La poésie racinienne
Publié le 26/03/2015
Extrait du document
« Depuis que sur ces bords les Dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé. « (Phèdre, I, 1, v. 35-36)
«
d' «effet de sourdine».
Sous la simplicité apparente du langage se cache la richesse
du sens ;
le recours aux substantifs abstraits et au pluriel généralisant donne une
valeur universelle aux situations évoquées.
La souffrance d' Andromaque prend
ainsi, par sa retenue même, une dimension humaine qui dépasse largement le cadre
de la fiction :
«Ah! Seigneur, vous entendiez assez
Des soupirs qui craignaient de se voir repoussés.
Pardonnez à l'éclat d'une illustre fortune
Ce reste de fierté qui craint d'être importune.» (III, 6,
v.
911-914)
Sans rechercher le pittoresque
ni un improbable réalisme, avec une remarquable
économie de moyens, Racine cerne l'essentiel et donne
à la parole tragique un extra
ordinaire pouvoir de suggestion.
Il -LA MAGIE RACINIENNE : L'ART DU VERS
Racine exploite toutes les ressources de lalexandrin.
Il joue ainsi sur les coupes
et les sonorités, pour donner à la parole d'Hippolyte toute sa force évocatoire dans
ces vers célèbres :
« Depuis que sur ces bords les Dieux ont envoyé
La fille de Minos et de
Pasiphaé.
»(Phèdre, 1, 1, v.
35-36)
Le
jeu très étudié des assonances (en i et en a) montre la domination progressive
du a (associé à la mère monstrueuse de Phèdre) sur lei (associé au père, incarnation
de la justice suprême).
L'hiatus final
(aé) crée le déséquilibre : en douze syllabes,
on est passé de l'ordre
à l'anomalie.
Le rythme s'adapte lui aussi au sens: la coupe
est peu sensible
à l'hémistiche et les accents, qui sont à leur place normale jusqu'à
la coupe, sont ensuite imperceptibles avant la voyelle finale.
L'impression créée est
celle du déséquilibre.
Elle est en adéquation totale avec le personnage de Phèdre,
qui porte en elle la fureur
d'aimer maternelle, mais aussi le sens aigu de la faute,
comme son père Minos.
Pour faire entendre la monstruosité du personnage de
Phèdre, Racine est égale
ment amené à disloquer l'alexandrin.
Aricie peut ainsi dire à Thésée, à propos de
Phèdre:
«Vos invincibles mains
Ont de monstres sans nombre affranchi les humains
Mais tout
n'est pas détruit, et vous en laissez vivre Un ...
» (V, 3, v.
1443-1445)
Le rejet
« un » est ici à la limite de la rupture de forme et permet à Racine de
mimer
le cours des sentiments : Aricie, qui ne peut nommer explicitement le
monstre
qu'est Phèdre à ses yeux, ne formule qu'une seule syllabe qui déséquilibre
l'alexandrin précédent en en faisant, de manière
mimétique,« un monstre à 13 syl
labes».
Cette hardiesse métrique ne relève pas d'une virtuosité gratuite, elle donne
sens au destin de
Phèdre.
Si Phèdre meurt, la dernière et la plus misérable de sa
lignée,
c'est qu'elle a dérangé l'ordre et l'équilibre du monde.
Conclusion : La poésie racinienne repose donc non seulement sur une to
tale maîtrise des ressources de l'alexandrin, mais aussi sur la force évoca
toire
d'une parole qui se fait chant et qui est accordée aux élans du cœur et
aux soubresauts de la passion..
»
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