allusions précises à une haute per sonnalité contemporaine de Molière et que Molière connais¬sait bien : le prince de Conti. On sait que ce grand seigneur, après avoir mené une vie libertine, s'était converti avec ostentation. On trouve dans les notes de la remarquable édition que Georges Couton a procu¬rée du texte dans la Pléiade un dossier détaillé sur cette source de Molière. Pavillon, évêque d'Aleth, avait eu le mérite de cette conversion et avait désigné à Conti un directeur de conscience, l'abbé Ciron, qui, selon l'usage, obligea l'illustre repenti à des réparations publiques dont l'éclat fait penser à celles auxquelles Dom Juan promet de s'astreindre devant son père. Conti avait eu une liaison avec l'épouse d'un conseiller au Parlement. Il se confessa publiquement, s'humi¬lia en présence du mari trompé et obligea la pécheresse à entrer au couvent. On peut trouver certaines correspondances entre cette his¬toire et le comportement de Dom Juan envers Done Elvire, surtout quand le libertin impute à son repentir sa décision de rompre une liaison qui lui pèse. Quand Dom Juan cite les dévots libertins qui « ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse», les contemporains comprenaient sans peine de qui il était réellement question. Georges Couton a confronté la tirade de Dom Juan sur l'hypocrisie et une lettre de Conti retrouvée dans les papiers de l'abbé Ciron. La comparaison lui semble probante surtout quand il retient «que Conti considère comme une "blessure" utile, parce qu'elle est "un grand sujet d'humiliation" pour son "orgueil" d'être accusé "d'hypocrisie" par un prélat, qui doit être Pavillon », l'évêque qui l'avait converti, Georges Couton conclut : « Pouvait-on penser que Molière pouvait ne pas songer à son ancien protecteur, converti avec éclat, non sans avoir été soupçonné d'hypocrisie et devenu son ennemi actif et celui du théâtre?» (Couton, 1, tome 2, p. 1317) Ce rapprochement a l'intérêt de montrer à quel point la pièce et le personnage de Molière sont ancrés dans la réalité de cette époque.
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« 224 / Molière.

Œuvres majeures retrouver Dom Juan.

Ainsi le pédant exposé de Sganarelle sur le tabac retarde les informations attendues par Gusman, et par le public.

On comprendra par la suite que Sganarelle profite de la situation pour savourer la supériorité qu'elle lui donne sur Gusman et compenser ainsi les humiliations qu'il subit quotidiennement de son maître.

Il joue avec Gusman, comme un acteur joue avec le public; il exploite la dépendance dans laquelle se trouve son interlo­ cuteur pour retarder les renseignements que celui-ci attend de lui et proférer des plaisanteries parodiques sans intérêt, sauf la volupté de tenir enfin quelqu'un à sa merci.

Quand il a le sentiment d'avoir atteint la limite de la patience de celui qui l'écoute, il revient aux choses sérieuses: «Mais c'est assez de cette matière.

Reprenons un peu notre discours.

» Tout l'entretien sera marqué par cette tendance bouffonne de Sganarelle à contrefaire son maître tout en le critiquant.

Et pourtant, les futilités qu'il débite sur le tabac contien­ nent indirectement des informations plus précieuses que tou­ tes les indications concrètes qu'il pourrait donner à Gusman.

Avant même de faire le portrait de son maître, Sganarelle suggère des choix dont il s'est lui-même imprégné par une identification inconsciente.

Son éloge du tabac signifie d'abord la priorité donnée au plaisir, à un plaisir gratuit, sensuel, inutile, égoïste, sur le devoir.

Le ton didactique et pseudo-scientifique adopté par le valet de Dom Juan exprime la satisfaction maligne de prendre le contre-pied des idées reçues.

Sganarelle l'ignorant, le superstitieux, joue au savant et à l'esprit fort.

Il emploie une phraséologie pompeuse pour trai­ ter d'un sujet frivole et vanter un plaisir superflu.

Ce qui pourrait passer pour un truc, une astuce de l'auteur corres­ pond donc au contraire à une véritable mise en situation de l'objet réel, profond du spectacle qui s'ouvre, de ce que l'on va donner à voir et à entendre.

Le ton ici compte plus que le contenu, l'esprit plus que la lettre.

Le ton est celui de la provocation, l'esprit, celui du doute.

Le discours dérisoire et parodique de Sganarelle introduit d'emblée à un déplacement des centres d'intérêt.

Le déroule-. »

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