VALÉRY Ambroise Paul Toussaint Jules : sa vie et son oeuvre
Publié le 11/11/2018
Extrait du document
La poésie
Comme c’est tout l’homme, quelque esthétique qu’il professe, qui fait la poésie, la poésie de Valéry résiste mieux à l’usure, malgré la désuétude de la forme, que le reste de son œuvre. La polysémie du langage poétique étant aujourd’hui admise une fois pour toutes, les débats dans lesquels on dénonçait ou louait son obscurité sont caducs. Reste une « fête de l’intellect » qui est aussi, par les rythmes, les sonorités, les allitérations, les images, une fête de la sensualité; ici la vigilance sait se mettre à l’écoute des mouvements secrets et n’offusque jamais parfaitement le désir ni la tendresse.
VIE
ŒUVRE
1871
1878
1883
1884
1887
1888
1889
1890
1891
1892
1893
1894
1895
1896
1897
1898
1899
1900
30 oct. : naissance, à Sète (orthographié « Cette » jusqu’en 1927), d’Ambroise Paul Toussaint Jules, second fils de Barthélemy Valéry, vérificateur principal des douanes, originaire de Corse, et de Fanny Grassi, fille du consul d’Italie et descendante de vieilles familles de Gênes et Venise.
Collège de Sète.
Première communion.
La famille s’installe à Montpellier. Paul entre au lycée de la ville. 11 découvre Gautier, Baudelaire, Hugo et bientôt, à travers A rebours de Huysmans, les symbolistes.
Mort du père. Baccalauréat. Séjour chez une tante à Gênes. Dessine, peint, versifie.
Seconde partie du baccalauréat. Début d’études de droit. Vif intérêt pour l’architecture.
S’intéresse aux mathématiques, à la physique, à la musique.
Sept. : lit Huysmans, Verlaine, Mallarmé, les Goncourt.
Nov. : volontariat au 122e R.I. (Montpellier).
Mai : se lie d’amitié avec Pierre Louys; une abondante correspondance s’ensuivra, et Louys lui ouvrira les portes du Tout-Paris littéraire.
Reçu à sa seconde année de droit.
Sept. : séjour à Paris, où il fait la connaissance de Gide et de Mallarmé.
Rêve de vivre à Paris. Reçu à sa troisième année de droit.
Crise sentimentale aiguë. Une idolâtrie amoureuse lui rend la vie presque insupportable.
Sept. : chez sa tante, à Gênes.
4-5 oct. : « nuit effroyable », où il décide d’observer et de vaincre sa sensibilité et d’immoler toutes les idoles à celle de l’intellect.
Nov. : Paul et sa mère séjournent à Paris auprès de l’aîné, Jules. Oct. : retour à Montpellier.
Mars : s’installe à Paris, dans une chambrette de la rue Gay-Lussac. Juin : séjour à Londres.
Juin : reçu au concours de rédacteur au ministère de la Guerre. Sept.-oct. : visite le nord de l’Italie.
Fréquente Marcel Schwob, Heredia, Gide; rencontre Degas.
Relations étroites avec Mallarmé.
Mai : entre au ministère de la Guerre comme rédacteur.
Sept. : très éprouvé par la mort de Mallarmé.
Déc. : fait connaissance des demoiselles Gobillard et Manet.
Déc. : s’installe rue de Beaune.
31 mai : épouse Jeannie Gobillard, nièce de Berthe Morisot. Voyage de noces en Belgique et Hollande.
Juil. : quitte le ministère de la Guerre pour devenir le secrétaire particulier d’Édouard Lebey, un des administrateurs de l’agence Havas.
Oct. : Valéry, sa femme et sa belle-sœur s’installent 57, avenue Victor-Hugo.
Ému par V Orphée de Glück, qui lui rappelle les ambitions poétiques qu’il a reniées.
1884 Premiers vers, sur un cahier d’écolier.
1887 Écrit des sonnets.
1889 « Rêve », premier poème publié de Valéry,
dans la Revue maritime.
Oct. : « Élévation de la lune », dans le Courrier libre.
Compose plus de 80 poèmes cette année-là.
1890 Oct. : « la Marche impériale », dans la Revue
indépendante.
1891 « Narcisse parle », dans le n° 1 de la Conque,
la revue de Pierre Louys (13 poèmes paraîtront dans les livraisons suivantes).
Poèmes également dans /’Ermitage, la Syrinx.
1894 Commence à écrire « la Soirée avec Monsieur
Teste » et entreprend la rédaction du premier de ses 261 « cahiers » de notations.
1895 Introduction à la méthode de Léonard de
Vinci.
Commence l’étude qui s’intitulera « le Yalou ».
1896 « La Soirée avec Monsieur Teste », dans le
Centaure.
« Été », « Vue », dans le Centaure.
1897 « La Conquête allemande », essai sur l’expan-
sionnisme allemand, dans the New Review. « L’art militaire », dans le Mercure de France.
1900 Déc. : « Anne » (daté 1893), dans la Plume.
VALÉRY Ambroise Paul Toussaint Jules (1871-1945). Pour le meilleur et pour le pire, Paul Valéry, bercé par le symbolisme et le positivisme, fut le penseur de la IIIe République et son poète. Ce méditatif fut un mondain, ce Montaigne attentif à ses neurones plus qu’à ses humeurs et à ses lectures entra à l’Académie, gravit comme distraitement les échelons de la Légion d’honneur, inaugura, célébra, préfaça, professa. Il cultiva comme un divertissement combinatoire la poésie, où Mallarmé, « victime et lévite », voyait un sacerdoce; sur tous les sujets il émit des réflexions claires et défendables, toujours ingénieuses et parfois pénétrantes, si nombreuses qu’il est difficile de ne pas s’équiper de quelques-unes. Il fut le champion du travail, de la conscience, de la raison et de la latinité contre l'inspiration, l’inconscient, l’irrationnel et le germanisme; il donna l’image tutélaire et rassurante du sage, sceptique à l’égard des passions, anti-obscurantiste mais tolérant, ennemi des fanatismes comme de l’anarchie. Bref, Valéry fut une « idole » pour les médecins cultivés, les professeurs de terminales et les inspecteurs généraux. Il laissa s’établir par nonchalance un stéréotype admiré mais réducteur; il n’est pas sûr que la postérité suive ses contemporains dans leur culte et le tienne quitte de ses faiblesses.
La conversion
La vie de V aléry serait d’une grande banalité et justifierait le mépris qu’il affichait pour la biographie et l’anecdote, s’il n’y avait sa conversion initiale. Cette conversion présente de troublantes analogies avec la fameuse « nuit du 23 novembre 1654 » que consigne le Mémorial de Pascal et, en même temps, se situe à son antipode exact. Alors que Pascal, tout entier donné à l’orgueil de l’intelligence et à la libido dominandi du savant, craque soudain et bascule dans l’univers de l’émotion, de l’affectivité et de l’incarnation, Valéry, insupportablement tourmenté par une passion douloureuse et obsédante pour une certaine Mmc de Rovira, se raidit au cours de sa « nuit de Gênes » et décide d’évacuer l’affectivité et de tout soumettre à l'intellect. L’histoire de sa vie est alors celle d'une lente guérison qui, de « la Soirée avec Monsieur Teste » à Mon Faust, l’amène à atténuer peu à peu l'intransigeance de sa déconnexion et la rigidité de son idolâtrie pour la pensée pure, à
baisser ses défenses antiseptiques et à consentir à la tendresse humaine.
La pensée
Ce qui caractérise la pensée de Valéry, c’est d’abord l’hostilité à l’égard de la modernité dans les mœurs, dans l’art et dans les sciences humaines. A la stridence obnubilante de la vie urbaine en quête d’excitations toujours renouvelées il oppose la solitude vouée aux pensées fines et la nage virile dans une mer immémoriale. A l'exaltation de la femme il oppose une misogynie farouche. Il ne voit dans l’art moderne que dégénérescence et succession de modes, refuse le cubisme, le surréalisme, prône un néo-classicisme auquel le déphasage confère des allures alexandrines. Défiant à l'égard de l’outrecuidance des historiens, des mythes des sociologues et des plongées de la psychanalyse, il ignore superbement la pensée de Marx et raille volontiers celle de Freud. S’il flirte avec la physique et la médecine modernes, c’est moins en humble postulant qu’en égotiste intéressé à cautionner d'une analogie scientifique tel ou tel de ses aphorismes. Valéry reconnaît lui-même que toute sa pensée s’est élaborée entre 1892 et 1895. Cette calcification précoce a dommageablement limité sa disponibilité intellectuelle et l’a fait penser dans un champ qui n’a que les apparences de l’intemporel.
Le fragment
Pour s’être trop voulue sans date, la pensée de Valéry commence à dater et intéresse plus par son prodigieux mécanisme que par ses assertions circonstancielles dont une perpétuelle autocritique borne le développement; ce qui frappe en effet dans cette pensée, c’est son caractère fondamentalement fragmentaire, son aspect de bouffées intuitives, de formulations spasmodiques. Seule une élaboration coûteuse donne du lisse et de la continuité à certains discours; de nombreux recueils (Tel quel, par exemple) et les Cahiers conservent l’incohérence du jet initial. Valéry a de la peine à coordonner, à systématiser, essentiellement parce qu’il subodore la validité des pensées opposées, qu’il est conscient des exclusions qu’implique tout système, du mensonge que devient vite une vraisemblance subjective. La même aversion pour la gratuité et la fiction se manifeste dans sa haine du genre romanesque, auquel il se refuse à conférer la dignité esthétique.
Mauvaises Pensées et autres (1941) assume plus visiblement encore l’arbitraire de sa construction en répartis-sant ses bribes et fragments en vingt sections, répertoriées de A à T. Les thèmes, fort variés, touchent principalement à l’intelligence (son fonctionnement, ses limites), aux caractères, aux mœurs et à la littérature. Les formules recourent tantôt à la sécheresse algébrique (« Celui qui n’a pas nos répugnances nous répugne »), tantôt à la définition métaphorique (« La théologie joue avec la “vérité” comme un chat avec une souris »), parfois au sarcasme ou à la mise en acte, qui masque le concept sous le percept de l’anecdote ou de la fable. La forme crée la pensée. La meilleure preuve en est le pastiche antithétique et subversif qu’Éluard et Breton fabriquèrent en 1929 à partir des trente-neuf premières réflexions de Littérature, et publièrent dans la Révolution surréaliste sous le titre « Notes sur la Poésie ». Là où Valéry écrit, par exemple : « Quelle honte d’écrire sans savoir ce que sont langage, verbe, métaphores, changement d’idée, de ton; ni concevoir la structure de la durée de l’ouvrage, ni les conditions de sa fin; à peine le pourquoi et pas du tout le comment! Rougir d’être la Pythie... », les surréalistes substituent le mot « fierté » au mot « honte » et concluent : « Verdir, bleuir, blanchir d’être le perroquet... »
«
La poésie
Comme c'est tout l'homme, quelque esthétique qu'il
profe sse, qui fait la poésie, la poésie de Valéry résiste
mieux à l'u su re, malgré la désu étude de la forme, que le
reste de son œuvre.
La polysémie du langage poétique étant
aujou rd'hui admise une fois pour toutes, les débats
dans lesquels on dénonçait ou louait son obscurité sont
caducs.
Reste une« fêt e de l'intellect » qui est aussi, par
les rythmes, les sono rités, les allitérat.ions, les images,
une fête de la sensualité; ici la vigilance sait se me ttre à
l'é coute des mouv ements secrets et n'offu sque jamais
parf aitement le désir ni la tendresse.
V lE
1871 30
oct.
: naissance, à Sète (orthographié > jusqu'en 1927),
d'Ambroise Paul Toussaint Jules.
second fils de Barthélemy
Valéry, vérificateur principal des douanes, originaire de Corse,
et de Fanny Grassi, fille du consul d'Italie et descendante de
vieilles familles de Gênes et Venise.
1878 Collège de Sète.
1883 Première communion.
ŒUVRE
1884 La famille s'installe à Montpellier.
Paul entre au lycée de la ville.
1884
Premiers vers, sur un cahier d'écolier.
Tl découvre Gautier, Baudelaire, Hugo et bientôt, à travers A
rebours de Huysmans, les symbolistes.
1887 Mort
du père.
Baccalauréat.
Séjour chez une tante à Gênes.
Des
sine, peint, versifie.
1888 Seconde partie du baccalauréat.
Début d'études de droit.
Vif intérêt
pour l'architecture.
1889 S'intéresse aux mathématiques, à la physique, à la musique.
Sept.
: lit Huysmans, Verlaine.
Mallarmé, les Goncourt.
Nov.
: volontariat au 122e R.l.
(Montpellier).
1890 Mai
: se lie d'amitié avec Pierre Louys; une abondante correspon
dance s'ensuivra, et Louys lui ouvrira les portes du Tout-Paris
littéraire.
1891 Reçu
à sa seconde année de droit.
Sept.
: séjour à Paris, où il fait la connaissance de Gide et de
Mallarmé.
1892 Rêve de vivre à Paris.
Reçu à sa troisième année de droit.
Crise sentimentale aiguë.
Une idolâtrie amoureuse lui rend la vie
presque insupportable.
Sept.
: chez sa tante, à Gênes.
4-5 oct.
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