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Lettres portugaises de Guilleragues

Publié le 11/09/2018

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mêmes séries lexicales reviennent sans cesse: « voir, connaître, absence, désespoir, folle, » traduisant ainsi un ressassement tragique. Pourtant, à la différence d’une véritable tragédie, les lettres portugaises ne présentent aucune intervention extérieur et il ne s’y passe proprement rien. 
Toutefois, il y a bien une évolution du personnage, un dynamisme réel et une unité de l’œuvre. A ce propos, Kafka s’exprimera en disant:  « ces lettres comme vomies dans une phrase unique. » Si la lettre est destinée à palier une absence et si elle conserve toujours les marques formelles d’une communication à autrui, elle n’en est pas moins parfois un acte solitaire. Tel est le cas des lettres de la religieuse portugaise, qui s’apparentent alors au journalintime. Interprétées ainsi, la figure de l’amant se réduit à n’être plus que le prétexte servant une écriture réflexive. L’essentiel ne réside plus dans l’autre mais dans le fait de se libérer intérieurement, car malgré la passion qu’elle éprouve, Mariane est entièrement tournée vers elle même. En effet, c’est à sa propre personne qu’elle adresse des reproches, qu’elle s’humilie: « Je n’ai pas assez d’égards pour vous […] pauvre insensée que je suis. Finalement, Mariane est plus attachée à sa passion, seule chose à travers laquelle elle existe qu’à l’être aimé, lui-même. Ces lettres qui permettent une introspection, s’apparentent de cette manière fortement au journal intime.

Nous pouvons donc constater que la création, issue du dépassement
de la passion nous donne à voir un genre très particulier; Cette œuvre qui, à première vue, se présente comme un recueil de lettres authentiques, est en fait une savante alchimie de plusieurs genres : tout d’abord, celui du roman épistolaire, puisque l’intrigue est transmise au lecteur, uniquement par les lettres de la religieuse, puis celui de la tragédie classique, car l’on y voit l’héroïne lutter contre sa passion, et enfin un journal intime, par l’introspection qu’elle y fait. 



Tout au long de ces cinq lettres, le lecteur se trouve plongé dans l’intimité la plus profonde de la religieuse portugaise, il pénètre au cœurde ses pensées et découvre ses sentiments les plus secrets. De cette façon, il prend une place de voyeur. Ainsi, au delà des dégâts que peut engendrer une passion aussi intense, que celle vécue par la jeune femme, c’est surtout à un parcours psychologique, intérieur et personnel auquel assiste le lecteur. En effet, il est clair, que « la » Mariane, désespérée et aveuglée par la passion, que l’on découvre dans la première lettre est à l’opposé de « la » Mariane résolue et lucide que l’on quitte, à l’issue de la cinquième. Cette transformation inattendue, comme une émancipation, est le fruit d’un long cheminement intérieur généré par la passion 
elle-même. En effet, cette réflexion intense, aura guidée la religieuse vers une issue plus sage que celle de la mort: l’issue de la raison. 
En fait, c’est de cette même passion, tyrannique et asservissante, face à laquelle la jeune femme était si faible, qu’elle a su, finalement, tirer sa force. Mariane sort grandie, de cette lutte intérieure, elle est plus modérée dans ses propos et semble avoir commencé le deuil de cet amour oblatif, à sens unique. Ainsi, l’on peut terminer avec une citation de Vauvenargues, sur les passions en général qui ,toutefois, pourrait parfaitement illustrer le chemin psychique parcouru par la religieuse portugaise: « Ce sont les passions qui ont appris aux hommes(ici, à la femme) la raison ».

« lui appartient et ira même jusqu’à l’accentuer.

Mariane, guidée par une passion absolue et déstabilisée par un esprit tourmenté, dans lequel mille sentiments contradictoires s’affrontent, entraîne la jeune nonne à accomplir une vocation de «martyre de l’amour».

En effet, certaines de ses paroles sonnent comme une volonté de sacrifice: « je me flattais de sentir que je mourais d’amour… je vous ai destiné ma vie…et je sens quelques plaisirs en vous la sacrifiant.

» Ainsi en se constituant martyre, Mariane témoigne (tel est le sens étymologique du mot « martyre ») de sa fidélité aux promesses de cet « amour » (qu’elle a commencé par apostropher dans l‘incipit)De plus, à travers cette phrase latine: non pompa sed causa martyrium fit (ce n’est pas seulement la peine(le châtiment)mais la cause qui fait le martyre), l’on comprend que, par cet acte, la jeune femme donne un réel sens à son amour et l’on peut même le voir comme un acte de foi, de croyance religieuse.

Par ailleurs, le fait d’évoquer le sacrifice de sa propre personne, comme preuve d’un amour infini, traduit aussi une tentative de Mariane, comme le fait Mélandre avec Lydias dans le douzième livre de l’Astrée d’Honoré d’Urfé, de susciter un sentiment de culpabilité chez l’être auquel elle offre sa vie;cependant, cette tentative s’avère tout à fait vaine pour la jeune moniale.

De plus, une fin tragique, telle que l’implore la jeune femme, permettrait d’accomplir dans la mort ce que la vie lui a refusé: hanter de son souvenir l’esprit de son aimé : « une fin tragique vous obligerait sans doute à penser souvent à moi , ma mémoire vous serez chère et vous seriez sensiblement touché d’une mort extraordinaire .

» D’autre part, ce sacrifice, loin d’être un témoignage de sa dévotion(Mariane tout au long de ses lettres ne manifestera guère de préoccupations religieuses explicites) constitue tout au contraire, un pêché honteux.

En effet, la religieuse commet le pêché d’idolâtrie, autrement dit, Mariane est coupable d’aimer une créature à l’image du Divin: « je suis résolue à vous adorer toute ma vie, et à ne voir jamais personne » ce sont parfois de véritables prières qu’elle adresse à son aimé, elle l’implore, le supplie: « mandez- moi…je vous conjure » Mariane se comporte avec cet homme comme elle devrait le faire avec Dieu. Ainsi, deux conséquences funestes résultent de cette idolâtrie:la disparition de toute réalité et l’effacement du monde réel qui l’entoure;en d’autres termes, tout ce qui n’est pas relatif à l’objet de la passion et qui n‘existe plus: « les yeux de l’officier français me tenaient lieu de toutes choses et…me suffisaient ».A présent, Le monde de la religieuse n’est plus constitué que d’illusions, de rêves, de fantasmes.

On comprend, dès lors que cet abandon dramatique par l’être aimé, instigateur d’une passion destructrice ne saurait conduire qu’à la divination de « l’absent magnifique » et enfin, à la propre mort de l’être obsédée par sa passion.

Cette passion exacerbée pousse Mariane à ne trouver de raison de vivre que dans le fait d’aimer et de rechercher la douleur comme substitut aux plaisirs disparus avec l’amant : « Que je suis à plaindre de ne pas partager mes douleurs avec vous ! »mais comme l’amour qui la cause , la douleur n’est jamais suffisante puisque toujours supportable.

Ainsi, dans un tel acte d’autodestruction, le seul plaisir de la jeune femme réside dans le fait de se complaire dans un dolorisme morbide, qui, au fil du temps devient de plus en plus cruel et dont la seule issue apaisante serait la mort. Telle une héroïne tragique, Mariane est le jouet de forces qui la dépassent et qu’elle décrit sur un mode hyperbolique : « je vous aime mille fois plus que ma vie et mille fois plus que je ne pense…Qu’est -ce que j’ai fait pour être si malheureuse ?- que vous m’êtes cruel ! Cependant, l’exclamation finale : « voyez où mon destin m’a réduite ! » suffit à elle seule à résumer cette posture d’héroïne racinienne, dont les tourments causés par la passion seraient comparables, par exemple, à ceux de Phèdre de Racine ou encore, à ceux de la princesse de Clèves de Mme de La Fayette. Mariane est aussi esclave de sa passion puisqu’elle y est , toute entière, soumise.

Tel un pantin , la jeune religieuse est totalement manipulée, comme possédée par ce sentiment.

Ainsi, pour les moralistes et les philosophes de l’époque, la passion est un mouvement de l’âme que l’on subit passivement et auquel on ne peut résister.

D’ailleurs, cette passivité est fréquemment exprimée : « tu as été trahi, (mes yeux) sont privés, je fus si accablée… j’étais bien aise de n’être plus exposée à voir mon cœur déchiré, (ces yeux) qui me faisaient connaître des mouvements qui me comblaient de joie, qui me tenaient lieu de toutes choses et qui enfin me suffisaient .» Cette passivité a pour corollaire le sentiment d’impuissance et le manque de volonté.

D’ailleurs, Mariane déplore à plusieurs reprises la faillite de sa volonté.

Toute résolution est. »

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