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A quel genre appartient La Chute ?

Publié le 10/01/2020

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à tous les clients de rencontre? «J'adapte enfin mon discours à l'auditeur», dit Clamence (p. 145), remarque qui paraît exclure que nous ayons affaire à un récit appris par cœur. Mais quelles sont les nuances qui distinguent cette confession des « autres » ? Si le lecteur a le sentiment que Clamence n'était jamais allé aussi loin dans l'aveu, il se dira qu'il y a une part d'imprévisible dans sa confession. Par exemple, Clamence ignore peut-être, quand il avoue sa lâcheté lors de l'épisode de la noyade, qu'il fouillera plus loin dans sa mémoire pour parler de l’épisode du camp de prisonniers. Dans cette hypothèse, l'œuvre s'apparente plus ou moins à un roman, et c'est le déroulement même de la confession qui constitue son intrigue. Si la confession est livrée « en série » à tous tes inconnus de passage et ne comporte aucun imprévu, nous sommes strictement dans un récit. À la limite, comment savoir si Clamence dit vrai quand il prétend avoir l'habitude d'aborder des inconnus? Et si l'interlocuteur de La Chute était son premier et son dernier client1 ? ,

Alain Robbe-Grillet, qui préfère L'Étranger à La Chute, « parce qu'autant on croit à I Algérie de ^Étranger, autant on croit peu à l'univers de La Chute», s'avoue tout de même troublé par le « trou » qu'il y a dans La Chute, « c'est-à-dire une espèce d'énigme concernant ce qui s’est passé vraiment et qui troue en quelque sorte toute cette histoire; et, par conséquent, j'ai parfois envie de réécrire La Chute comme Camus aurait dû l'écrire ! »1 2

On devine ce que signifie Robbe-Grillet : te soupçon que te lecteur conçoit sur la réalité des aventures de Clamence,

1. On comparera la série de « clients » de Clamence et la série de clients du Malentendu. Dans cette pièce, Camus a imaginé que Martha et sa mère, aubergistes, tuent successivement leurs clients riches pour les dépouiller de leur argent. Un jour (c'est le début de la pièce), Jan, le frère de Martha, se présente incognito. Martha le tue. Quand elle découvre qui elle a tué, elle se suicide. Dans Le Malentendu, la série des clients qui ont précédé Jan fait partie des données de la pièce; elle est attestée par d’autres personnages. En outre le spectateur sait que Jan est vraiment le dernier client Martha, en effet, se suicide, alors que nous ne savons pas ce que deviendra Clamence.

2. A. Robbe-Grillet, « Monde trop plein, conscience vide », dans Cahiers Albert Camus, 5. Albert Camus : œuvre fermée, œuvre ouverte ? (voir bibliographie), p. 224 et 227.

« --· «LA CHUTE», ROMAN OU RÉCIT? Différences entre les deux genres Quelle différence sépare au juste le roman du récit? «Un récit reproduit des événements conformément aux lois de l'exposition, un roman nous montre ces événe­ ments dans leur ordre propre.

» 1 Nous pouvons, aidés par cette formule, distinguer à grands traits le roman pur du récit pur; le roman a lieu, le récit a eu lieu; le roman nous livre peu à peu un caractère, le récit explique; le roman regarde naître les événements, le récit les fait connaître; le roman est constitué par des suites vivantes, le récit par des suites causales; le roman se déroule au présent, le récit éclaire le passé.

La première conséquence de ces observations est que le récit, quand ses héros sont des hommes, étudie de pré­ férence une crise (qu'il explique), tandis que le roman n'a pas de sujet nécessaire, mais ses héros sont toujours des hommes.

Gide a parfaitement raison, selon Sartre, de remarquer que le roman est un «surgissement perpétuel; chaque nouveau chapitre doit poser un nouveau problème, être une ouverture, une direction, une impulsion, une jetée en avant de l'esprit du lecteurn2.

La Chut:e est plutôt un récit Si on se conforme à cette distinction, !:Étranger est un roman dans la mesure où Meursault est un personnage «en devenir»; il raconte sa propre histoire dans son «sur­ gissement perpétuel », découvrant le monde et se décou­ vrant lui-même chapitre après chapitre.

L.'.évolution de son expression entre le début et la fin du livre suffirait à témoi­ gner de la transformation qui s'opère en lui.

Clamence, lui, ne subit aucune modification sensible au cours du récit.

Il n'expose pas son passé de manière à le revivre dans son surgissement, mais de manière à le 1.

Cité dans Michel Raimond, Le Roman depuis la Révolution, A.

Colin, coll.

U.

p.

322.

2.

Ibid.. »

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