Étudiez la scène du balcon (acte Il, scène 1) - Shakespeare - Roméo et Juliette

« 40 l'i nfinie ence de l'obs tacle Le premier obstacle est sans conteste le no m:«[ ...

] abdique ton nom » (v.

77), supplie l'héroïne.

Même s'il est difficile de renoncer à ce qui fonde l'identité, Roméo sacrifie son nom originel ; Juliette, de son côté, est capable d'associer à la fam ille ennemie une épithète méliorative : «b eau Montaigu » (v.

141) Ils peuvent surseoir à la haine.

Le second obstacle est la présence de l'autre.

Désir ée, elle est aussi redoutée.

Le début de la scène est marqué par l'indécision des destinatair es: «C e n'est pas à moi qu'elle parle» (v 57).

Le discours est aussi monologue intérieur: il y a à la fois plaisir à dire et danger à dire.

La scène suit un crescendo, le don de soi submergeant l'a mour de soi.

Julie tte craint d'avoir donné une image négative d'elle-même.

Le dernier obstacle a trait à la possession : Roméo rêverait d'être «un gant enfermant cette main» (v.

57); Juliette, après avoir évoqué l'enfant tenant l'oiseau captif, a cette formule quasi racinienne : « [ ...

]j e te tuerais à fo rce de te chérir » (v.

227).

La violence mortifère de la passion reviendra lorsqu'elle priera la nuit, comme dans les mythes d'Osiris ou d'Or phée, de découper Roméo en« petites étoiles » (III, 2, v.

22).

Aragon parlera de la mise à mort au sein du couple.

L'obstacle perdure, nécessaire.

Ill.

Du rayo nnemen t à l'élé vation spirituelle de l'amo ur en termes ues Afin d'exprimer leur passion, les amants se réfèrent à toutes les composantes du monde naturel.

S'imposent déjà les images de la.

terre : Juliette s'interroge sur «c et amour en herbe» qui peut-être deviendra «fleur » (v.

164- 165).

Tentée par la dimension de l'infini, elle évoque la mer.

Mais, c'est le ciel qui suscite le plus grand nombre de métaphores, suggérant une perspective divine.

La transf ormation de Juliette en femme est traduite par un changement d'astre :jeune fille sous le signe de la lune, gardant la pureté d'une vestale, elle accède, amante, au rayonnement solaire Le coup de foudre est rendu par« l'é clair >> (v.

162), dont il a l'éclat et la brutalité.

Par la diversité des images, l'amour s'accorde à l'univ ers, il est en soi un monde.

l' inte rprétat ion de l'am our en termes mystiques « Ce fut comme une apparition », écrira Flaubert dans L'Éd ucation sentiment ale (18 59).

Le terme conviendrait à l'expérience d'enchantement que vit Roméo.

De par l'é blouissement que provoque l'« archange de lumière » (v.

69), l'amant est convié au partage mystique.

Le champ lexica:l du sacré accompagne la vision de l'être aimé.

La passion est ressentie comme une foi nouvelle : Roméo sera «baptisé » (v.

94), Juliette s'incline devant« le dieu qu'[ elle] idolâtre » (v.

158).

L'apothéose de la scène fa it penser au mariage mystique de quelque sainte.

Idée platonicienne, foi nouvelle, l'a mour est vécu comme une catharsis.

Cette scène qui se veut augurale, porte en elle la quintessence des amours tragi­ ques.

Impossibles, elles ne le sont pas seulement à cause des autres ou de la destinée.

Elles le sont intrinsèquement, parce que la distance que les amants voudraient abolir est en réalité le fondement de l'infini désir.

Le dispositif scénique du balcon, repris par Edmond Rostand dans Cyrano de Bergerac (1897), est comme l'allégorie de la cristallisation et de l'ascèse.. »