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JODELLE Étienne : sa vie et son oeuvre

Publié le 30/12/2018

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jodelle
JODELLE Étienne (15327-1573). Entre du Bellay et d’Aubigné — entre la hauteur et la violence —, Jodelle, qui participe des deux, a difficilement trouvé place devant la postérité; ce n’était pas faute d’avoir reçu leur appui enthousiaste, pourtant; mais la gloire qui entoura ses débuts s’achève en exécration. Déjà mal accepté de son époque, Jodelle ne trouvera grâce qu’à la nôtre, qui aime justement en lui le caractère impulsif, fragmentaire, inachevé de ses ébauches — de ses chefs-d’œuvre.
« Pourquoy, pourquoy, fortune, O fortune aux yeux clos! Es-tu tant importune? »
 
Ces vers de Cléopâtre captive, l’œuvre la plus vivement saluée, peut-être, de tout le siècle, semblent en pleine gloire présager ses malheurs.
 
Parisien — il se glorifiera toujours de cette origine, assez mal représentée dans le groupe de la Pléiade, auquel il appartient —, Jodelle est né dans une famille bourgeoise; d’une très relative aisance, le poète prend le titre de sieur du Lymodin, du nom d’une terre qu’il possède au sud de Paris. Sa mince fortune va s’émietter tout au long de sa vie. Un oncle maternel possède une riche bibliothèque dans laquelle Jodelle a dû puiser tout jeune; et il semble que dès l’âge de quatorze ans, il ait composé en l’honneur de Marot; suivront — au dire de son futur éditeur, Charles de La Mothe — des « sonnets, odes et charontides », en 1549. Alors commence une vie mystérieuse, contradictoire, louée et maudite, dont les deux extrêmes figurent peut-être dans le succès provocant de Cléopâtre (1553) et dans le premier échec — amplifié avec fureur dans le propre récit qu’il en fait — de la Fête de l'Hôtel de Ville, en 1558. Tout est paradoxal chez Jodelle : proche des milieux réformés par l'intermédiaire de Guillaume Guéroult (à Lyon, vers 1551-1552), il écrira, à partir de 1567, des textes d’une très grande violence contre les protestants et Michel de l’Hôpital; quoiqu’il ait approuvé la Saint-Barthélemy, il trouvera en d’Aubigné son meilleur défenseur posthume. Tenté au moins à deux reprises par une carrière militaire (en Italie, vers 1551, auprès du lieutenant général du roi à Turin, Charles de Cossé? puis en 1559), il ne rêve que de la gloire poétique la plus austère et d’une vie solitaire qu’il mènerait en vagabond dans la campagne. S’étant laissé aduler en 1553 par la Cour, les nouveaux poètes du cercle de Jean Brinon, le groupe de Boncourt et celui de Coqueret (Muret, Belleau, Denisot, Fontaine; puis Baïf, Ronsard, Du Bellay, etc.), il ne trouve plus le repos qu’auprès des amis les plus chers, Claude de Kerquefi-nen et le comte de Dammartin, pour lesquels il compose de ses plus beaux vers, français et latins. Condamné à mort vers 1564 — pour des raisons demeurées mystérieuses —, il réapparaît à Paris trois ans plus tard, dans le salon le plus élégant et le plus cultivé, celui de Claude-Catherine, maréchale de Retz, et lui, qui n’a guère aimé les femmes, dédiera à celle-là de magnifiques poèmes d’amour refusé. Son comportement à l’égard de la Cour, ses ambitions et ses réussites dans ce milieu reflètent son instabilité; assez heureux après Cléopâtre pour faire figure, aux yeux des échevins parisiens, de « poète du roi », il gâche tout en 1558, par l’horreur qu’il éprouve de son échec; mais de nombreuses pièces offertes à Catherine de Médicis et à Charles IX, un appui constant à leur politique lui valent en 1571 de participer, avec son Hyménée, aux fêtes du mariage royal. Richement doté en 1572, il meurt un an après, dans la misère. Son protecteur
 
le plus fidèle fut Marguerite de France, mais elle a quitté Paris pour la Savoie en 1559...
 
Le Recueil des Inscriptions nous révélera assez de quelle « fureur » fut capable celui que Du Bellay appela, avec la plus grande admiration, un « Démon », et en qui Ronsard a d’abord salué le premier poète tragique français.
 
Désordres
 
Tels qu’ils nous parviennent, les fragments de son œuvre semblent échappés d’un désastre. Cette partie visible est faite de pièces liminaires disséminées dans les œuvres d’autres écrivains, de vastes poèmes épiques inachevés, comme la haute dissertation morale et politique des Discours de Jules César avant le passage du Rubicon (à la fin des 2 266 vers qui nous restent, César n’a pas encore parlé...) ou les strophes de l’Ode de la chasse\\ des dernières envolées complexes Contre la Rière Vénus (tenant de Platon et de Dante); des poèmes d’amour écrits pour l’album de la maréchale de Retz, et leur contrepartie impatiente des refus; de magnifiques poèmes d’amitié, qui disent la confiance et la sérénité devant un monde trop injuste; des priapées grotesques, etc. Dominent la seule comédie et les deux tragédies sauvées, et le Recueil des Inscriptions.
 
Consubstantiellement désorganisée, inachevée, maudite par son auteur « si fasché, si despit, si resveur et si pesant que tous les instruments de [ses] malheurs, qui sont les livres, les papiers et les plumes, [lui] puoient de telle sorte, que peu s’en fallut qu’[il] n’en fît un beau petit sacrifice dans son feu », l’œuvre fut encore plus saccagée par ses éditeurs, comme en témoigne d’Aubigné :
 
L'un en tient un lopin dont il bave sans cesse,
 
 L'autre en tient un cayer enfermé dans l'estuy.
 
Un autre à qui l'argent ne feroit tant d'ennuy
 
Le vent à beaux testons pour mettre sur la presse.
 
On n’a même pas respecté l’ordre qu’il voulait pour le Recueil, assez clair pourtant sur la manière dont Jodelle concevait son œuvre : composite, encadrant les vers de sa « mascarade » de poèmes à son livre, de récits autobiographiques, de devises latines et de vers latins, dédiés à son ami Kerquefinen, pour conclure sur un « chapitre » A sa Muse, dont la vigueur, le mépris conjoint pour la Cour et le vulgaire et l’idéal de vertu solitaire cimentent l’ensemble du recueil.
 
En fait, l’idée de Jodelle est que dans la multiplicité des projets réside la profondeur de l’atteinte. S’il s’est voulu « de tous mestiers », architecte (comme à Ver-neuil), peintre, brodeur, chanteur, ou poète, c’est que, de ce désordre excessif, de ce bricolage génial doit naître l’œuvre totale, le grand spectacle (dont il ne pouvait que pressentir le développement : l’opéra) qui réunit musique, paroles et décor dans un propos hautain, politique et moral. Alors, tout est littéralement « en jeu », comme il l’explique dans l’Épithalame de Marguerite de France, extravagant à force d’imagination concrète. Et l’on comprend qu’il ait cherché à séduire le grand Roland de Lassus.
 
« Jamais l'Opinion ne sera mon collier »
 
Un tel idéal, qui ne supporte pas les échecs, pourtant inéluctables du fait de l’originalité d’un tel projet, se heurte cruellement à la mentalité « mécanique » des bourgeois qui le paient ou à la versatilité d’une Cour plus occupée d’apparence que de vertu :

jodelle

« Tu sçais, ô vaine Muse, ô Muse solitaire Maintenant avec moy, que ton chant qui n'a rien Du vulgaire, ne plaist non plus qu'u n ch ant vu lg ai re.

de malheur ou trop de capacité >> sont une seule et même chose à ses yeux.

Et d'Aubigné dit encore son impuis­ sance à l'égaler dans la violence : Malgré tous les soutiens, malgré l'enthousiasme qu'il fait partager -ou à cause de lui -, Jodelle peu à peu. »

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