BOREL Pétrus : sa vie et son oeuvre
Publié le 18/11/2018
Extrait du document
«
donnant
des cnt1ques théâtrales ou littéraires au Com
merce et à l'Artiste.
Sans un sou, déçu et épuisé, il accepte en 1846 une
place d'inspecteur à la colonisation en Algérie que lui
obtiennent les bons offices de Gautier et de Mme de Girar
din.
Pendant dix ans il s'efforcera, au risque de conflits
graves avec ses supérieurs, de mener à bien sa mission
sans rien renier de ses convictions politiques et de son
idéal humanitaire.
Destitué en 1856, il se retire alors
jusqu'à sa mort, par insolation, le 14 juillet 1859, dans
Je castel gothique qu'il s'était fait construire dans les
environs de Mostaganem.
Cette fin de« l'homme-loup >>,
mourant fièrement au désert, était à 1' image de toute la
destinée de celui en qui Paul Éluard verra par excellence
l'homme « surréaliste dans la liberté >>.
Une poésie discordante
« Ces Rhapsodies sont de la bave et de la scorie.
( ...
)
C'est un tout, un ensemble, corrolairementjuxtaposé, de
cris de douleur et de joie jetés au milieu d'une enfance
rarement dissipée, souvent détournée et toujours miséra
ble >> : ces propos de la Préface du seul recueil poétique
de P.
Borel donnent bien le ton et la manière d'un
ouvrage aussi inégal que déconcertant.
Collation de poè
mes de jeunesse, de vers de circonstance, de satires poli
tiques, le livre, malgré une métrique parfois vigoureuse
et quelques réussites dans le registre de la couleur locale
et des images réalistes, ne surmonte pas toujours les
poncifs thématiques et les clichés formels d'un roman
tisme à la mode.
Pourtant, par-delà les remakes du style
troubadour ou les boursouflures de la rhétorique mili
tante, perce ici et là l'originalité déchirée de celui qui
affirmait : «Nul ne peut me dire son apprenti ».
Quand il s'abandonne à sa nature, sensible et chaleu
reuse derrière la violence, Borel sait faire aussi bien
que Chénier dans l'imprécation élégiaque, aussi bien que
Vigny dans le chant lyrique d'une âme fière et solitaire.
Il y a même, dans ses meilleurs poèmes ( « Doléance >>,
«Rêver ies>>, «Heur et malheur>>), l'expression d'un
conflit entre les contraintes de la faim, de la souffrance
ou de la mort et l'espérance d'un regain, d'un idéal et
d'un salut, qui n'est pas sans annoncer les tensions de
l'écriture baudelairienne ou rimbaldienne.
Enfin,
l'authenticité de ces « rêveries du lycanthrope aux cou
leurs du néant » (Clancier) tient peut-être surtout à leur
inégalité même, aux distorsions entre elles, quand ce
n'est pas à leur caractère chaotique.
Comme chez Forne
ret, ce qui frappe en effet, dans la poésie de Borel, c'est
sa difficulté d'être, sa réduction à n'être souvent, dans le
tissu « sauvage » de ses vers, que la métaphore obsédante
des rapports conflictuels que le créateur entretient, sur le
mode de l'humour ou de la violence, avec un langage
toujours impropre ou insuffisant.
Une prose cc frénétique >>
Les sept nouvelles des « contes immoraux » de Cham
pa vert témoignent des mêmes distorsions de l'écriture
borélienne.
Sur Je plan thématique, une prolifération
quasi sadienne ou maldororienne des motifs du crime et
de la perversion, une exacerbation de la conscience des
oppressions et des injustices, une extension des procédés
de l'humour et de l'humour noir, un festival de dépayse
ment spatio-temporel (des fioritures médiévales à l' exo
tisme jamaïquain).
Sur le plan rhétorique, un goOt immodéré pour les
camouflages (pseudonymes, cryptocitations des Rhapso
dies), une langue épicée et baroque (néologismes, latinis
mes, anglicismes), une complaisance dans la glose (épi
graphes obscures, autocommentaires paradoxaux) et,
comme dans Rhapsodies, un discours turbulent qui s'im- pose
précisément par la discontinuité de ses séquences
et l'émiettement de ses images.
C'est d'ailleurs la même singularité stylistique et rhé
torique qui attirera l'attention de Breton sur Madame
Putiphar (1839), roman rédigé par Borel en pleine
détresse matérielle, dans lequel l'auteur de Nadja verra
« un ouvrage traversé des plus grands souffles révolu
tionnaires qui furent jamais>>, et ce, en raison de son
écriture dont les procédés « tendent à provoquer chez le
lecteur une résistance relative à l'égard de l'émotion
même qu'on veut lui faire éprouver, résistance basée sur
J'extrême singularisation de la forme et faute de laquelle
le message par trop alarmant de l'auteur cesserait humai
nement d'être perçu>>.
li est vrai que le «message>> de
ce monumental roman noir, qui combine toutes les hai
nes du violent bousingot (de l'aristocratie pervertie, de
la bourgeoisie vénale et de la jeunesse dorée) avec les
fantasmes de l'écrivain marginalisé, ne pouvait s'accom
moder d'une paisible linéarité narrative.
Les amours
contrariées d'un couple de jeunes et fidèles Irlandais,
Deborah Cockermonth et Patrick Fitzwhyte, forment le
cœur de l'intrigue d'un long récit débridé.
Mais elles ne
sont que prétexte à une mise en pièces systématique et
fantasmatique du despotisme dissolu et sanguinaire de
Pharaon (alias Louis XV) et de Mme Putiphar (alias
Antoinette Poisson, la Pompadour).
Ne reculant devant
aucun des motifs spectaculaires du romantisme noir
(cachots moisis, souterrains piranésiens, culs-de-basse
fosse ensanglantés ...
), Borel met ainsi en place le réseau
fatal de tous les pièges où viennent se prendre et se
perdre ses héros jusqu'à ce qu'une révolution formidable
et vengeresse les en délivre.
Mais trop tard pour eux,
défigurés par Je tourment carcéral au point de ne plus se
reconnaître et d'en mourir.
Cette fin cruelle de l'un des
derniers romans noirs du siècle, et des plus audacieux
par l'enjeu révolutionnaire des conflits individuels ou
sociaux qu'il met en scène, sonna aussi le glas des espé
rances d'un Pétrus Borel, indésirable dans le paysage
littéraire bien-pensant de la monarchie de Juillet.
En
attendant la réhabilitation des surréalistes de 1920, il
ne restait que le désert pour ce «génie manqué plein
d'ambition et de maladresse >> (Baudelaire)..
»
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