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SCARRON Paul: critique et analyse de l'oeuve

Publié le 13/10/2018

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scarron

SCARRON Paul (1610-1660). L’œuvre de Scarron conserve aujourd’hui une certaine notoriété grâce au Roman comique, qui en est le principal fleuron. Mais les autres productions de ce polygraphe prolixe sont quasi oubliées, et l’on perd de vue qu’il fut un des écrivains les plus actifs, les plus inventifs, les plus lus, et les plus discutés aussi, du xviie siècle. Son apport à la poésie (burlesque) et au théâtre comique a été aussi important que sa production romanesque.

 

Une existence difficile

 

Dans ses grandes lignes, la biographie de Scarron est conforme au type le plus fréquent de cursus littéraire réussi du xvne siècle. Né dans la bonne bourgeoisie parlementaire parisienne, il se tourne vers l’Eglise pour s’assurer des revenus : en 1629, il se fait abbé, ne prenant pourtant que les ordres mineurs. Il entre au service de l’évêque du Mans, s’installe dans cette ville, et y devient titulaire d’un canonicat. Entre-temps, un voyage à Rome a complété sa formation. Puis il revient à Paris, où il vit dans le monde littéraire et bénéficie de l’appui des puissants du moment : Gondi (le futur cardinal de Retz), puis, après la Fronde, le surintendant Fouquet sont ses protecteurs.

 

Pourtant, en un contraste assez brutal, il subit aussi de lourds handicaps. Il appartient à un milieu aisé, mais se trouve très tôt affligé d’une marâtre qui n’a de cesse de le dépouiller au profit de ses propres enfants. Le monde parlementaire est proche du pouvoir, mais Scarron père joue les opposants à Richelieu, qui finit par l’expédier en exil à Blois. L’héritage de Paul Scarron, maigre en biens matériels et surtout encombré de procès contre sa demi-famille, fut aussi encombré de la suspicion latente des autorités. Au moins l’héritage intellectuel comportait-il la solide formation scolaire usuelle dans ce milieu.

Devenu abbé et secrétaire d’évêque, Scarron n’en était pas moins, selon un paradoxe alors courant, libertin d’opinions et de mœurs. On a voulu attribuer à une vérole glanée dans la débauche la maladie qui, à partir de 1638, fit de lui un égrotant, paralysé des jambes et du dos. En fait, il s’agissait d’un rhumatisme tuberculeux incurable. Impotent, peu riche, il se maria pourtant avec une belle orpheline, Françoise d’Aubigné, petite-fille du poète Agrippa d’Aubigné, qui deviendra plus tard Mme de Maintenon; par ce mariage, la jeune fille évitait que sa pauvreté ne la contraignît à se faire religieuse.

 

Quoique cloué chez lui, Scarron s’était acquis de la renommée parmi les écrivains et les mondains. Dans son appartement, il recevait Sarasin, Ménage, Marigny, Pellisson, Segrais. De grands seigneurs libertins fréquentaient cette espèce de salon, réputé pour l’humeur joyeuse de l’hôte. En fait, sous sa verve, Scarron dissimulait les inquiétudes que lui inspiraient la maladie, ses perpétuels soucis d’argent, ses rêves de départ vers les Amériques et des pays qu’il imaginait paradisiaques. L’auteur de l’œuvre la plus gaie du xviie siècle vécut dans la douleur physique la moitié de sa vie, dans l’insatisfaction et dans les difficultés matérielles la plupart de son temps.

 

Un polygraphe inventif

 

L’abondante production littéraire de Scarron s’explique à coup sûr par son goût d’écrire et sa facilité de plume; mais le besoin d’argent y a aussi sa part. Selon une stratégie alors fréquente chez les écrivains peu fortunés, il mise tout à la fois sur le clientélisme (auprès de l'évêque du Mans), le mécénat (auprès de Fouquet) et les revenus tirés de ses droits d’auteur. Dans les deux premiers domaines, il obtient des résultats moyens. En 1640, quand il cède sa prébende du Mans, il en retire 3 000 livres, ce qui est peu; de Fouquet il obtient

 

1 600 livres de pension annuelle, chiffre courant, à l’époque, pour de telles gratifications, qui n’assurent pas un train de vie très aisé. Ses droits d’auteur sont loin d’être négligeables : la IIe partie du Roman comique lui rapporta 1 000 livres, et, pour chacun des onze livres du Virgile travesty, il reçut autant. Son théâtre dut lui valoir des rentrées aussi importantes, et ses poésies des rétributions appréciables. Aussi faut-il le concevoir comme un écrivain « de profession », non comme un fantaisiste rédigeant au seul gré de l’inspiration. Sa tentative de 1655 pour lancer une Gazette concurrente de celle de Loret s’inscrit dans la même perspective (mais elle fut un échec). Malgré l’image d’aimable dilettante qu’il s’est plu à entretenir, Scarron appartient, en réalité, à ce type d’écrivain actif que Balzac incarnera plus tard. Poésie, théâtre, roman, journalisme même, pamphlet à l’occasion : il s’est essayé à presque tous les genres, au moins les plus « littéraires », et le plus souvent avec réussite. Deux caractéristiques dominent sa production : le comique et l’innovation.

 

On doit le considérer comme le véritable initiateur du burlesque en France, et comme son principal représentant. Au théâtre, il élabore un type de comédie romanesque et satirique à rire franc qui se distingue des productions antérieures dans le genre. Dans le roman, si la lignée réaliste et satirique avait déjà donné des œuvres de première importance — celles de Sorel, surtout —, Scarron apporte une manière de roman « burlesque » qui lui est propre. Mais en tous ces domaines, il privilégie le comique. Il en utilise toutes les sources et toutes les formes : situations, personnages (ou, plutôt, caricatures) et jeux de langage y concourent. L’essentiel cependant réside dans le travail du style. Verve, virtuosité de l’écriture, sens du rythme rapide et enlevé sont sensibles dans tous ses ouvrages. Certes — cela fait partie des « lois du

scarron

« genre » dans le registre comique -, il feint de négliger sa rédaction, de composer un peu au hasard.

En fait, ses Livres résultent d'un travail très calculé, et r~vèlent une maîtrise très sava nte des ressources de la langue.

Les critiques se sont souvent laissés prendre à l'ap~areote nég lige nce, d'autant que le style «bas et pla1sant » (selon les termes de l'époque) passe facilement pou r moins travaillé que le« soutenu».

ll faut donc y insister: si l'œuvre de Scar ron est b ien celle d'un fantaisiste, c'est au sens premier de ce terme: celle d'un imaginatif, d'un inventif, d'un écrivain véritable.

n'hésitant pas à utiliser tous les registres du vocabu laire, tous les effets du style .

Malgré des co mpositions souvent lâches, des intrigues embrouillées, ses écrits restent aujourd'hui tou t à fait lisibles, portés qu'ils sont par la verve, le sens du trait qui fa it mouche en peu de m ots.

Il en résulte une est hé tique originale.

le maître du burle s que SI J'on ne tient pas compte de quelque s vers de jeu­ nesse, l 'entrée de Scarron dans la vie littéraire date de 164 3, avec le Recueil de quelques vers burlesques.

Or c'est de la même année qu'il faut dater l' in stallation et le succès en France du burlesque (voir BURLESQUE].

I1 serait abusif de faire de Scarron l'inventeur de ce mode d'écriture, mais il en est sans nul doute un des prin cipaux in itiateurs.

Dès 1644 , avec le Typhon.

il donna le modèle d'un des ty pes d'ouvrages caractéristiq ues de ce regis ­ tre: l 'épopée écrite en style« bas».

Par la suite, il publi a régulièremen t des Suites de ses œuvres burlesques.

On y trouve essentiellement des épîtres en oc tosyllabes , rédi ­ gées en langue familière, et de,s satires.

A partir de 1648 , il fit paraftre sa parodie de l'Enéide, le Virgile travesty, qui obtint un franc succès .

Si le bur l esque a ses «lois» (usage de J'oct osyllabe , parodie des genres nobles), il a aussi ses nuances, et la ma nière burlesque pe u t sensiblement varier d'un auteur à l'autre.

Celle de Sca rron se caractérise par une audace calculée et une écr in1r e en fait savante.

Audace esthéti­ que, quand il en rajoute sur la descript io n des Harpies au chant Til de son Virgile : Chacune au dos sa paire d'ailes, Les pattes en chapon rôti , Le nez long , le ventre aplati.

T outes trois ont long col de grue E t longue queue de morue, Les tétons flasques et pendants, E t chacune deux rangs de dents .

Audace cultu relle, encore plus gra nde, quand il fait de Did on , héroïne discrètement sens uelle chez Virgile , une mégère ripailleuse: Didon demanda du t abac, Mais elle n'en prit pas deux pipes, Qu'e l le ne vidât jusqu'aux tripes Et ne s'en off usquât l'es prit.

(Chant 1) L'anachronisme (Je tabac), en projetant le mythe anti­ que dans l'uni v ers contemporain des lecteurs, mettait face à face leur culture sava nte (la lec tw·e des Ancie n s) et leur c u lture quotidien ne (mœurs, nourriture).

N'est-ce pas faire trop d'ho nneur au bur lesque que ·de le voulo ir l ire de la sorte? N'est - il p as simple j e u , passe-temps? La parodie d'un des passa ges les plus célèbres de Virgile, Je songe d'Énée au chant VIII, donne à penser que non: Son Altesse mé l ancolique (Énée] Au bo rd du Tibre pacifique, Mais qui se dépacifia Du jour que Turnus [roi ennemi d'Énée) se piqua, Faisait des châteaux en Espagne Songeant qu'i l prendrait la campagne, Ou si dans son fort enfermé, A force de soldats armé, De meurtres et de brig a ndages, Il se fera it par les villages Contribuer su ffisamment De quoi vivre commodémen t.

La mise en cause du héros gue les do ctrinaires du genre épiq ue, alors actifs, présentaient comme 1' ancêtre de la civilisation occidentale se fait par le jeu d'une écriture qui n'est pas sans rappeler Rabelais, et dont, quelques années plus tard, La Fontaine explo itera les ressou rces.

De tels ouvrages ne s'adressaient pas à un public populaire, mais bien aux nobles et bourgeois d'esprit «lib re» , voire «libertin», milieu auquel Scarron appar­ tenait depuis sa jewtesse.

C'est à ce public encore qu'il destinait, en 1655, sa Ga zette burl esq ue.

De même, lors­ qu'il utilisa l es ressources polémiques du burlesque en prenant part à La guerre de pamphlets contre le p éda nt Mont maur (dès 1643; affaire où se mêlent inimitiés litté­ raires e t ma nœuvres du clan politique de Retz), il visa it un public averti.

Exception faite peut-être pour la Maza­ rinade , attaque féroce et grossière contre Mazarin en 165 1, à destination populaire mais do nt il a n ié être l'auteur [voir MAZARJNADES].

En fait , Scarron semble n'avoir jamais eu d'attirance pour l'oppositio n politique; il s'e st même e fforc é un temps d'obtenir la protection d'Anne d'Au triche.

Et quand le burlesque devint un moyen de polémique politique, l'auteur du Virgile man i­ festa ses réticences et composa des Satires de facture «classiq ue».

D re-ste que la verve bur lesque, ou tre ses poésies, innerve toute son œu v re: le joyeux drille qu'il fut dans sa jeunesse y trouvait un mode d'écriture adapté à son tempéramen t.

la com édie romane sque et gaie Scarron vint au théâtre à partir de 1645, à un moment où était en vogue la coméd ie «à l'espagnole», dont Co rne ille même avait do nn é une des pièces majeures avec le Menteur.

Il rxouva dans ce genre un tena in de p rédilection.

Ses comédies m ê lent deux lignes d'intérêt.

D'une part.

on y suit les amours difficiles de jeunes couples galants : c'est la part d u r omanesque, d'ailleurs tempéré dans ses effets, sans les grands voyages, les naufrages, les exploits guerriers qui étaie nt alors mon­ naie courante.

D'autre part, des personnages de bouffon viennent prendre part à l'a ction et apportent les moyens d'un franc comique.

Ainsi , dans Jodelet ou le Maître valet, le serviteur ridicule, J odelet, est chargé par son maître, qui veut mettre à l'épreuve celle qu'il aim e, de se faire passer pour lui ; sous les habits de son patron, Le valet reste bien entendu goinf re, grossier et benêt, d 'où les cascades de situations cocasses.

En dramaturge avisé, Scarron mettait à profit le style de jeu d'un acteur, Jode­ let (d'où les titres de ses pièces), dont le jeu comique était populaire en ce temp s.

Son chef-d'œuvre théâtral fut Dom Japhet d'Arménie.

L'intrigue y r epose là auss i sur les amours d'un jeune couple, mais l'attention s.e porte surtout vers l e person­ nage de Dom Japhe t, ancien « fou » de la cou r de Charles Quint et, en fait, un peu fou et visio nn aire, que chacun berne à qui mieux mieux.

Ainsi, da ns l'épisode le pl us célèbre, l'héroïne feint de lui accorder un rendez-vo us nocturne .

En s'y rendant, Dom Japhe t se fa it ros s er par le jeune premier; puis la belle 1 'enferme sur son balcon, où le père vient le surpre ndre et, sous la menace, le contraint à se dévêtir , pour que sa mésaventure soit entière et publiqu e.

En même temp s, Scarron multiplie les mots d'auteur: alors qu'on le menace d e l ui tirer des pienes avec une fronde, Dom Japhet réplique. »

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