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À quatre prisonniers (Livre IV, 12) (après leur condamnation) - Hugo - Chatiments

Publié le 23/10/2013

Extrait du document

hugo

 

Victor Hugo (1802-1885).

Recueil : Les châtiments (1853).

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À quatre prisonniers.

 

(Après leur condamnation)

 

Mes fils, soyez contents ; l'honneur est où vous êtes. 

Et vous, mes deux amis, la gloire, ô fiers poètes, 

Couronne votre nom par l'affront désigné ; 

Offrez aux juges vils, groupe abject et stupide, 

Toi, ta douceur intrépide, 

Toi, ton sourire indigné. 

 

Dans cette salle, où Dieu voit la laideur des âmes, 

Devant ces froids jurés, choisis pour être infâmes, 

Ces douze hommes, muets, de leur honte chargés, 

Ô justice, j'ai cru, justice auguste et sombre, 

Voir autour de toi dans l'ombre 

Douze sépulcres rangés.

 

Ils vous ont condamnés, que l'avenir les juge ! 

Toi, pour avoir crié : la France est le refuge 

Des vaincus, des proscrits ! - Je t'approuve, mon fils ! 

Toi, pour avoir, devant la hache qui s'obstine, 

Insulté la guillotine, 

Et vengé le crucifix !

 

Les temps sont durs ; c'est bien. Le martyre console. 

J'admire, ô Vérité, plus que toute auréole, 

Plus que le nimbe ardent des saints en oraison, 

Plus que les trônes d'or devant qui tout s'efface, 

L'ombre que font sur ta face 

Les barreaux d'une prison ! 

 

Quoi que le méchant fasse en sa bassesse noire, 

L'outrage injuste et vil là-haut se change en gloire. 

Quand Jésus commençait sa longue passion, 

Le crachat qu'un bourreau lança sur son front blême 

Fit au ciel à l'instant même 

Une constellation ! 

 

Conciergerie, Paris en novembre 1851.

Ce poème entre dans le cadre de cette poésie instantanée dont Hugo est familier et qui rend compte à chaud d'un événement dans toute sa force. D'autres exemples se rencontrent dans Les Châtiments, y compris dans ce même Livre IV (pièce 6 « Écrit le 17 juillet 1851 en descendant de la tribune «). Parfois même pour obéir à cette esthétique Hugo est amené à modifier certaines dates (ainsi le« Te deum du 1er janvier 1852 «,qui porte la date du 3 janvier mais qui a été écrit en fait bien plus tard, la date du manuscrit donnant le 7 novembre 1852).

hugo

« Le propos du poète est ici de montrer que le droit n'est pas du côté de la Jus­ tice : chez Hugo la poésie, qui se présente comme instantanée, se révèle profondé­ ment subversive.

La condamnation de la Justice Au cours de l'été 1851, les deux fils du poète ainsi que deux de ses amis ont dé­ noncé le fonctionnement inique de la Justice (articles contre la peine de mort, et pour le droit d'asile en France); ces« quatre prisonniers» sont condamnés à plu­ sieurs mois de prison mais Hugo, à travers son poème, renverse le sens de cette condamnation, avec comme fil conducteur l'idée que le Mal a jugé le Bien: la Justice a donc commis une injustice.

C'est d'abord le système judiciaire avec ses différentes instances qui est fustigé, le poète s'instaurant alors comme juge suprême qui assène sa condamnation par le biais des caractérisants moraux négatifs et méprisants : « juges vils, groupe ab­ ject et stupide» (v.

4); «froids jurés, choisis pour être infâmes» (v.

8).

Par ailleurs la troisième strophe fonctionne comme un système de défense qui place mainte­ nant le poète en position d'avocat : on reproche aux accusés d'avoir défendu des valeurs dignes d'une république (insulter «la guillotine ») ; c'est donc une Justice sous influence politique qui condamne et c'est la raison pour laquelle le poète ap­ pelle de ses vœux un autre jugement qui soit l'antithèse de celui qui vient d'avoir lieu(« que l'avenir les juge», v.

13).

Enfin, par le biais d'un système d'images opposées, Hugo en appelle à la Justice divine qui casse la décision des hommes­ sépulcres et métamorphose le « crachat» en « une constellation » (v.

28-30).

La consolation des condamnés Le poète est donc entièrement solidaire des positions des condamnés (« Mes fils », «mes deux amis» : les déterminants possessifs prennent ici toute leur valeur affective réconfortante).

Puis il célèbre leurs qualités ( « Toi ta douceur intré­ pide,{f oi, ton sourire indigné », v.

5-6, expressions symétriques où se mêlent la force du sentiment et l'action réfléchie), leur courage (crier, insulter, v.

14, 17).

Fi­ nalement il voit en eux des figures du martyre (un des thèmes forts des Châti­ ments: voir Livre 1, 8 «À un martyr») qui implique la consolation divine mais qui permet surtout à Hugo d'opposer la vraie croyance à la religion rassisse (« au­ réole», «saints en oraison»), Jésus aux prêtres.

Conclusion.

Par un renversement ironique qui place le droit du côté des condamnés, Hugo accuse la justice de Louis Napoléon Bonaparte d'avoir perdu toutes ses valeurs et d'être étouffée (v.

10-12) : « l'honneur» se trouve en effet dans le camp des condamnés (v.

1) tandis que« l'ombre» des« barreaux d'une prison» s'avère être le nouvel emblème du juste.. »

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