Devoir de Philosophie

Les œuvres

Publié le 23/03/2018

Extrait du document

qu'il attendait pour faire ce qu'il aurait pu faire beaucoup plus tôt. Il est certain que la version de Berne est plus maladroite, elle l'est même grossièrement. Et pourtant, contrairement à l'opinion reçue, elle nous paraît plus forte et plus vraie; la version d'Oxford émousse un peu trop le sentiment du tragique et de la fatalité et prolonge le jeu des souvenirs évoqués par Tristan, sans invraisemblance sans doute, puisqu'une explication psychologique peut en être proposée, mais trop adroitement : l'auteur a voulu donner un résumé élégant et complet de toute l'histoire, et, toutes différences gardées, la version d'Oxford est au roman de Thomas (à supposer que ce soit bien là son modèle) ce qu'est L'Aveugle de Chénier aux poèmes d'Homère et d'Ovide. Il y a moins d'art et moins d'artifice dans la version de Berne, qu'on dit calquée sur le roman de Béroul. Ni l'une ni l'autre du reste ne relèvent vraiment du genre romanesque, elles appartiennent plutôt au genre lyrique du lai.

Les lais de Marie de Fran~e                                                         Les lais sont en effet, à l'origine, des chansons

que chantaient les conteurs bretons en s'accompagnant de la harpe ou de la rote. Ils racontaient de vieilles légendes celtiques, dont le caractère authentiquement populaire semble établi, encore qu'en matière de folklore on ne soit jamais sûr de ne pas confondre création collec­tive spontanée et dernier état décomposé et vulgarisé d'inventions individuelles dues à de véritables artistes. Marie de France, qui résidait en Angleterre à la cour d'Henri II, a mis plusieurs de ces légendes en vers français

u Les contes ke jo sai verrais Dunt li Bretun unt fait les lais

Vos conterai assez briefment 1 b

 

Dans les douze lais que nous avons d'elle, tous assez courts (le plus long n'a pas douze cents vers), il y a des contes féeriques, comme Lanval (aimé secrètement par une fée et comblé de richesses, Lanval se trouve contraint de révéler cet amour malgré sa promesse de silence; il perd la protection de la fée, est accusé d'avoir voulu déshonorer la reine, va être condamné quand la fée, précédée d'un cortège de belles demoiselles, vient rendre hautement témoignage en sa faveur; au moment où elle repart, Lanval saute sur la croupe de son cheval et elle l'emmène dans l'île d'Avalon, au pays d'où nul ne revient), Ywenec (un prince qui se métamorphosait en oiseau pour rejoindre sa maîtresse meurt victime d'un piège tendu par le mari), Guigemar (un chasseur blesse mortellement une biche blanche, mais la flèche rebondit vers lui et ]e blesse à son tour; la biche avant de mourir lui parle et lui prédit de longues souffrances d'amour; le lai traite ensuite le thème, si fréquent au Moyen Age, des amants séparés que le hasard finit par réunir), Le Bisctavret (cruelle histoire de loup-garou); des contes d'amour touchant ou tragique, comme Eliduc (au dénouement duquel Guildeluec) femme d'Eliduc, s'efface devant Guilliadon, la jeune fille dont son mari est devenu amoureux, et se fait religieuse; mais les amants sacrifient à leur tour leur bonheur, entrent aussi en religion, et ces trois êtres qui s'aiment communient désormais en Dieu), Le Chèvrefeuil, Le Laostic; quelques autres:, comme Fresne et Milon, qui racontent l'un et l'autre

SOURCES DE LA LEGENDE ARTHIŒUENNE

 

C'est une tâche passionnante à laquelle s'appliquent les érudits, que de retrouver à travers l'affabulation de l'Historia regum Britannice (n36, par Geoffroy de Monmouth), les traductions qui en furent faites et dont il reste des fragments, en gallois, en anglo-saxon et en français, la Geste des Bretons ou Roman de Brut du normand Wace, les romans arthuriens en vers et les romans arthuriens en prose, ce qu'ont~pu être les premiers récits où figuraient le roi Arthur, l'enchanteur Merlin, la reine Guenièvre, les chevaliers de la Table Ronde, Keu le sénéchal, le .félon Mordret, le courtois Gauvain ... mais il n'y a de roman arthurien qu'à partir de Chrétien de Troyes, et ce qui le précède n'intéresse pas l'histoire du genre romanesque. Wace lui-même, narrateur habile, pittoresque, imaginatif, psychologue, n'est ou ne croit être qu'un fidèle chroniqueur; c'est la fierté d'un historien, d'un Thucydide, autant et plus que la fierté d'un poète, qui s'exprime dans le beau prologue du Roman de Rou, où il déclare que seuls les livres et les « estoires ) sauvent de l'éternel oubli les grandeurs mondaines dont tout a disparu :

une histoire d'enfant abandonné retrouvant ses parents, sont sans lien avec les légendes celtiques; Marie de France connaît d'ailleurs aussi très bien et utilise la littérature antique et celle de son temps (Enéas, le Roman de Thèbes). Mais dans tous ses lais, sauf dans Equitan qui traite plutôt un sujet de fabli~u, elle a su garder le caractère lyrique que devaient avoir les chansons bretonnes, qu'elle les ait entendues ou qu'elle les ait lues dans des traductions anglaises (elle fait parfois allusion à l'écriture, au texte écrit); le lyrisme n'est plus dans la forme (la note), il est dans le fond, dans l'aventure et surtout, plus discret et plus pénétrant, dans le sentiment; Le Chèvrefeuil, Le Laostic, Lanval malgré sa longueur sont par-là de véritables poèmes. Sans doute dans le genre narratif à cette époque la poésie est-elle plus employée que la prose, et les romanciers sont poètes. Mais que l'on compare certains des lais de Marie de France avec les romans qui traitent les mêmes sujets, Lanval avec Partonopeus de Blois, Etudie avec Ille et Galeron de Gautier d'Arras, Fresne avec GaZeran de Bretagne, Milon avec Y der (roman dont le début est perdu, mais où le héros, comme dans le lai de Marie de France, retrouve, son père en se battant avec lui, se fait reconnaître et le réconcilie avec sa mère) ou à la rigueur Le Chèvrefeuil avec le Tristan de Thomas : on verra à quel point les romanciers, si différents en~e eux, sont tous soucieux de bien circonstancier l'action, de bien . enchaîner les péripéties de l'intrigue, de la conduire jusqu'au dénouement complet, de motiver de façon vraisemblable le comportement de leurs personnages, de commenter leurs sentiments; c'est qu'ils veulent embrasser toute une histoire et tout un monde, tandis que Marie de France allège son récit, réduit le nombre des personnages, se contente d'un geste pour faire deviner des sentiments que d'autres analyseraient (bien qu'elle ait parfois cédé à la mode intellectuelle de · son temps), et néglige les circonstances secondaires; le désir d'exhaustivité, que nous avons relevé comme caractéristique des romanciers à toute époque et surtout au Moyen Age, lui est étranger. Elle y gagne non seulement l'élégance, mais la profondeur, comme tout écrivain qui suggère au lieu d'expli­citer, et ces qualités sont en harmonie avec les sentiments complexes et mélanco­liques qu'elle prête à ses héros. Si elle est la créatrice dans notre littérature de ce qu'on appelle la nouvelle, ses sources d'inspiration et l'hésitation du genre narratif en ce temps-là à se détacher de la poésie lui ont permis de verser dans cette forme d'expression une grâce dont le naturel ne se retrouvera que rarement.

 

Elle a la force avec la grâce; les âmes qu'elle peint sont exquises, mais souvent violentes; le sang et la mort marquent de leurs couleurs la plupart de ses récits, et dans Equitan elle est tout près du réalisme brutal. Est-ce le genre qui le veut, est-ce un trait du cœur féminin? Ces contrastes se retrouveront au xvxe siècle dans les Contes de Marguerite de Navarre. Les lais de Marie de France sont les ancêtres de ce que seront, quatre ou cinq cents ans plus tard, les Histoires tragiques 1

« 1.

Les grands récits, mytholo giques ou historiques, de l'Anti quité, étaient connus soit directement par des œuvres comme l' Enéide de Virgile, Les Méta­ morphoses d'Ovide, La Thébaïde de Stace, dont se sont inspirés l'auteur d' En eas, celui du Roman de Thèbes, l'auteur inconnu de Piramus et Tisb é, Chrétien de Troyes dans Philomena, soit indirectement par des.

adaptations et des résumés latins de basse époque, comme l'abrégé fait à l'époque de Charlemagne de la traduction latine tardive d'un roman grec sur Alexandre (c'est de cet abrégé que se servit Albéric de Pisançon pour écrire en dialecte dauphinois vers 1130 le premier Roman d'Alexandre), ou comme l'Historia de excidio Trojae de Darès le Phrygien et l' Ep hemeris belli Trojani de Dictys de Crète, œuvres apocryphes qu'on prit longtemps pour des témoignages plus sûrs que l' Iliade d'Homère (connue du reste seulement par un résumé latin), et dont s'inspira Benoît de Sainte-Maure dans son Roma n de Troie.

Mais l'Antiquité n'est pas représentée seulement par les sujets qu'elle a pu fournir : elle est partout, dans le style, dans les procédés d'invention, dans les images, dans les types de personnages, et M.

Wilmotte a pu intituler Ovide-Roi un chapitre où il fait le tableau de ces influences.

2.

La source celtique est aussi composite : de très anciens rites initiatiques ou magiques, des croyances concernant l'au-delà, des superstitions appartenant au plus vieux fonds de l'imagination humaine étaient transposés dans des fictions étranges, où l'on retrouve aussi bien certains de nos contes de fées que des récits rappelant le mythe du Minotaure et ceux de Pluton et de Proserpine ou d'Héraclès et d'Admète ; à cette mythologie s'étaient ajoutées après le vne siècle des légendes nationales où s'exprimaient l'esprit de résistance et l'espoir de revanche des Gal ois vaincus et refoulés par les envahisseurs saxons : le glorieux roi Arthur (à l'origine et en réalité, peut-être un simple officier romain) devait un jour revenir de l'île mystérieuse où des fées l'av aient transporté, et venger son peup le; on racontait aussi les exploits guerriers et les aventures merveilleuses des compa­ gnons d'Arthur, Gauvain, Yvain, Yder, Beduer, et d'autres futurs chevaliers de la Table ronde.

Mythologie populaire et légendes nationales furent réunies de bonne heure, puisque le roi Arthur semble jouer un rôle dans l'histoire de Tristan même avant la version rédigée par Thomas.

Le légendaire d'Arthur fut incorporé à une histoire cohérente de la Grande- Bretagne par Geoff roy de Monmouth, dans son Historia regum Britanniae en 1136, et à partir de 1155 le roi d'Angleterre Henri Il Plantagenêt prêta à ces récits un intérêt pour ainsi dire officiel 1 : mais, selon E.

Faral, Geoffroy aurait tout inventé, ou presque, et les thèmes authentiquement celtiques et folkloriques tiendraient bien peu de place dans son aff abulation, ou dans celle que forgèrent les moines de Glastonbury 2• En revanche ces thèmes, transmis par les bardes gallois, sont encore présents dans les lais de Marie de France, dans le Roman de Tristan, et Chrétien de Troyes en les utilisant très librement a su garder leur atmosphère poétique.

C'est aussi lui probablement qui a donné au mythe du Graal sa signification chrétienne et qui, en l'ass ociant à la légende arthurienne, a permis la naissance au xme siècle de grands romans religieux rattachés au cycle breton.

1.

Cf.

A.

FOUR ER, op.

cit., pp.

19-27.

- 2.

Cf.

E.

FARAL, La Légende arthun"enne.

Études et documents, 3 vo l., Paris, 1929.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles