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ANOUILH, Antigone (1944): Dénouement

Publié le 22/10/2013

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ANTIGONE : Il faut être --> cet anneau si tu acceptes.

Dénouement [...]  ANTIGONE : Il faut être sergent pour être garde ?  LE GARDE : En principe, oui. Sergent ou avoir suivi le peloton spécial. Devenu garde, le sergent perd son grade. Un exemple : je rencontre une recrue de l'armée, elle peut ne pas me saluer.  ANTIGONE : Ah oui ?  LE GARDE : Oui. Remarquez que, généralement, elle le fait. La recrue sait que le garde est un gradé. Question solde : on a la solde ordinaire du garde, comme ceux du peloton spécial, et, pendant six mois, à titre de gratification, un rappel de supplément de la solde de sergent. Seulement, comme garde, on a d'autres avan-tages. Logement, chauffage, allocations. Fina-lement, le garde marié avec deux enfants arrive à se faire plus que le sergent de l'active.  ANTIGONE : Ah oui ?  LE GARDE : Oui. C'est ce qui vous explique la rivalité entre le garde et le sergent. Vous avez peut-être pu remarquer que le sergent affecte de mépriser le garde. Leur grand argument, c'est l'avancement. D'un sens, c'est juste. L'avan-cement du garde est plus lent et plus difficile que dans l'armée. Mais vous ne devez pas oublier qu'un brigadier des gardes, c'est autre chose qu'un sergent chef.  ANTIGONE (lui dit soudain) : Écoute...  LE GARDE : Oui.  ANTIGONE : Je vais mourir tout à l'heure.  LE GARDE (Le garde ne répond pas. Un silence. Il fait les cent pas. Au bout d'un moment, il reprend.) : D'un autre côté, on a plus de considération pour le garde que pour le sergent de l'active. Le garde, c'est un soldat, mais c'est presque un fonctionnaire.  ANTIGONE : Tu crois qu'on a mal pour mourir ?  LE GARDE : Je ne peux pas vous dire. Pendant la guerre, ceux qui étaient touchés au ventre, ils avaient mal. Moi, je n'ai jamais été blessé. Et, d'un sens, ça m'a nui pour l'avancement.  ANTIGONE : Comment vont-ils me faire mourir ?  LE GARDE : Je ne sais pas. Je crois que j'ai entendu dire que pour ne pas souiller la ville de votre sang, ils allaient vous murer dans un trou.  ANTIGONE : Vivante ?  LE GARDE : Oui, d'abord. (Un silence. Le garde se fait une chique.)  ANTIGONE : O tombeau ! O lit nuptial ! O ma demeure souterraine !... (Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. On dirait qu'elle a un peu froid. Elle s'entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule...  LE GARDE (qui a fini sa chique) : Aux cavernes de Hadès, aux portes de la ville. En plein soleil. Une drôle de corvée encore pour ceux qui seront de faction. Il avait d'abord été question d'y mettre l'armée. Mais, aux dernières nouvelles, il paraît que c'est encore la garde qui fournira les piquets. Elle a bon dos, la garde ! Etonnez-vous après qu'il existe une jalousie entre le garde et le sergent d'active...  ANTIGONE (murmure, soudain lasse) : Deux bêtes...  LE GARDE : Quoi, deux bêtes ?  ANTIGONE : Des bêtes se serreraient l'une contre l'autre pour se faire chaud. Je suis toute seule.  LE GARDE : Si vous avez besoin de quelque chose, c'est différent. Je peux appeler.  ANTIGONE : Non. Je voudrais seulement que tu remettes une lettre à quelqu'un quand je serai morte.  LE GARDE : Comment ça, une lettre ?  ANTIGONE : Une lettre que j'écrirai.  LE GARDE : Ah ! ça non ! Pas d'histoires ! Une lettre ! Comme vous y allez, vous ! Je risquerais gros, moi, à ce petit jeu-là !  ANTIGONE : Je te donnerai cet anneau si tu acceptes. [...]

Condamnée à mort par Créon, Antigone est restée seule sous la surveillance du Garde. Face à celui qui représente son « dernier visage d'homme «, elle essaie de surmonter son angoisse et de donner un sens à son acte. Mais au lieu de trouver le réconfort et la pitié dans un ultime dialogue, elle ne rencontre que la gêne et l'incompréhension de celui qui appartient à un univers égoïste et prosaïque.

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En plein soleil.

Une drôle de corvée encore pour ceux qui seront de faction.

Il avait d'abord été question d'y mettre l'armée.

Mais, aux dernières nouvelles, il paraît que c'est encore la garde qui fournira les piquets.

Elle a bon dos, la garde! Étonnez-vous après qu'il existe une jalousie entre le garde et le sergent d'active ...

ANTIGONE, murmure, soudain lasse: Deux bêtes ...

LE GARDE : Quoi, deux bêtes? ANTIGONE : Deux bêtes se serreraient l'une contre l'autre pour se faire chaud.

Je suis toute seule .

Condamnée à mort par Créon, Antigone est restée seule sous la sur­ veillance du Garde.

Face à celui qui représente son « dernier visage d'homme », elle essaie de surmonter son angoisse et de donner un sens à son acte.

Mais au lieu de trouver le réconfort et la pitié dans un ultime dia­ logue, elle ne rencontre que la gêne et l'incompréhension de celui qui appartient à un univers égoïste et prosaïque.

1 -UN DIALOGUE QUI SONNE FAUX Un simulacre de communication Les six questions posées par Antigone montrent que la jeune fille cherche à éta­ blir et à maintenir une communication avec le Garde.

Mais il ne s'agit pas d'un véritable échange : aux deux premières réponses du Garde concernant son statut, correspondent les deux« Ah oui?» d'Antigone qui sont vides de signification et transforment les six premières répliques en quasi-monologue du Garde.

Lorsque la jeune fille parle de sa mort prochaine, elle n'obtient que le silence d'un garde qui «fait les cent pas» ou qui« se fait une chique».

Vraies et fausses valeurs Aux valeurs spirituelles, à l'angoisse métaphysique d' Antigone, répondent sy­ métriquement les valeurs matérialistes et l'indélicatesse du Garde.

Le déséquilibre entre les valeurs authentiques ou essentielles et les valeurs contingentes ou inau­ thentiques est accentué par la dissymétrie des répliques.

L'essentiel (la mort, la so­ litude, la peur) est réduit à la portion congrue; la contingence* prosaïque (la hiérar­ chie, l'avancement, la solde, la retraite) est longuement développée par le Garde.

Dans sa bouche, la rivalité du garde et du sergent prend les allures étriquées d'un corporatisme absurde et médiocre.

La comparaison avec l'attitude des bêtes est révélatrice de l'absence de frater­ nité, l'utilisation de l'irréel du présent soulignant l'écart avec une fraternité véri­ table : «Deux bêtes se serreraient l'une contre l'autre».

Le tutoiement et le vouvoiement Alors que le Garde la vouvoie très normalement tout au long de la scène (Anti­ gone est princesse et nièce de Créon), Antigone se met soudain à tutoyer son inter­ locuteur.

L'impératif qui accompagne ce tutoiement (« Écoute ») est moins un. »

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