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BOREL Pétrus : sa vie et son oeuvre

Publié le 18/11/2018

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BOREL Pétrus, pseudonyme de Joseph Pierre Borel d'Hauterive (1809-1859). Pétrus Borel fut sans conteste la figure la plus marquante du groupe des Jeunes-France des années 1830. Ce n'est pas un hasard si Théophile Gautier voyait en lui « une individualité pivotale, autour de laquelle les autres s’implantent et gravitent ». Le « lycanthropique » auteur des Rhapsodies, de Champa-vert et de Madame Putiphar, s’il compte parmi les plus grands des nombreux « minores » qu'engendra le romantisme, est aussi de la race de ces obscurs génies qui, de Villon à Tzara, ont pensé et vécu la littérature comme une permanente et scandaleuse révolution dans le langage.
 
La vie d'un « homme-loup »
 
Né à Lyon, le 30 juin 1809, dans une famille d’aristocrates émigrés et ruinés, Joseph Pierre Borel d’Hauterive entreprend, au sortir du collège, des études d'architecture. Il donne, dans cet art, libre cours à sa passion du Moyen Age, à son goût pour les styles originaux et le dessin haut en couleur que lui enseigne le peintre Eugène Devéria. Mais ses innovations audacieuses n’ont pas le don de plaire à la société rangée de la Restauration, qu’il a déjà plus envie de scandaliser que de servir. Aussi, à la veille de la révolution de Juillet, celui qui se fait désormais appeler Pétrus Borel se tourne-t-il vers le journalisme et les cercles littéraires, où il découvre la chaleureuse atmosphère du romantisme militant en affinité avec ses convictions d’artiste et d’ardent républicain. Il devient même assez vite l’« individualité pivotale » du « Petit Cénacle » qui regroupe, dans l’atelier du sculpteur Jehan du Seigneur, les artistes Jeunes-France du moment : P. O’Neddy, Bouchardy, A. Maquet, C. Nan-teuil, J. Vabre mais aussi Gautier et Nerval, autrement dit tous les fantassins de la bataille d’Hernani.

« donnant des cnt1ques théâtrales ou littéraires au Com­ merce et à l'Artiste.

Sans un sou, déçu et épuisé, il accepte en 1846 une place d'inspecteur à la colonisation en Algérie que lui obtiennent les bons offices de Gautier et de Mme de Girar­ din.

Pendant dix ans il s'efforcera, au risque de conflits graves avec ses supérieurs, de mener à bien sa mission sans rien renier de ses convictions politiques et de son idéal humanitaire.

Destitué en 1856, il se retire alors jusqu'à sa mort, par insolation, le 14 juillet 1859, dans Je castel gothique qu'il s'était fait construire dans les environs de Mostaganem.

Cette fin de« l'homme-loup >>, mourant fièrement au désert, était à 1' image de toute la destinée de celui en qui Paul Éluard verra par excellence l'homme « surréaliste dans la liberté >>.

Une poésie discordante « Ces Rhapsodies sont de la bave et de la scorie.

( ...

) C'est un tout, un ensemble, corrolairementjuxtaposé, de cris de douleur et de joie jetés au milieu d'une enfance rarement dissipée, souvent détournée et toujours miséra­ ble >> : ces propos de la Préface du seul recueil poétique de P.

Borel donnent bien le ton et la manière d'un ouvrage aussi inégal que déconcertant.

Collation de poè­ mes de jeunesse, de vers de circonstance, de satires poli­ tiques, le livre, malgré une métrique parfois vigoureuse et quelques réussites dans le registre de la couleur locale et des images réalistes, ne surmonte pas toujours les poncifs thématiques et les clichés formels d'un roman­ tisme à la mode.

Pourtant, par-delà les remakes du style troubadour ou les boursouflures de la rhétorique mili­ tante, perce ici et là l'originalité déchirée de celui qui affirmait : «Nul ne peut me dire son apprenti ».

Quand il s'abandonne à sa nature, sensible et chaleu­ reuse derrière la violence, Borel sait faire aussi bien que Chénier dans l'imprécation élégiaque, aussi bien que Vigny dans le chant lyrique d'une âme fière et solitaire.

Il y a même, dans ses meilleurs poèmes ( « Doléance >>, «Rêver ies>>, «Heur et malheur>>), l'expression d'un conflit entre les contraintes de la faim, de la souffrance ou de la mort et l'espérance d'un regain, d'un idéal et d'un salut, qui n'est pas sans annoncer les tensions de l'écriture baudelairienne ou rimbaldienne.

Enfin, l'authenticité de ces « rêveries du lycanthrope aux cou­ leurs du néant » (Clancier) tient peut-être surtout à leur inégalité même, aux distorsions entre elles, quand ce n'est pas à leur caractère chaotique.

Comme chez Forne­ ret, ce qui frappe en effet, dans la poésie de Borel, c'est sa difficulté d'être, sa réduction à n'être souvent, dans le tissu « sauvage » de ses vers, que la métaphore obsédante des rapports conflictuels que le créateur entretient, sur le mode de l'humour ou de la violence, avec un langage toujours impropre ou insuffisant.

Une prose cc frénétique >> Les sept nouvelles des « contes immoraux » de Cham­ pa vert témoignent des mêmes distorsions de l'écriture borélienne.

Sur Je plan thématique, une prolifération quasi sadienne ou maldororienne des motifs du crime et de la perversion, une exacerbation de la conscience des oppressions et des injustices, une extension des procédés de l'humour et de l'humour noir, un festival de dépayse­ ment spatio-temporel (des fioritures médiévales à l' exo­ tisme jamaïquain).

Sur le plan rhétorique, un goOt immodéré pour les camouflages (pseudonymes, cryptocitations des Rhapso­ dies), une langue épicée et baroque (néologismes, latinis­ mes, anglicismes), une complaisance dans la glose (épi­ graphes obscures, autocommentaires paradoxaux) et, comme dans Rhapsodies, un discours turbulent qui s'im- pose précisément par la discontinuité de ses séquences et l'émiettement de ses images.

C'est d'ailleurs la même singularité stylistique et rhé­ torique qui attirera l'attention de Breton sur Madame Putiphar (1839), roman rédigé par Borel en pleine détresse matérielle, dans lequel l'auteur de Nadja verra « un ouvrage traversé des plus grands souffles révolu­ tionnaires qui furent jamais>>, et ce, en raison de son écriture dont les procédés « tendent à provoquer chez le lecteur une résistance relative à l'égard de l'émotion même qu'on veut lui faire éprouver, résistance basée sur J'extrême singularisation de la forme et faute de laquelle le message par trop alarmant de l'auteur cesserait humai­ nement d'être perçu>>.

li est vrai que le «message>> de ce monumental roman noir, qui combine toutes les hai­ nes du violent bousingot (de l'aristocratie pervertie, de la bourgeoisie vénale et de la jeunesse dorée) avec les fantasmes de l'écrivain marginalisé, ne pouvait s'accom­ moder d'une paisible linéarité narrative.

Les amours contrariées d'un couple de jeunes et fidèles Irlandais, Deborah Cockermonth et Patrick Fitzwhyte, forment le cœur de l'intrigue d'un long récit débridé.

Mais elles ne sont que prétexte à une mise en pièces systématique et fantasmatique du despotisme dissolu et sanguinaire de Pharaon (alias Louis XV) et de Mme Putiphar (alias Antoinette Poisson, la Pompadour).

Ne reculant devant aucun des motifs spectaculaires du romantisme noir (cachots moisis, souterrains piranésiens, culs-de-basse­ fosse ensanglantés ...

), Borel met ainsi en place le réseau fatal de tous les pièges où viennent se prendre et se perdre ses héros jusqu'à ce qu'une révolution formidable et vengeresse les en délivre.

Mais trop tard pour eux, défigurés par Je tourment carcéral au point de ne plus se reconnaître et d'en mourir.

Cette fin cruelle de l'un des derniers romans noirs du siècle, et des plus audacieux par l'enjeu révolutionnaire des conflits individuels ou sociaux qu'il met en scène, sonna aussi le glas des espé­ rances d'un Pétrus Borel, indésirable dans le paysage littéraire bien-pensant de la monarchie de Juillet.

En attendant la réhabilitation des surréalistes de 1920, il ne restait que le désert pour ce «génie manqué plein d'ambition et de maladresse >> (Baudelaire).. »

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