FRANCE Anatole : sa vie et son oeuvre
Publié le 06/12/2018
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FRANCE Anatole, pseudonyme d'Anatole François Thibault (1844-1924). En écrivant, dans le Jardin d’Épicure : « Ce serait un ouvrage bien intéressant que l’histoire des variations de la critique », Anatole France semble prophétiser son propre destin littéraire. « Mandarin », « maître officiel », « grande conscience universelle » au début du siècle, Anatole France est, de nos jours, bien oublié. Délaissé par la critique universitaire, réduit à la portion congrue dans les anthologies et les manuels scolaires, souvent absent des librairies et des bibliothèques, ce prix Nobel est passé, en à peine plus de cinquante ans, du pinacle aux oubliettes, en ne méritant vraiment ni cet excès d’honneur ni cette indignité.
« Mépriser les hommes avec tendresse... »
Anatole Thibault naît en 1844 dans une famille où, grâce à son père libraire, les livres et les lettres sont à l’honneur. Après des études sans éclat, il entre en
contact, en 1866, avec le groupe parnassien, par l’intermédiaire de l’éditeur Alphonse Lemerre. Parallèlement, il commence une féconde carrière de journaliste, accédant peu à peu à d’importants journaux, comme le Temps, le Globe et, à partir de 1880, l'Univers illustré. Il est alors un critique littéraire peu ouvert aux nouveautés puisque, préparant en 1876 le troisième recueil du Parnasse contemporain, il refuse des poèmes de Verlaine et de Mallarmé, ce dont il se repentira ultérieurement. Il connaît son premier grand succès en 1881, avec le Crime de Sylvestre Bonnard. Un moment attiré par le boulangisme, il vante la guerre dans un article retentissant de 1886, qui marque sa dernière manifestation politique de droite. Il ne cessera ensuite de nourrir des sentiments de plus en plus orientés à gauche, alors même qu’il fait chaque jour davantage figure d’auteur installé : liaison «officielle» avec Mme de Caillavet (1893); richesse considérable procurée par le contrat qu’il signe chez Calmann-Lévy (1895); élection à l’Académie française (1896). L’affaire Dreyfus lui fait définitivement choisir son camp, celui des dreyfusards d’abord, puis celui de toutes les injustices : prise de position en faveur des chrétiens d’Arménie persécutés (1897); protestation contre la répression tsariste de 1905; signature de manifestes divers... Sa carrière littéraire va conjointement de succès en succès, jusqu’à faire de lui un maître incontesté que couronne en 1921 l’attribution du prix Nobel. Ce pacifiste, sous la pression de l’opinion publique, finit pourtant par célébrer l’héroïsme des « Poilus ». Après la guerre, il ne cache pas sa sympathie pour la révolution russe, approuvée dès 1917, et pour le parti communiste, auquel toutefois il n’adhère pas vraiment. Son quatre-vingtième anniversaire est honoré par le monde entier, et il meurt six mois après.
L’ensemble de l’œuvre d’Anatole France tourne, sous des formes diverses, autour de trois grandes idées qui ne cessent de s’afficher dans ses romans historiques ou « contemporains », comme dans ses contes « philosophiques » : connaissance et admiration de la culture antique; héritage et prolongement des idéaux du xvmc siècle; pessimisme tempéré d’un « scepticisme charitable ». L’écriture rend compte de ces éléments par une volonté cultivée de clarté, où l’ironie signale la distance de celui qui ne saurait être dupe.
« ... Rechercher les vestiges de la sagesse antique »
Dans presque toutes ses œuvres, France, en humaniste, se plaît à évoquer d’une manière ou d’une autre l’Antiquité. Ce n’est pas simplement prétexte à reconstituer, avec un luxe de détails, toute une époque, c’est aussi et surtout l’occasion de méditer sur le caractère éphémère des choses humaines : monuments, dieux, religions, civilisations. Vanité des vanités : « Il leur en coûterait de reconnaître qu’ils n’ont que des vertus transitoires et des dieux caducs ». Mais ce que France retient tout de même, et qui fait l’objet de son admiration quelque peu nostalgique, c’est que, sous le règne de Dionysos, chez les Grecs, puis de son avatar Bacchus chez les Romains leurs successeurs, les hommes avaient inventé un art de vivre où pouvaient s’épanouir conjointement les plaisirs du corps et de l’esprit, de Vénus et des Muses, sous le regard de dieux « laborieux et bons citoyens ». « Le vrai séjour des dieux en ce monde est l’âme des hommes vertueux ». France, manifestement, aurait souhaité que l’humanité en restât à la morale d’Épicure, qu’il oppose au monde où il vit. Car il ne peut plus dire, comme Gallion dans Sur la pierre blanche, que « la justice et la raison gouvernent l’univers ».
« ... Le siècle de la philosophie »
La deuxième grande filiation dont se réclame France est le xviiie siècle de Voltaire et des encyclopédistes. L’espoir point avec la Renaissance, se développe avec le xviie siècle, où. « sans renier publiquement le dieu de leurs aïeux, les esprits se soumirent à ses deux mortelles ennemies, la Science et la Raison », et s’épanouit avec le siècle des Philosophes : le scepticisme devint « aigu », et « les métaphysiciens eux-mêmes parlaient clairement ». S’opposant à l’idée même de religion révélée, France, profondément anticlérical, exècre le fanatisme politique et religieux. Il défend une morale naturelle qui rejette toute forme de vertu obtenue par mortification ou par expiation d’un prétendu péché originel. Aucun domaine, profane ou sacré, n’échappe à l’esprit critique, pas même la justice, présentée, de manière presque obsessionnelle, comme un appareil tournant à vide, pour
sauvegarder les privilèges acquis et broyer les individus au nom de valeurs aussi mythiques qu’éphémères.
« Un scepticisme charitable »
Mais il va plus loin. Comme Voltaire, il pense que « la vie d’un peuple n’est qu’une suite de misères, de crimes et de folies » (cf. l’antisémitisme, l’exploitation du prolétariat). Cependant, partageant l’espoir scientiste du xixe siècle, il estime que « les hommes sont moins féroces quand ils sont moins misérables, que les progrès de l’industrie déterminent à la longue quelque adoucissement dans les mœurs », une telle évolution devant être parachevée par la bienfaisante instauration du collectivisme.
« Un scepticisme charitable »
Mais il va plus loin. Comme Voltaire, il pense que « la vie d’un peuple n’est qu’une suite de misères, de crimes et de folies » (cf. l’antisémitisme, l’exploitation du prolétariat). Cependant, partageant l’espoir scientiste du xixe siècle, il estime que « les hommes sont moins féroces quand ils sont moins misérables, que les progrès de l’industrie déterminent à la longue quelque adoucissement dans les mœurs », une telle évolution devant être parachevée par la bienfaisante instauration du collectivisme. Cela va, paradoxalement, de pair avec une conception cyclique de l’histoire, toute évolution ramenant à terme au point de départ, à la source de toutes les erreurs... qui recommenceront « sans fin ». Il faut donc faire preuve de tolérance, manifester envers ses semblables une indulgence sans illusion, en évitant de s’enfermer dans des carcans idéologiques qui imposent leurs éthiques rigides « comme les grands systèmes de philosophie, qui ne tiennent que par le mortier de la sophistique ».
« Le mainteneur de la langue française » (Maurras)
Paul Valéry reproche à France le style trop clair d’une œuvre qui n’offre au lecteur « nulle résistance ». De fait, le critique littéraire du Temps semble bien éloigné des meilleures recherches de son époque, dont il ne prévoit la postérité qu’avec amertume : « L’humanité ne s’attache guère avec passion aux œuvres d’art et de poésie dont quelques parties sont obscures et susceptibles d’interprétations diverses ».
Voilà, en une période où l’on considère les textes comme des réseaux de signes polysémiques, qui peut expliquer la désaffection dont souffre Anatole France. Il recherche en effet la limpidité d’un style « semblable à la clarté blanche ». Cette transparence vaut aussi pour la composition, car la simplicité « résulte uniquement du bon ordre et de l’économie souveraine des parties du discours ». France se méfie donc de tout renouvellement des formes d’expression, car « tout ce qui ne vaut que par la nouveauté du tour vieillit vite ».
Cette volonté de clarté, ennemie de tous les jargons, est évidemment d’un « honnête homme » s’adressant à d’autres « honnêtes gens », dans le plus pur esprit classique. C’est pourquoi France reproduit, dans presque toutes ses œuvres, la séquence de la conversation de salon. Le porte-parole de l’auteur s’adonne à l’aimable causerie d’un sage qui refuse le pédantisme. Ainsi s’expliquent aussi l’utilisation du dialogue voltairien (le Jardin d’Épicure) ou socratique (Thaïs) et, surtout, le constant recours aux « récits profitables ». Parfois autonomes (Crainquebille), ils peuvent s’emboîter dans d’autres récits, recevant alors des statuts divers : moyen d’exposition (le Lys rouge); peinture indirecte d’un personnage (les Opinions de Jérôme Coignard); illustration d’idées abstraites (le Jardin d’Épicure).
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(1896).
L'a ff aire Dreyfus [vo ir AFFAIRE DREYFUS (les écri
vains et l')) lui fait définitivement choisir son camp,
celui des dreyfusards d'abord, puis ce lu i de toutes les
i nj ust ices : prise de positi on en faveur des chrétiens
d'Arménie persé cutés (1897); prote sta tio n contre la
ré pre ssi on tsariste de 1905; sig nat ure de manifestes
divers ...
Sa carrière littéraire va co nj o in te m ent de succès
en succès, ju sq u 'à faire de lu i un maitre incontesté que
couronne en 1921 l'auribution du prix NobeL Ce paci
fiste, sous la pression de l' op ini on publique, finit pour
tant par célébrer l'héroïsme des «Poilus».
Après la
guerre, il ne cache pas sa sympathie pour la révolution
rus se, ap prouv ée dès 1917, et pour le parti comm uniste,
a uqu el toutefois i 1 n'adhère pas vraiment.
Son quatre
v in g tiè me anniversaire est honoré par le monde entier,
et il meurt six mois après.
L'ensemble de l'œuvre d'Anatole France tourne, sous
des formes diverses, autour de trois gra nde s idées qui
ne cesse nt de s'afficher dans ses romans his to riq ues ou
« contemporains », comme dans se s c ontes « philosophi
ques » : connaissance et admiration de la culture an ti que ;
héritage et prolong em ent des idéaux du xvm• siècle; pes
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L'écri
ture rend compte de ces éléments par une volonté culti
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ne saurait être dup e.
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Dans presque toutes ses œuvres.
France, en huma
niste, se plaît à évoquer d'une man ière ou d 'un e a utre
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aussi et surt out 1 ' oc casio n de méditer sur le caractère
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de même, et qu i fa it l'ob jet de son admiration qu el que
peu nosta lgiqu(:, c'est que, sous le règne de Dio nysos,
chez les Grecs, puis de son avatar Bacchus chez les
Romains leurs successeurs, les hommes avaient inventé
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les plaisirs du corps et de l'es prit, de Vénus et des Muses,
sous le regard de dieux « laborieux et bons citoyens ».
« Le vrai séjour des dieux en ce monde est 1' âme des
hommes vertueux ».
France, manifestement, aurait sou
haité que l'humanité en restât à la m oral e d'É picur e,
qu'il oppose au monde où il vit.
Car il ne peut plus
dire, comme Ga Ilion dans Sur la pierre blanche, que« la
justice et la raison gouvernent l'uni vers ».
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S'opposant à l'id ée même de religion révélée,
France, profondément anticlérical, exècre le fanatisme
politique et religie ux.
JI défend une morale naturelle qui
re jette toute forme de vertu obtenue par mortification
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domaine, profane ou sac ré, n'éc happ e à l'esprit critiq ue,
pas même la justic e, présentée, de manière presque
obsessionnelle, comme un appareil tournant à vide, pour sauvegarder
les privilèges acquis et broyer les individus
au nom de valeurs aussi mythiques qu'éphémère s.
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Voilà, en une pério de où l'on considère les textes
comme des réseaux de signes polysémiques, qui peut
expliquer la désaffection dont souffre Anatole France.
Il
r e c her che en effet la limpi dité d'un style «semblable à
la clarté blanche».
Cette transparence vaut aussi pour la
co mpo siti on, car la simplicité «ré su lte uniqu eme nt du
bon ordre et de l'économie souveraine des part ie s du
discours ».
France se méfie donc de tout renouvellement
des formes d'expression, car « tout ce qui ne vaut que
par la nouveauté du tour vieillit vite».
Cette volonté de clarté, ennemie de tous les jar gon s,
est évidemment d'un «honnête homme» s'adre ssant à
d' autres « honnêtes gens », dans le plus pur espri t classi
que.
C'est pourquoi France reproduit, dans presque tou
tes ses œuvres, la séquence de la conversation de salon.
Le porte-parole de l'auteur s'adonne à l'aimable causerie
d'un sage qui refuse le pédantisme.
Ainsi s'expliq uen t
aus si l' u ti lis ation du dial og ue voltairien (le Jardin d'Épi
cure) ou socra tique (Thaïs) et, surtout, le constant
recours aux « récits profi tables».
Parfois autonomes
(Crainquebille), ils peuvent s'emboîter dans d'autres
récits, rece va nt alors des statuts divers : moyen d'exposi
tion (le Lys rouge); peinture indirecte d'un personnage
(les Opinions de Jérôm ,e Coignard); illustration d'idées
abstraites (le Jardin d'Epicure).
Ce dernier aspect est capital, car la transparence de la
la ngu e trouve sa justifi cation dans le recours au conte
philosophique.
Le styl e clair doit permettre d'accéder à
une signification seconde.
La plupart des « récits profita
bles » sont donc allé go riques : Putois dénonc e certaines
créations mythiques, Riquet nou s donne une leçon de
relativisme, et l'histoire d'H.
Gillet nous montre la
cruauté de la justic e.
Mais ces allégories ne saur aient
être hermétiques : comme Sylvestre Bonnard dans son.
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