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JOURNAL INTIME (Histoire de la littérature)

Publié le 31/12/2018

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histoire

JOURNAL INTIME. La locution «journal intime» apparaît au xixe siècle pour désigner la relation, au jour le jour, d'événements ou de pensées personnels, privés, non destinés à la publication. « Journal » est d'abord adjectif (ce qu’il est resté dans l’expression « livre journal », registre où un commerçant inscrit journellement achats et ventes, dépenses et recettes); il se substantive au xive siècle pour signifier le cahier où l'on dépose quotidiennement des notes (le sens de « périodique » n'est attesté qu'à partir du xvne siècle). L’anglais, parallèlement, a dérivé de day («jour »), diary («journal »). « Intime » est emprunté, au xivc siècle, au latin intimus, superlatif archaïque de intus (« en dedans ») : il dénote.

 

avec de fortes connotations affectives, ce qui est essentiel et intérieur à la fois. Ainsi, dans «journal intime », la concentration profonde de l’adjectif balance et compense la périodicité mécanique impliquée par le substantif.

 

Genre littéraire mineur, le journal intime fascine et séduit : il assure entre l’écrivain et son public un tête-à-tête, une conversation calme et suggestive, une sorte d’amicale complicité. Beaucoup attachent plus de prix à ces plaisirs méditatifs qu’à la jouissance d'œuvres littéraires closes et bien finies.

 

« Je suis moi-même la matière de mon livre »

 

La déclaration célèbre de Montaigne, pour peu qu’on y ajoute l’indication d'une finalité (« pour moi-même »), définit bien l'esprit du journal intime, la permanence d'une aspiration à la confidence; elle montre aussi qu’un même projet peut se concrétiser en formes très différentes; Sénèque recommande, avant les directeurs et les moralistes chrétiens, la pratique de l’examen de conscience : nul écrivain n’organise ni ne conserve ses réflexions et ses observations quotidiennes. Jusqu’au xixe siècle, l’autobiographie est infiniment plus rare que les Mémoires des observateurs ou des acteurs de l'histoire : les Confessions de saint Augustin ou de Jean-Jacques Rousseau élaborent en un récit linéaire des souvenirs choisis et un propos religieux, apologétique ou éthique; la narration tend à s’y charger d'embryons d’essais. Inversement, les Essais de Montaigne adoptent d’emblée l'ordre libre et brisé du discours sur toutes sortes de sujets, mais ils émiettent, au fil des pages, les aperçus qui révèlent la vie et l’évolution de l’homme. Le roman personnel — ou autobiographique — transforme l’expérience vécue en une structure littéraire qui impose ses exigences à la psychologie des personnages et à l’intrigue : précaution inspirée par la prudence ou la pudeur, résultat d’une séduction du romanesque, la fiction s’y mêle au vrai, et la référence au réel y devient accessoire. Dans les correspondances, l'autre, le destinataire, est trop impliqué pour ne pas diriger et gauchir les épanchements déjà limités par les normes sociales.

 

L'intimité peut donc s’exhaler en dehors du journal; et les recueils de notes au jour le jour ne sont pas tous « intimes » : aide-mémoire, agendas, mémentos ne servent souvent qu’à l'enregistrement de rendez-vous, à la fixation de repères temporels et, s’ils se développent, au témoignage sur l’actualité; le fameux « Bourgeois de Paris » oblitère à ce point toute subjectivité, dans son Journal de 1405 à 1449, qu’il est impossible de l’identifier, et mainte chronique quotidienne, du xvie au xixe siècle, atteste la même et volontaire réduction de la conscience percevante à la fonction de miroir : ainsi le Journal des Goncourt, piquante enfilade d’échos de la vie parisienne et magasin d’anecdotes ou de croquis préliminaires aux œuvres publiées. Mais on touche ici à un second type de journal : cahiers, carnets, où s’accumulent notes de lectures, brouillons, esquisses, qui sont l’échafaudage, le carénage ou l'alluvion d’une entreprise artistique ou d'une vie consacrée à la création. Paul Valéry — lui-même auteur de Cahiers plus riches en réflexions sur le fonctionnement de la pensée qu’en effusions — écrit, à propos des Carnets de Léonard de Vinci : « Ce trésor de confidences intellectuelles ne nous livre rien des sentiments personnels, rien des expériences affectives de l’auteur ». Les Cahiers de Montesquieu, les Cahiers de jeunesse de Renan entretiennent le même rapport de subordination à une œuvre : ils en sont l’ombre, et ils la désignent comme fin objective.

 

Ainsi le journal intime se caractérise à la fois par une forme — la fragmentation de l’énoncé par journée, l’« autobiographie au jour le jour » (Goncourt) —, par un contenu — le « moi du dedans », par opposition au « moi du dehors », pour reprendre l’expression de Maurice Barrés — et par un but : la connaissance de soi au seul service de la conscience de soi. Mais il reste difficile de trouver des journaux intimes à l’état pur, sans historiettes, portraits, transcriptions de dialogues, esquisses de descriptions; et les « blocs-notes » les plus objectifs (par exemple, ceux où François Mauriac commentait l’actualité) se doivent, aujourd’hui, de faire une place à la chimie de la personne, au foyer où se compose une vision du monde.

 

L'émergence du genre

 

Le journal intime apparaît à la fin du xvme siècle et il se constitue comme genre au cours du siècle suivant : à la fracture qui sépare la royauté théocratique de la démocratie, la société communautaire de l’individualisme libéral, les normes littéraires néo-classiques de la relative anomie qu’instaure le romantisme. Les anciennes procédures de communication se dévaluent, en même temps que la place de chaque individu dans une pyramide sociale, religieuse ou culturelle devient problématique,

histoire

« un contenu -le «moi du dedans», par opposition au «moi du dehors», pour reprendre l'expression de Mau­ rice Barrès -et par un but : la connaissance de soi au seul service de la conscience de soi.

Mais il reste difficile de trouver des journaux intimes à l'état pur, sans histo­ riettes, portraits, transcriptions de dialogues, esquisses de descriplions; et les « blocs-notes » les plus objectifs (par exemple, ceux où François Mauriac commentait l'actualité) se doivent, aujourd'hui, de faire une place à la chimie de la personne, au foyer où se compose une vision du monde.

L'émergence du genre Le journal intime apparaît à la fin du XVIIf siècle et il se constitue comme genre au cours du siècle suivant : à la fracture qui sépare la royauté théocratique de la démocratie, la société communautaire de l'individua­ lisme libéral, les normes littéraires néo-classiques de la relative anomie qu'instaure le romantisme.

Les ancien­ nes procédures de communication se dévaluent, en même temps que la place de chaque individu dans une pyramide sociale, religieuse ou culturelle devient problématique, et sujette à révision : la confession sacramentale auprès du directeur de conscience, la convivialité profession­ nelle (au sein des villages ou des corporations), les règles du bien-dire s'effacent; livrée à elle-même, solitaire dans une foule abstraite, la personne se constitue en sanc­ tuaire; elle résiste ainsi aux agressions d'une actualité brutale.

Michelet, par exemple, en 1834, veut, «dans le château de l'âme, se réserver une enceinte au milieu du vacarme ».

Un sentiment d'aliénation, presque de perdi­ tion, impose cette retraite vers les sources du moi, quête d'une identification qui transcende les déterminations sociales; il s'accorde aux philosophies en vogue, issues de l'empirisme de Locke -le sensualisme des« Idéo lo ­ gues>> (Cabanis, Des,tutt de Tracy), le subjectivisme impressionniste des Ecossais (Dugald Stewart, Adam Smith) -, pour fonder sur l'introspection une image nouvelle de l'unicité individuelle; il inspire bien d'autres traits de la culture romantique : la passion de la singula­ rité, la recherche d'une authenticité spirituelle, le goût des existences concrètes que manifeste la prolifération des biographies.

Les premiers «intimistes» (ou «journal-intimistes», ou encore « diaristes » ), nés au xvut• siècle, comme Jou­ bert (1754-1824), Maine de Biran (1766-1824), Benja­ min Constant ( 1767-1830), Stendhal (J 783-1 842), tien­ nent un journal strictement privé, sans considération de modèles ou de forme, sans aucune idée de publication.

Leur rationalisme, issu des Lumières, limite l'effusion sentimentale qui se développe dans les journaux de la première génération romantique (Vigny, Michelet, Mau­ rice de Guérin).

En même temps, dès la fin des années 1820, Je journal commence d'être pensé comme une structure littéraire utilisable: Sainte-Beuve (qui rédigera bientôt de fameux cahiers, Mes poisons [posth., 1926]) se donne, en 1829, comme l'« éditeur» d'un jeune écri­ vain qui vient de mourir, Joseph Delorme, et illustre la vie et les pensées de ce poète en livrant au public de prétendus extraits de son journal; procédé vite imité par des littérateurs de moins haute volée.

A partir de 1845 sont publiés les premiers extraits significatifs de cahiers intimes : ceux de Maine de Biran, de Joubert, de Maurice et Eugénie de Guérin.

Les parutions, d'abord fragmentai­ res, circonspectes, parfois inexactes, n'en fournissent pas moins des exemples et des défis : elles provoquent, vers 1850-1860, une évolution du concept même de journal intime; tout en gardant son rôle antérieur de «secrétaire particulier», celui-ci devient de plus en plus une œuvre qu'il faut soigner, puisqu'elle risque d'être divulguée : il en va ainsi des journaux de Barrès, de Jules Renard ou 1218 de Marie Bashkirtseff.

Enfin l'abondance des publica­ tions de textes complets et annotés, l'effondrement des anciens tabous qui protégeaient la vie sexuelle ou les fantasmes les plus clandestins ouvrent, après la Grande Guerre, une troisième époque: le journal est définitive­ ment conçu comme une création destinée aux lecteurs que l'œuvre « ordinaire» a déjà séduits, comme un der­ nier présent, le plus précieux peut-être; la publication en est de moins en moins différée; 1' auteur en procure des extraits, des échantillons, des versions expurgées (ainsi font Charles Du Bos, Gide ou Léautaud).

Parfois, l'écri­ vain, par testament, en ordonne l'immédiate et totale parution au lendemain de son décès, parfois il le livre très régulièrement, comme Julien Green.

«Votre journal est une œuvre, est votre œuvre>>, disait, en 1918, André Gide à Charles Du Bos.

Le genre s'est alors tout à fait constitué; il est devenu un procédé à la disposition des romanciers (au même titre que J'échange de lettres): les héros de Georges Duhamel, Salavin ou Laurent Pasquier, le Jallez des Hommes de bonne volonté de Jules Romains, le Roquentin de la Nausée de Sartre tiennent leur journal.

Cela permet le jaillissement de la subjectivité au milieu d'une narration objective : le cours trop régulier du récit se rompt, cède la place à du fragment, de l'inachevé, qui nous promet­ tent davantage, et qui sont à l'ordre rationnel du récit ce que la déstructuration cubiste est à la vision perspective classique.

Cette révolution esthétique amorcée dès l'aube du romantisme ne s'est pas accomplie sans contra­ dictions : si le journal intime tend à être de plus en plus intime et de moins en moins journal (au sens d'enre­ gistrement journalier), c'est qu'il recherche un contenu spécifique et une organisation profonde qui échappent à l'atomisation des éphémérides; c'est que la volonté d'architecture et d'élaboration artistique, liée à la pers­ pective de la divulgation, l'emporte sur le simple repé­ rage du temps vécu -jusqu'au paradoxe d'un journal qui brouille toute chronologie linéaire, comme le Temps immobile de Claude Mauriac.

cc 0 mon cahier! mon doux ami! n Cette apostrophe de Maurice de Guérin dit assez le rapport affectif que le « diariste » entretient avec le tré­ sor sans cesse accru de sa mémoire; l'adresse secrète du moi au moi n'est pas une manie anodine, mais un acte à la fois hédoniste et angoissant.

Les moralistes ou les politiques ne s'y sont pas trompés, qui condamnent ces délectations moroses : « Le moi est haïssable >>, écrit un Pascal qui conserve, cousu sur lui, le « Mémorial » qui éternise le moment le plus fulgurant de sa vie religieuse.

S'il se trouve des psychologues ou des hommes d'Eglise pour tenter de récupérer une confession laïcisée, la plu­ part réprouvent un culte du moi stérile qui détourne de Dieu et de 1 'action, qui enferme l'esprit dans une solitude desséchante, rétrécie, malsaine, qui émousse bientôt une attention rabaissée au microscopique, et finit par débili­ ter ou dissoudre la personnalité.

Ainsi Georges Duhamel voit dans cette pratique égotiste et narcissique « défor­ mations >> et « perversions>> ; Léon Brunschvicg stigma­ tise «l'infantilisme morbide, qui s'attache pour lui­ même au processus de la vie intérieure»; Paul Valéry, soucieux d'idées et de raison, s'écrie: «Que me fait ma biographie? Et que me font mes jours écoulés? » Sans doute une pleine ouverture aux joies du monde, une communion avec cet univers que Platon nommait « un dieu bienheureux >> excluent-elles les plaisirs moro­ ses du journal intime, qui se développent, au contraire, dans une atmosphère de culpabilité et d'individualisme exacerbé.

Le christianisme, on l'a souvent remarqué, joue un rôle essentiel pour former une conception de la personnalité qui exige une culture du divin et une. »

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