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Le nouveau roman

Publié le 14/01/2018

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ce soir ou de La Révocation de l'Édit de Nantes! Il y a, dans ces récits, des secrets à déchiffrer, de même qu'il faut goûter, dans les romans de Jean Genet, les splendeurs d'une poésie de l'abjection. C'est aux confins de la philosophie, de la mystique et de la vie, que se situent les essais de Georges Bataille, depuis L’Expérience intérieure, qui est comme le journal d'un mystique sans Dieu, jusqu'au Bleu du ciel, qui est de ces récits << lus parfois dans les transes (qui) situent (l'homme) devant le destin ». La littérature n'était, pour Georges Bataille, que le résidu dérisoire d'un élan, d'une rage, dont aucun mot, à vrai dire, ne pouvait rendre compte. Maurice Blanchot a exprimé dans ses romans, Thomas l’obscur, Aminadab, Le Très-Haut, le fruit de ses réflexions sur le langage. Il cherche, dans l'emploi des mots, l'occasion d'éprouver le néant qui se cache au sein même du langage. S'agit-il encore de romans avec ces récits qui, par-delà les paysages entr'aperçus et les personnages entrevus, installent secrètement en leur centre le vertige d'une absence ? C'est par cet aspect de réflexion sur le langage que la crise de la narration prend son caractère le plus aigu. Chez Jean Reverzy, dont le Passage, en 1954, relatait une agonie, l'écriture renvoyait à une obsession de la mort ; plus tard, elle devait devenir, chez lui, le point de départ d'une démiurgie dérisoire. De même, dans Malone meurt de Samuel Beckett, en 1952, un homme à l'agonie, invente des histoires, en attendant la mort, s'embrouille dans les mots qu'il profère. Le langage ici n'est plus qu'un brouillard de signes et de sons qui séparent du néant prochain. Dans L’Innommable, il ne reste que l'obscur sentiment qu'on ne peut parvenir à dire la seu1e chose qui vaudrait d'être dite. Il y a dans Comment c'est une dérision du langage. Il n'est plus qu'un bruit ininterrompu qui témoigne d'une impuissance à dire l'essentiel. Le héros se réduit à une conscience bavarde qui n'arrête pas de parler dans la mesure où elle n'a rien à dire. Le procès du langage, chez Beckett, rejoint une crise du concept de littérature. La parole est un bruit pour rien. Le langage de la fiction devient un moyen d'approcher la vérité nue du néant, de la solitude et de la mort.

 

LE NOUVEAU ROMAN

 

Les théories et les œuvres L'expression de nouveau roman recouvre,

 

à vrai dire, des entreprises fort divergentes. On range souvent, sous cette étiquette, les monologues intérieurs de Samuel Beckett dont nous venons de parler. Mais nous préférons réserver cette appellation à des romanciers qui, plutôt que de conduire à une dérision du langage et de la fiction, entreprennent de renouveler le genre romanesque ; en somme, qui se définissent à la fois par le refus des formes passées et par la volonté systématique d'en trouver de nouvelles. Le nouveau roman constitue un mouvement qui se veut ouvert sur l'avenir. Il est trop tôt pour dire s'il constitue les prodromes d'un véritable renouveau. En tout cas, ses théoriciens paraissent avoir foi dans les destinées du genre.

confluent des débats et des œuvres. Le nouveau roman, c'est toute une effervescence théorique autour de certains romans, ce sont aussi des romans nés au sein de cette effervescence théorique. Les discussions sur le roman et ses problèmes ne datent certes pas d'hier, il n'empêche qu'elles ont pris depuis une dizaine d'années une intensité qu'elles n'avaient encore jamais connue.

 

Il est certes abusif de grouper sous une même bannière des romanciers qui sont, au niveau des théories comme au niveau des œuvres, fort éloignés les uns des autres. Cependant, ils ont en commun les refus qu'ils opposent aux formes traditionnelles du roman. Le nouveau roman, c'est, comme le montrait Bernard Pingaud, << L'Ecole du Refus a1 : refus du personnage et refus de l'histoire, bref, refus de tout ce qui, jusqu'alors, constituait le roman. C'est aussi la volonté de découvrir des formes neuves mieux adaptées à la sensibilité de notre temps. Il y a, au fond de la plupart des proclamations du nouveau roman, l'idée que la littérature vit de renouvellement, de remise en question, qu'il faut explorer des voies nouvelles, qu'il faut, à tout le moins, aller plus loin dans des voies déjà ouvertes par Joyce, Dostoïevsky ou Kafka. Le nouveau roman apparaît, à ce titre, comme une sorte de laboratoire du roman à venir, une entreprise pour définir le roman comme refus et comme recherche.

 

Du réalisme objectif Roland Barthes, à propos des Gommes,

 

au réalisme subjectif lança dans la circulation les mots clefs

 

du nouveau roman : << L'objet, disait-il, n'est plus, chez Robbe-Grillet, un foyer de correspondances, un foisonnement de sensations et de symboles ; il est seulement une résistance optique »! Au lieu d'être l'expérience d'une profondeur, sociale, psychologique ou « mémoriale », le roman de Robbe-Grillet était la description littérale d'un monde réduit à ses seules surfaces. On voyait bientôt Robbe-Grillet lui-même affirmer qu'il entendait procéder à « une destitution des vieux mythes de la profondeur »! Il condamnait l'art romanesque traditionnel, qui, de Madame de La Fayette à Balzac, raconte « un conflit né d'une passion ou d'une absence de passion, dans un milieu donné >>. Il insistait, lui aussi, sur l'influence que le cinéma avait pu jouer dans cette nouvelle vision de l'espace. Et il évoquait, dans le sillage du cinéma, cet « univers romanesque futur » dans lequel << les gestes et les objets seront là, avant d'être quelque chose »! Cette description phénoménologique de l'objet était la première voie dans laquelle Robbe-Grillet s'était engagé ; c'était aussi la première interprétation qu'on proposait de son œuvre. Toute la critique, ensuite, a emboîté le pas, on a fait de Robbe-Grillet le romancier de l’objet, — ce qui paraissait d'autant plus fondé qu'il proclamait vouloir supprimer l’histoire et le personnage. On a ainsi proposé de son art des vues partielles. Robbe-

pour nous-mêmes et pour les autres, tout entiers dehors et dedans à la fois (...). Le dehors, c'est un terrain neutre, c'est le dedans de nous-mêmes que nous voulons être pour les autres et que les autres nous encouragent à être pour nous-mêmes. C'est le règne du lieu commun )). La parole, ici, dévoile l’inauthentique. Nathalie Sarraute nous donne accès à la conscience d'un personnage, — la conscience de cette femme, par exemple, qui, au début du Planétarium, pénètre dans son appartement. Elle s'attache à suggérer, sous les propos superficiels, sous les clichés du langage et les phrases de convention, toute une vie grouillante des fonds de la conscience. C'est le domaine de la sous-conversation. Comment pourrait-elle écrire des romans, raconter des histoires ? On ment dès qu'on résume en un caractère toute cette vie larvaire où se dessinent des mouvements d'attraction, de répulsion, d'enveloppement, d'absorption. La seule chose qui intéresse l'auteur, c'est la minutieuse observation de ces mouvements imperceptibles, il y a un infiniment petit de la vie psychologique qui vaut qu'on lui sacrifie le récit de drames mouvementés. Il ne se passe rien non plus dans les romans de Marguerite Duras. Elle aussi, d'ailleurs, et dans Moderato Cantabile surtout, cherche moins à proposer un spectacle ou à raconter une histoire qu'à atteindre, par les voies de la suggestion, l'esprit de son lecteur. Dans Le Square, un homme rencontre une jeune fille ; ils sont là, dans ce lieu neutre qu'est un jardin public. Pendant quelques heures, ils parlent, et leurs paroles sont insignifiantes ; elles sont le signe d'une présence au monde et d'une absence à soi-même. Le temps est figé, c'est celui de la rencontre et de l'attente. Si Nathalie Sarraute écrit des antiromans, il faudrait dire de Marguerite Duras qu'elle écrit des préromans : il ne se passera rien, dans cet espace et dans ce temps dont elle a provoqué l'ouverture. Elle met l'accent sur les conditions de possibilité d'une histoire qui n'aura pas lieu ; qui, même si elle avait lieu, trahirait ce dévoilement d'une présence au monde. En disant le peu qui se passe, en rapportant le peu qui se dit, elle réussit à atteindre un pathétique déchirant : celui qui tient à une proximité de l'être et à un éloignement de la joie.

 

Réalisme et mythologie Le réalisme de Butor, dans La Modifi-

 

cation, est un réalisme mythologiqueh La conscience retrouve en elle des archétypes. Sur ce point aussi, l'influence de Joyce a été déterminante : il avait inscrit l’Odyssée en filigrane dans les aventures de ses piètres héros pendant une journée irlandaise. Il y avait aussi, chez Kafka, une transcendance : tout au plus, les détails contingents étaient-ils significativement non signifiants. Comme Joyce avait transposé l’Odyssée, Robbe-Grillet, dans Les Gommes, a raconté à sa manière l'histoire d'Oedipe ; du moins a-t-on pu la découvrir, secrètement imbriquée dans la trame policière. Wallas vient enquêter sur un crime dans la ville où, jadis, enfant, sa mère l'avait amené, à la recherche d'un père qui refusait de le reconnaître ; et, finalement, il tue l'homme sur la mort duquel il était venu enquêter. Est-ce son père qu'il tue ? est-ce sa mère que, dans le magasin, il dévisage, à plu-

« roman ciers, celui du roman traditionnel est un des plus plaisants.

On range, sous cette enseigne, sans grand souci des nuances, tout ce qui, de Balzac à Henri Troyat, ne constitue pas les prémices ou les acco mplissements d'une nou velle esthétique.

On définit volo ntiers ce roman traditionnel par une technique piteusement retardataire, qui date du Second Empire, et qui reste étrangement imperméable aux transformations de la sensibilité.

Et l'on ne se prive pas de prendre en pitié ces rom anciers attardés, qui n'on t pas la passion de la recherche, et qui se contentent de couler, dans des mou1es convenus, des histoires écu1ées.

Bonne preuve, s'il en était besoin, que les révolutions esthétiques créent souvent des ponc ifs.

On trouve plus d'esprit critique et de puissance d'invention chez certains romanciers réputés tra­ diti onnels que chez les suiveurs du dernier manifest e.

Le jailli ssement de l'invention n'obéit guère aux exclusiv es.

Un romanc ier tradit ionnel, comme Jean- Louis Curtis, entend certes faire vivre des personnages et raconter des histoires.

Qui pourrait prétendre qu'il le fait selon une esthétique du xrx e siècle ? Il y a, dans La Semaine Sainte d'Aragon, une gamme de tous les procédés narratifs.

Comment pourrait-on prétendre que Le Rivage des Syrtes raconte une histoire commune selon des mou1es conventionnels ? Au-delà du roman On a vu paraître, depuis la Libération, des œuvres qui se situent en marge du genre romanesque.

Elles sont le fruit d'une entreprise poétique, philosophique ou autobiographique.

Un des plus brillants, parmi les jeunes romanciers des années soixante, répondait à un enquêteur qu'il rêvait. »

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