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PASCAL Blaise

Publié le 28/11/2018

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pascal

PASCAL Blaise (1623-1662). Mathématicien, physicien, philosophe, théologien. Blaise Pascal est un génie universel qui s’est lancé dans toutes les controverses de son époque. Esprit curieux, il s’intéresse à tout et s’occupe de tout — sauf de littérature. S’il est entré — bien malgré lui — dans l’histoire littéraire, c’est en raison de son tempérament d’orateur. Aimant la discussion, et même la polémique, ayant le goût de la persuasion, il développe une éloquence qui se distingue par un rare pathos. Et c’est à ce côté passionné que l’œuvre pasca-iien doit son impact. Car l’élan souvent agressif de l’écrivain oblige le lecteur à prendre parti, provoquant des prises de position parfois excessives. Cette fougue cependant est contrebalancée par l’acuité d’un esprit agile, capable toujours de faire le point et de se mouvoir avec une précision incomparable. C’est à ces deux facultés antagonistes que Pascal doit sa remarquable mobilité stylistique. Elles s’équilibrent enfin dans un discours qu’on nomme à juste titre « classique ».

 

La multiplicité des dons et des intérêts fait de Pascal le plus brillant des autodidactes. S’il aborde un problème, c’est presque toujours en amateur, en dilettante. Mais dans tous les domaines il se présente soit comme un initiateur ouvrant de nouvelles perspectives, soit comme celui qui épuise un sujet. Cette universalité fut cependant aussi un facteur de dissipation. Sollicité sans cesse par autre chose, Pascal n’eut guère le temps de parfaire ses ouvrages ou de s’occuper de leur publication. A sa mort, il laissait très peu d’œuvres imprimées, mais une masse d’ébauches ou de fragments plus ou moins développés, dont un grand nombre s’est perdu.

 

Un personnage énigmatique

 

Alors que la vie de Biaise Pascal nous est relativement bien connue, sa personne reste un mystère. Pascal est-il ce missionnaire qui, ayant à peine « goûté à la religion » à l’âge de vingt-trois ans, entreprend la conversion de sa famille et poursuit avec un acharnement peu commun l’« hérésie » d’un Jacques Forton? Ou est-il ce critique lucide qui, dans De l'esprit géométrique, analyse les fondements de l’art de raisonner? Est-il cet esprit orgueilleux qui aime à confondre ses adversaires : les molinistes, ou ce jésuite de Montferrand qui avait osé contester sa contribution personnelle aux recherches concernant le vide {Lettres à M. de Ribeyre, 1651)? Est-il cette âme charitable qui loge chez lui une famille d'indigents et léguera la moitié de sa fortune aux pauvres, cet ami fidèle, ce directeur de conscience désintéressé que connurent le duc de Roannez et sa sœur Charlotte (Lettres à Mlle de Roannez, 1656)? Est-il un esprit mondain, causeur désireux de s’imposer, ou est-il ce « grand mathématicien qui ne savait que cela [...], qui n’avait ni goût ni sentiment », dont le chevalier de Méré parle dans De l'esprit!

 

Il y là trop de visages pour qu’on puisse aisément se décider. Pascal lui-même semble avoir eu conscience de cette diversité lorsqu’il choisit ses pseudonymes : Amos Dettonville pour certains ouvrages de mathématiques; Louis de Montalte pour les Provinciales, Salomon de Tultie pour les Pensées — pseudonymes qui sont des variantes d’une unité jalousement gardée secrète. Car le seul document vraiment personnel, le Mémorial — témoin d’une expérience mystique —, restera soigneusement caché dans la doublure de son vêtement. Et l’écrivain refusera toujours de parler de lui-même. Le « moi », glorifié par le théâtre cornélien et par la métaphysique cartésienne, lui semble négligeable, même « haïssable » (Pensées, 597). Et ce qu’il reproche à Montaigne, son auteur préféré, c’est « le sot projet qu’il a de se peindre » (780), c’est « qu’il faisait trop d’histoires et qu’il parlait trop de soi » (649).

 

Très nombreux — et contradictoires — apparaissent les portraits faits par des tiers; le plus important est celui de sa sœur, Gilberte Périer, qui trace l’image d’un frère charitable, ascète et dévot à frôler la sainteté. Excès d’admiration et de bigoterie ou souci de défendre son frère contre des portraits plus mondains et plus anecdotiques tels que les firent Tallemant des Réaux (Historiettes, 1657) et Marguerite Périer, fille de Gilberte? De même que son œuvre, la personne de Pascal exerce une séduction qui provoque des jugements excessifs et toujours passionnés. Rares sont en effet les pascaliens, anti-pascaliens et pascalisants qui n’aient pas cédé à la tentation de l’hagiographie ou de la détraction.

 

Il serait vain de vouloir retrouver le vrai visage de Pascal. Il faut plutôt reconnaître en lui un auteur qui, consciemment, a voulu s’effacer derrière son œuvre.

 

Entièrement consacré à sa tâche et en même temps soucieux des exigences et objections du destinataire de ses écrits, il nous apparaît nécessairement comme un penseur contradictoire. Et ses changements, tous provisoires et relatifs, correspondent à des altitudes adoptées par un écrivain dans le propos de faire accepter ce qu’il juge être la vérité : « S’il se vante, je l’abaisse. S’il s’abaisse, je le vante, et le contredis toujours jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il est un monstre incompréhensible » (130).

 

Enfant prodige ou élève modèle?

 

On ne saurait assez insister sur l’influence exercée par la famille et surtout par le père, Étienne. Appartenant à la haute bourgeoisie, dans laquelle se recrutait l’élite intellectuelle de l’époque, celui-ci quitta Clermont après la mort de sa femme et s’installa à Paris, où il s’adonna à ses trois passions principales, dont la première était celle du « monde ». Connu des cercles littéraires et scientifiques, il fréquenta les salons, dont celui de Mme de Sainctot, où il retrouva Jacques Le Pailleur, un mathématicien quelque peu libertin, lié avec Saint-Amant et d'autres poètes. Il n’hésita pas à y pousser ses enfants, en particulier Jacqueline, dont le talent poétique, admiré par Benserade, Scudéry et Corneille, attira l’attention de la Cour. Et c’est au contact de ces salons que se développe aussi le Pascal « mondain » : un esprit subtil et vaniteux, habile à se faire valoir.

 

La deuxième passion d’Étienne était celle des sciences. Jouissant d’une solide réputation de savant, il fut un des premiers membres de l’académie fondée par le père Mersenne en 1635. Il y rencontra notamment Desargues et Roberval, avec lequel il avança, en 1636, une explication de la pesanteur en proposant d’y voir un phénomène analogue à celui du magnétisme. Les conceptions ultra-modernes de Biaise physicien refléteront parfaitement l’esprit positif et pragmatique du cercle Mersenne, alors en correspondance avec les savants du monde entier.

 

Mais le jeune Pascal devait attendre encore un certain temps avant de connaître cette illustre académie. Car son père — telle était sa troisième passion — avait décidé d’éduquer personnellement ses enfants. La pédagogie d’Étienne Pascal, à la fois humaniste et rationnelle, s’inspirait des préceptes de Montaigne et de Rabelais. S’opposant nettement à celle qui était pratiquée dans les collèges jésuites, elle se fondait sur la maxime qu’il fallait toujours tenir l’enfant « au-dessus de son ouvrage ». Selon le témoignage de Gilberte, le programme paternel, débutant par des discussions sur les effets de la nature, comportait l’étude des langues anciennes, un enseignement de grammaire générale, l’histoire, le droit civil et canonique et enfin la lecture de la Bible et des Pères de l’Église. Biaise répondit à cet enseignement en composant, à l’âge de onze ans, un Traité des sons.

 

Cette éducation originale avait des lacunes. Mais celles-ci se révélèrent favorables à l’évolution du génie de Pascal. Alors que Descartes, élève des Jésuites, avait dû, pour trouver sa voie, se libérer de tout un pesant bagage scolaire, l’originalité de Pascal put s’affirmer sans heurt ni obstacle. Sa formation peu orthodoxe lui permit d’entrer d’emblée dans les voies de l’esprit nouveau qui s’annonçait alors dans les sciences et en théologie. Elle explique également le détachement avec lequel il considérait « les diverses agitations des hommes » (136), ce regard libre et critique qui, une génération plus tard, s’affirmera chez un Molière et un La Bruyère. Ênfin, n’ayant pas eu à se plier, comme Descartes, à la rhétorique, il put inventer sa propre éloquence, un discours dont l’élégance et l’agilité serviront plus tard de modèle.

 

Cependant, il serait faux de tout mettre au compte de cette éducation, dont Biaise, âgé de douze ans, bouleversa le programme. En effet, curieux de savoir de quoi s’occupaient les savants amis de son père, il se procura les informations nécessaires et s’initia lui-même à la géométrie euclidienne, alors qu’Étienne, sachant que « la mathématique est une chose qui remplit et satisfait l’esprit », ne voulait pas que son fils « en eût encore connaissance, de peur que cela ne le rendît négligent pour le latin et les autres langues ». Pourtant, cédant à la « passion » de son élève, il entreprit son éducation scientifique et l’introduisit dans l’académie Mersenne, où, en 1640, Biaise fit sensation en soumettant un Essai pour les coniques.

 

La vocation scientifique

 

Ce petit ouvrage de géomètre valut à Pascal âgé de seize ans une renommée internationale et le mit en contact avec les savants de l’Europe entière. Toutes ses découvertes mathématiques découlent de telles rencontres. La « règle des partis », le triangle arithmétique et, par là, les fondements du calcul des probabilités sont le résultat d’une correspondance avec Fermât, mais aussi d’une relation suivie avec le chevalier de Méré, grand joueur avec qui Pascal discutait du problème de la répartition des enjeux. Les traités concernant la cycloïde et les lignes courbes, dus à l’encouragement du duc de Roannez, sont le résultat d’un concours où Pascal s’était lancé avec trois Lettres circulaires de 1658 et qui lui valut des contacts avec Carcavi, de Sluse, Lalouère, Wren et enfin Huyghens.

 

Il en va de même pour ses travaux d'ingénieur et de physicien. Leur lieu d’origine est Rouen, où, en 1640, Biaise suivit Étienne, à qui Richelieu avait confié la mission de résoudre le problème de la répartition des impôts. Aidant son père dans ses calculs, il conçut, pour se faciliter la tâche, une machine arithmétique qui fut appelée la « pascaline ». Certes, Pascal n’est pas le premier à avoir eu l’idée d’une telle machine. Mais son mérite est d’avoir su venir à bout de tous les problèmes techniques, dont celui du rapport des retenues, en sorte que sa machine fut la première calculatrice vraiment automatique.

 

La pascaline, exposée à Paris chez Roberval, consacra la réputation de son inventeur, dont le domicile rouen-nais devint un véritable lieu de pèlerinage. En 1646, l'ingénieur Pierre Petit, intendant des ports et fortifications, se rendant à Dieppe, s’arrêta chez les Pascal et les informa au sujet des expériences de Torricelli et de la polémique qui s’était ensuivie concernant la nature de l'espace qui, dans le tube du baromètre, se forme au-dessus de la colonne de mercure. Et c'est à la suite de cette rencontre qu’eurent lieu les célèbres expériences sur le vide et la pression atmosphérique (puy de Dôme), les études d'hydrostatique et avant tout les controverses qui obligèrent Pascal à formuler les principes d’une science nouvelle : la physique expérimentale.

 

La tentation du monde

 

De tous les aspects qui composent sa personnalité, c’est le Pascal « mondain » qui est le moins connu. Gilbcrte distingue dans la vie de son frère une période « mondaine », mais elle la considère comme un égarement qu’il vaut mieux passer sous silence. Car n’est-ce pas un crime que de s'être opposé au désir de retraite de Jacqueline ou, comme le prétend Marguerite Périer, d'avoir songé à un mariage avantageux? En fait, Pascal devait, dès 1639, avoir fort bien connu tant l'aristocratie que la société précieuse et les petits salons bourgeois. Et s’il était « mondain » par son goût de la dispute et son désir de s’imposer, il l’était également par une sincère préoccupation pour l’ordre de ce monde, un souci dont

 

témoignent les premiers chapitres des Pensées ainsi que les trois Discours sur la condition des grands, rédigés fin 1660 à l’intention du jeune duc de Chevreuse.

 

Désireux de vivre comme les gens de sa condition, Biaise tenait beaucoup à l’argent, à tel point qu’il faillit se brouiller avec Jacqueline, sa sœur préférée et sa confidente, lorsqu’elle voulut léguer ses biens au monastère de Port-Royal. Enfin, ce qui l’occupa jusqu’à ses derniers jours, ce furent les affaires. Et si, malgré une publicité soutenue, la pascaline ne se vendit point parce que, même fabriquée en série (une cinquantaine au total, dont huit conservées), elle était d’un prix trop élevé, il se dédommagea largement : en achetant une boutique à la Halle au blé et en se lançant, avec le duc de Roannez, dans deux grandes entreprises — celle du dessèchement des marais au Poitou et celle des « carrosses à cinq sols », un système urbain de transports en commun, dont la première ligne, allant de la porte Saint-Antoine au Luxembourg, fut inaugurée quatre mois avant la mort de Pascal.

 

Comprenant les années 1652-1655, la période « mondaine » marque en premier lieu une émancipation de l’emprise paternelle et est placée, elle aussi, sous le signe des contacts et rencontres. Présenté à la Cour, Pascal fréquente les salons de la duchesse de Longueville et de la marquise de Sablé et se lie plus étroitement avec la duchesse d'Aiguillon. Mais ce sera avec le duc de Roannez (Artus Gouffier de Boissy), passionné de mathématiques et promis à une brillante carrière tant à la Cour qu’à l’armée, qu’il connaîtra la plus durable des amitiés, où Biaise tiendra le rôle d’un guide spirituel et le duc celui d'un admirateur fidèle et dévoué.

 

Enfin le « monde » pascalien comprend aussi ceux que les Pensées appellent les « pyrrhoniens ». Comme le laisse entendre l’Entretien avec M. de Sacy, le modèle du pyrrhonien est Montaigne. Mais ce type, tenant du sceptique et de l’esprit fort, Pascal l’a rencontré également dans les salons, et en particulier en les personnes de Mitton et de Méré. Damien Mitton (1618-1690), un riche bourgeois, bel esprit désabusé, d'un jugement sûr en matière littéraire, fournira le modèle du « libertin indifférent » des Pensées. Antoine Gombaud, chevalier de Méré (1607-1684), grand joueur incarnant le type de l’« honnête homme », révélera à Pascal une philosophie de la vie fondée sur les principes de l’« esprit de finesse » et culminant dans l'« art d'agréer » [voir Honnête homme).

 

Religion et théologie : polémique — profession de foi — apologie

 

Sollicitations auxquelles, jusqu’à la fin de ses jours, Pascal ne sut résister, les sciences et le « monde » furent des facteurs de dissipation, des formes de ce que les Pensées appellent le « divertissement », à quoi la maladie et les « conversions » s’opposent comme des éléments portant au recueillement et à la retraite. La maladie, dont, selon Marguerite Périer, Pascal aurait montré des symptômes déjà en bas âge, se manifesta une première fois lorsqu’il avait dix-neuf ans et, par la suite, à maintes reprises, à des intervalles de plus en plus rapprochés. Due à un cancer peut-être, ou à une lésion cérébrale d’origine tuberculeuse, elle suscitait de violents maux de tête, des coliques, une paralysie des jambes et des états d’abattement et de langueur.

 

Les « conversions » forment le chapitre le plus obscur de la biographie-pascalienne. Comme le montre l’exemple du Mémorial, il s’agissait d’expériences intimes dont Pascal doutait qu'on puisse jamais « rendre raison » (418), et qui signifient peut-être cet arrachement par lequel l'homme — comme en témoigne la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies — est ramené à lui-même et se trouve confronté avec la question du salut de l’âme. Mais si la signification profonde des « conversions » pascaliennes nous échappe, les circonstances en sont par contre bien connues. Elles relèvent de l’influence du jansénisme.

 

Le jansénisme. — Mouvement de réformation qui doit son nom à Cornélius Jansen (Jansénius), évêque d'Ypres, et qui, en opposition à la théologie scolastique décadente, vise à restituer la stricte théologie augustinienne. Parti de Louvain et gagnant peu à peu une grande partie de l’Europe catholique, le jansénisme est représenté en France par Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran (1581-1643). Sous sa direction, Port-Royal, monastère de religieuses d'une austérité exemplaire, devient le centre spirituel du mouvement. Le couvent, Port-Royal de Paris, est dirigé notamment par les mères Angélique et Agnès, toutes deux de la famille d'Antoine Arnauld (le Grand Arnauld, 1612-1694). Celui-ci réunit, à Port-Royal des Champs, les « messieurs » ou « solitaires », confesseurs des religieuses, théologiens, philosophes et pédagogues (Le Maistre de Sacy, Pierre Nicole, Claude Lancelot), qui fondent, vers 1643, les Petites Écoles, dont Racine sera l'élève.

pascal

« tés antagonistes que Pascal doit sa remarquable mobilité stylistique.

Elles s'équilibrent enfin dans un discours qu'on nomme à juste titre« classique ».

La multiplicité des dons et des intérêts fait de Pascal le plus brillant des autodidactes.

S'il aborde un pro­ blème, c'est presque toujours en amateur, en dilettante.

Mais dans tous les domaines il se présente soit comme un initiateur ouvrant de nouvelles perspectives, soit comme celui qui épuise un sujet.

Cette universalité fut cependant aussi un facteur de dissipation.

Sollicité sans cesse par autre chose, Pascal n'eut guère le temps de parfaire ses ouvrages ou de s'occuper de leur publication.

A sa mort, il laissait très peu d'œuvres imprimées, mais une masse d'ébauches ou de fragments plus ou moins développés, dont un grand nombre s'est perdu.

Un personnage énigmatique Alors que la vie de Blaise Pascal nous est relativement bien connue, sa personne reste un mystère.

Pascal est-il ce missionnaire qui, ayant à peine « goûté à la religion » à l'âge de vingt-trois ans, entreprend la conversion de sa famille et poursuit avec un acharnement peu commun l'« hérésie» d'un Jacques Forton? Ou est-il ce critique lucide qui, dans De l'esprit géométrique, analyse les fondements de l'art de raisonner? Est-il cet esprit orgueilleux qui aime à confondre ses adversaires : les molinistes, ou ce jésuite de Montferrand qui avait osé contester sa contribution personnelle aux recherches concernant le vide (Lettres à M.

de Ribeyre, 1651)? Est-il cette âme charitable qui loge chez lui une famille d'indi­ gents et léguera la moitié de sa fortune aux pauvres, cet ami fidèle, ce directeur de conscience désintéressé que connurent le duc de Roannez et sa sœur Charlotte (Let­ tres à M11' de Roannez, 1656)? Est-il un esprit mondain, causeur désireux de s'imposer, ou est-il ce «grand mathématicien qui ne savait que cela [ ...

], qui n'avait ni goût ni sentiment », dont le chevalier de Méré parle dans De l'esprit? Il y là trop de visages pour qu'on puisse aisément se décider.

Pascal lui-même semble avoir eu conscience de cette diversité lorsqu'il choisit ses pseudonymes : AMOS DETI'ONVILLE pour certains ouvrages de mathématiques; L OU IS DE MONTALTE pour les Provinciales, SALOMON DE TULTIE pour les Pensées - pseudonymes qui sont des variantes d'une unité jalousement gardée secrète.

Car le seul document vraiment personnel, le Mémorial - témoin d'une expérience mystique-, restera soigneuse­ ment caché dans la doublure de son vêtement.

Et l'écri­ vain refusera toujours de parler de lui-même.

Le« moi >>, glorifié par Je théâtre cornélien et par la métaphysique cartésienne, lui semble négligeable, même «haïssable» (Pensées, 597).

Et ce qu'il reproche à Montaigne, son auteur préféré, c'est « le sot projet qu'il a de se peindre >> (780), c'est« qu'il faisait trop d'histoires et qu'il parlait trop de soi» (649).

Très nombreux -et contradictoires -apparaissent les portraits faits par des tiers; le plus important est celui de sa sœur, Gilberte Périer, qui trace l'image d'un frère charitable, ascète et dévot à frôler la sainteté.

Excès d'admiration et de bigoterie ou souci de défendre son frère contre des portraits plus mondains et plus anecdoti­ ques tels que les firent Tallemant des Réaux (Histo­ riettes, 1657) et Marguerite Périer, fille de Gilberte? De même que son œuvre, la personne de Pascal exerce une séduction qui provoque des jugements excessifs et tou­ jours passionnés.

Rares sont en effet les pascaliens, anti­ pascaliens et pascalisants qui n'aient pas cédé à la tenta­ tion de 1' hagiographie ou de la détraction.

Il serait vain de vouloir retrouver Je vrai visage de Pascal.

Il faut plutôt reconnaître en lui un auteur qui, consciemment, a voulu s'effacer derrière son œuvre.

Entièrement consacré à sa tâche et en même temps sou­ cieux des exigences et objections du destïnataire de ses écrits, il nous apparaît nécessairement comme un pen­ seur contradictoire.

Et ses changements, tous provisoires et relatifs, correspondent à des attitudes adoptées par un écrivain dans Je propos de faire accepter ce qu'il juge être la vérité: «S'il se vante, je l'abaisse.

S'il s'abaisse, je le vante, et le contredis toujours jusqu'à ce qu'il com­ prenne qu'il est un monstre incompréhensible » (1.30).

Enfant prodige ou élève modèle? On ne saurait assez insister sur !'influence exercée par la famille et surtout par le père, Etienne.

Appartenant à la haute bourgeoisie, dans laquelle se recrutait 1' élite intellectuelle de l'époque, celui-ci quitta Clermont après la mort de sa femme et s'installa à Paris, où il s'adonna à ses trois passions principales, dont la première était celle du «monde>> .

Connu des cercles littéraires et scientifiques, il fréquenta les salons, dont celui de Mme de Sainctot, où il retrouva Jacques Le Pailleur, un mathé­ maticien quelque peu libertin, lié avec Saint-Amant et d'autres poètes.

Il n'hésita pas à y pousser ses enfants, en particulier Jacqueline, dont le talent poétique, admiré par Benserade, Scudéry et Corneille, attira 1' attention de la Cour.

Et c'est au contact de ces salons que se déve­ loppe aussi le Pascal « mondain » : un esprit subtil et vaniteux, habile à se faire valoir.

La deuxième passion d'Étienne était celle des scien­ ces.

Jouissant d'une solide réputation de savant, il fut un des premiers membres de l'académie fondée par le père Mersenne en 1635.

Il y rencontra notamment Desargues et Roberval, avec lequel il avança, en 1636, une explica­ tion de la pesanteur en proposant d'y voir un phénomène analogue à celui du magnétisme.

Les conceptions ultra­ modernes de Blaise physicien refléteront parfaitement J'esprit positif et pragmatique du cercle Mersenne, alors en correspondance avec les savants du monde entier.

Mais le jeune Pascal devait attendre encore un certain temps avant de connaître cette illustre académie.

Car son père -telle était sa troisième passion -avait décidé d'éduquer personnellement ses enfants.

La pédagogie d' Étienne Pascal, à la fois humaniste et rationnelle, s'inspirait des préceptes de Montaigne et de Rabelais.

S'opposant nettement à celle qui était pratiquée dans les collèges jésuites, elle se fondait sur la maxime qu'il fallait toujours tenir l'enfant «au-dessus de son ouvrage».

Selon le témoignage de Gilberte, le pro­ gramme paternel, débutant par des discussions sur les effets de la nature, comportait l'étude des langues anciennes, un enseignement de grammaire générale, l' histoire, Je droit civil et canonique et enfin la lecture de la Bible et des Pères de l'Église.

Blaise répondit à cet enseignement en composant, à l'âge de onze ans, un Traité des sons.

Cette éducation originale avait des lacunes.

Mais cel­ les-ci se révélèrent favorables à l'évolution du génie de Pascal.

Alors que Descartes, élève des Jésuites, avait dû, pour trouver sa voie, se libérer de tout un pesant bagage scolaire, 1' originalité de Pascal put s'affirmer sans heurt ni obstacle.

Sa formation peu orthodoxe lui permit d'en­ trer d'emblée dans les voies de l'esprit nouveau qui s'an­ nonçait alors dans les sciences et en théologie.

Elle expli­ que également Je détachement avec lequel il considérait «l es diverses agitations des hommes >> (136), ce regard libre et critique qui, une génération plus tard, s'affirmera chez un Molière et un La Bruyère.

Enfin, n'ayant pas eu à se plier, comme Descartes, à la rhétorique, il put inven­ ter sa propre éloquence, un discours dont l'élégance et l'ag ilité serviront plus tard de modèle.

Cependant, il serait faux de tout mettre au compte de cette éducation, dont Blaise, âgé de douze ans, boule-. »

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