SAINT-SIMON

C’est en ce double sens, et non comme une pirouette irresponsable ou comme un hymne à la spontanéité, qu’il faut lire la conclusion des Mémoires sur le « style » et sa « négligence »,

... emporté toujours par la matière, et peu attentif à la manière de la rendre, sinon pour la bien expliquer. Je ne fus jamais un sujet académique; je n'ai pu me défaire d'écrire rapidement. [...] Pour bien corriger ce qu'on a écrit, il faut savoir bien écrire; on verra aisément ici que je n'ai pas dû m'en piquer. Je n'ai songé qu'à l'exactitude et à la vérité. J'ose dire que l'un et l'autre se trouvent étroitement dans mes Mémoires, qu'ils en sont la loi et l'âme.

Ces forces d’unité ont leur symbole dans la trompeuse clarté du manuscrit, où les ratures, nombreuses mais minuscules, ne portent que sur l’infime détail : sacrifiant ses brouillons, l’écrivain n’a voulu laisser qu’un texte superbement mis au net et révisé, prêt à l’impression. Elles durent être puissantes, puisque les Mémoires, une fois en route, résistent à tout.

Ainsi, lorsqu’en janvier 1743 meurt Mme de Saint-Simon, l’œuvre semble menacée. Atterré, Saint-Simon fuit vers un couvent ami, s’interroge à fond sur l’histoire, ses fins et sa légitimité; juillet voit un grand texte où, non content de réfuter les sophismes opposés à l’histoire, l’auteur fait de celle-ci le fondement de la nature et de la grâce, le dessein divin sur l’homme, et donc un devoir majeur, « transcendant »; ces pages deviennent le préambule des Mémoires, qui, coupés d’un rang de larmes cernant une croix, mais justifiés, se remettent en marche. Plus sereinement, quand, en 1745, Torcy lui livre ses Mémoires, c’est avec un désarmant naturel que, soumettant la forme au projet, Saint-Simon les mêle aux siens. Inversement, l’œuvre peut sans danger sécréter une autre œuvre : en 1746, l’ample tableau du règne de Louis XIV qui suit l’épisode de la mort du roi paraît n’avoir pas épuisé la pensée du mémorialiste; daté de mai, son dernier grand écrit, le Parallèle des trois premiers rois Bourbons, explorant une forme rhétorique non encore abordée, étend l’analyse au XVIIe siècle entier, ce que le cadre des Mémoires eût interdit; ce scrupule apaisé, ceux-ci repartent et achèvent leur cours.l'

Observateur véridique (1788), Supplément aux Mémoires... (1789), Œuvres complètes (sic! 1791), et à Anquetil (1789) : intérêt purement bibliophilique. La première édition à peu près complète est donnée par le marquis de Saint-Simon (Sautelet, 1829-1830, 20+1 vol.); la première à offrir quelques garanties scientifiques, par Chéruel et Régnier (Hachette, 18561858, 20 vol.), enrichie en 1886 d’un tome XXI offrant un grand choix de lettres. Mais le monument de référence est la prodigieuse édition donnée par Boislisle et Lecestre dans la coll. « Grands Écrivains de la France » (Hachette, 41+2 vol., 18791928) : texte conforme au manuscrit, variantes, notes inépuisables, appendices, tables partielles et générales, Additions à Dangeau, larges extraits des autres œuvres. Actuellement disponibles : réimpression intégrale du Boislisle (éd. du Tricentenaire, Contrepoint, 1975-1981, 43 tomes en 21 vol., préface et chronologie inédites; suppléments : 2 tomes d’études généalogiques par F. Formel; on attend 2 tomes de bibliographie et d’inédits par Y. Coirault et F. Formel). Et pour la lecture courante, reprise du texte de Boislisle sans les notes ni les appendices (Ramsay, 1977-1979, 18 vol.; en tête de chaque tome, introd. rééditant des études anciennes devenues introuvables, ou essais inédits de jeunes écrivains). Depuis 1983, Yves Coirault a donné une nouvelle édition dans la Bibliothèque de la Pléiade qui améliore encore le texte de Boislisle; 8 tomes pour les Mémoires et les Additions à Dangeau, plus un tome (à paraître) de Correspondance et d’Œuvres diverses.

Autres œuvres : Pré-mémoires : seul fragment connu (51 pages) publié par H. Himelfarb (Revue d’histoire littéraire de la France, mai-août 1969); Additions à Dangeau, dans Journal du marquis de Dangeau, publ. par Soulié, Dussieux et Feuillet de Conches (Firmin-Didot, 1854-1860, 19 vol.), reprises dans un ordre différent dans l’éd. Boislisle; Projets de gouvernement..., publ. par P. Mesnard (Hachette, 1860); Parallèle des trois premiers rois Bourbons, mémoires divers, lettres, et Notes sur les Duchés, publ. par P. Faugère, Écrits inédits de Saint-Simon (Hachette, 1880-1892, 8 vol.). Le Parallèle est repris au tome I, seul paru, d’une éd. avortée à\"Œuvres complètes (Pau-vert, 1964); autre réunion d’emprunts à l’éd. Faugère par F.-R. Bastide, Papiers en marge des Mémoires (Club français du Livre, 1954). Œuvres des années 1730 (hors Additions et Notes) :